Pourquoi la Consommation de Viande de Cheval est-elle Déclinante en France?

Alors qu'un projet de loi visant à interdire la consommation de viande de cheval a été renvoyé à la commission économique de l'Assemblée nationale, ce type de viande rouge n'est quasiment plus présent dans les assiettes des Français.

Seuls 7 % des foyers français consommaient encore de la viande chevaline en 2021. Un chiffre qui diminue au fil du temps : ils étaient 20 % en 2011.

D'après la dernière note de conjoncture de FranceAgriMer à ce sujet, moins de 7% des foyers tricolores en ont acheté en 2022, sur la base des données de Kantar Worlpanel. Alors que cette proportion est déjà faible, en 2022 les achats de viande de cheval avaient reculé de 15% par rapport à l'année précédente. Ceux-ci n'ont pas du tout été soutenus par la production qui est elle aussi en baisse significative, de l'ordre de 26% entre 2021 et 2022.

Même si le prix de la viande de cheval a gonflé de 5,6% en un an, l'inflation n'est pas du tout une explication. La disparition de la viande chevaline n'est en fait pas une surprise. En réalité, le phénomène se remarque depuis une cinquantaine d'années, note l'Institut français du cheval et de l'équitation. Le constat a été progressif.

D'après l'Observatoire économique et social du cheval, en l'espace de dix ans, entre 1998 et 2018, cette consommation s'est littéralement effondrée de 75%. Rien que l'année suivante, entre 2018 et 2019, elle avait remis le couvert en baissant de 15%. En 2019, on estimait que 9,4% des familles françaises en achetaient, ce qui représente six millions de personnes environ. Ce type de viande rouge est d'autant plus anecdotique que la quantité moyenne réclamée auprès du boucher est limitée à moins de deux kilos par an et par foyer.

La consommation de viande chevaline s'amoindrit à mesure que ses adeptes prennent de l'âge. Car il y a un effet générationnel. En 2019, 80% des achats étaient réalisés par des consommateurs âgés de 50 ans et plus.

Ce choix n'a pu que difficilement compter sur d'autres canaux de distribution ; la viande de cheval étant principalement dévorée à domicile (87,5%) et rarement en restauration. L'effet se remarque d'autant plus que ce type de consommation est un marqueur culturel que l'on attribue surtout au Nord et à la Picardie et dans une moindre mesure à l'Ile-de-France, à une partie de la Normandie et de la Bourgogne.

L'Hippophagie: Une Pratique Questionnée à Travers l'Histoire

La consommation de viande chevaline, autrement nommée hippophagie, possède une histoire singulière au regard d’autres consommations de viande. Le statut symbolique de l’animal, autant que sa relation si particulière à l’homme, explique en partie le fait que l’hippophagie soit une pratique sans cesse questionnée à travers les époques.

Avant d’être domestiqués, il y a environ six mille ans, les chevaux sauvages étaient chassés par nos ancêtres préhistoriques dans le but de consommer leur viande. Des éléments attestant de cette consommation ont ainsi été retrouvés en Europe, dans le Proche- et Moyen-Orient, en Asie centrale et en Asie du sud-est.

Suivant les régions du monde, la consommation de viande de cheval s’est parfois progressivement minorée ou arrêtée, pour des raisons principalement symboliques, d’ordre religieux, social ou culturel.

Rejet de l'Hippophagie dans les Civilisations Anciennes

En accordant à l’animal une forte valeur, à la fois symbolique et économique, les civilisations grecques et romaines ont particulièrement rejeté la consommation de viande chevaline. A cette même époque, l’hippophagie subsiste néanmoins dans l’ensemble de l’Europe du nord et du nord-ouest, allant de la Gaule à la Scandinavie.

Marginalisation au Moyen Âge

Durant le Moyen Âge, la consommation de viande chevaline continue progressivement à se marginaliser. L’Église chrétienne influence fortement les croyances et les pratiques de cette époque. Si celle-ci n’interdit pas au sens strict la consommation de viande de cheval, un pape, Grégoire III (731-741), condamne l’hippophagie au milieu du Moyen Âge, afin de distinguer le comportement des chrétiens des pratiques des peuples païens, non convertis au christianisme.

Si la proscription religieuse s’est ensuite perdue, l’attitude négative vis-à-vis de la consommation de viande de cheval a demeuré. La pratique s’inscrit alors dans l’inavouable, se consommant durant des phases de famine, et se vit comme une régression. Au cœur de la société féodale, le cheval devient un animal particulièrement important : auprès de la noblesse, à travers l’essor de la chevalerie, et auprès de la paysannerie, pour son rôle utilitaire dans la production agricole.

La Renaissance et les Décrets Royaux

La Renaissance se caractérise par la redécouverte des cultures antiques gréco-romaines et de leurs traditions. Les régions méditerranéennes exercent toujours une domination culturelle sur le reste de l’Europe ; le royaume de France mime alors les pratiques alimentaires de ces régions, et l’exclusion de la viande de cheval est coutumière.

Sous les règnes de Louis XIII (1639), Louis XV (1735, 1739, 1762) et Louis XVI (1780), plusieurs décrets royaux institutionnalisent et renforcent la prohibition autour de la viande chevaline. Ces bannissements sont en partie motivés par des doutes subsistants en termes d’hygiène et de salubrité concernant la viande de cheval.

De la même façon qu’au Moyen Âge, l’hippophagie subsiste néanmoins à l’occasion d’épisodes contraignants, comme des guerres ou des famines. Entre la fin du XVIIIème siècle et le début du XIXème siècle, différentes crises ont conduit à la consommation de viande de cheval.

Les craintes concernant la salubrité de cette chair animale sont progressivement remises en cause. À cette même époque, certaines nations européennes voisines, comme l’Allemagne ou la Belgique, franchissent le pas de la légalisation de la consommation de viande chevaline.

Le Rôle de la Science et de l'Éthique au XIXe Siècle

En France, une partie de la communauté médicale et scientifique de l’époque se positionne en faveur de l’hippophagie. Parmi elle, deux acteurs occupent un rôle prépondérant dans l’acceptation puis le développement de la pratique.

Le premier, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire (1805-1861), est administrateur et professeur au Muséum d’histoire naturelle de Paris. Le second, Emile Decroix (1821-1901), est chef vétérinaire auprès de l’armée française, puis directeur de l’Ecole Nationale Vétérinaire de Maison-Alfort, et a présidé la Société Protectrice des Animaux (SPA).

Geoffroy Saint-Hilaire a dans un premier temps démontré l’innocuité de la viande de cheval. En apportant la preuve que cette viande est sûre, saine et nutritive, il souhaite par la suite faire démocratiser cette viande particulière auprès de certaines couches de la population.

Il considère ainsi le rebus de viande chevaline comme un gâchis et cherche à promouvoir l’idée que cette viande pourrait constituer un apport nutritif et protéique à moindre coût auprès des couches sociales populaires et ouvrières, faiblement consommatrices de viande. Geoffroy Saint-Hilaire multiplie les présentations et propose la viande de cheval au cours de banquets afin de la faire connaître.

Emile Decroix, à la suite de Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, prend à son tour le parti de la cause de l’hippophagie. Ce dernier adjoint aux précédents arguments envers l’hippophagie une dimension éthique. Vétérinaire militaire de carrière, Decroix voit dans l’abattage des chevaux un sort plus favorable que le destin des chevaux âgés ou ayant perdu leur utilité comme force de travail. Au cours des années 1864-1865, Decroix fonde le Comité pour la propagation de la viande de cheval et entreprend une distribution gratuite hebdomadaire de viande de cheval, auprès des nécessiteux.

Le long combat mené par les partisans de l’hippophagie face à leurs opposants prend fin en 1866, par la légalisation de la consommation de viande de cheval pour l’alimentation humaine. Dès lors, le commerce autour de la viande de cheval se met en place, par l’ouverture de boucheries chevalines.

Apogée et Déclin de l'Hippophagie en France

Entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle, la consommation de viande de cheval se trouve à son apogée en France. La pratique s’ancre de façon durable dans les conduites alimentaires des habitants du bassin parisien, du nord et du centre de la France, en particulier dans les zones urbaines et chez les couches populaires et moyennes.

Dans la lutte contre de nombreuses maladies comme la tuberculose, la sphère médicale du début du siècle dernier conseille la consommation de chair animale pour les propriétés supposées du sang. Les prescriptions et les recommandations de consommation de viande de cheval croissent rapidement.

Le nombre de boucheries chevalines augmente considérablement dans Paris et s’étend aux grandes villes de province. À partir de l’année 1904, l’importation de chevaux devient nécessaire pour répondre à cette demande. En 1913, le nombre de boucheries chevalines atteint son sommet, où plus de 300 boucheries sont recensées.

Le climat favorable à l’hippophagie s’estompe cependant durant la seconde moitié du XXème siècle. L’évolution des sciences médicales conduit à limiter la promotion de la viande de cheval pour ses effets « santé ».

De plus, plusieurs crises sanitaires liés à la salmonellose (1967) ou à la trichinose (entre 1975 et 2000) affaiblissent symboliquement la sureté de la consommation de viande de cheval.

Le statut du cheval a également considérablement évolué au cours du XXème siècle, passant d’un animal de travail (transport, labour…) à l’animal domestique, de sport et loisirs. Le rapport homme-cheval se sentimentalise. Dès lors, les associations de protection animale, autrefois défenseures de l’hippophagie, changent de position.

Économiquement, l’accès à la viande s’est démocratisé. Si le prix de la viande de bœuf a diminué, la rendant disponible à toutes les couches de la population, le prix de la viande de cheval a quant à lui augmenté.

Sur le plan de la distribution, les possibilités d’approvisionnement s’amenuisent par la disparition des boucheries chevalines sur l’ensemble du territoire, lié à un déficit d’intérêt pour la profession de boucher.

Dans la dernière décennie, le secteur de la viande chevaline a été marqué par le scandale de 2013, se caractérisant par une fraude internationale ayant fait passer de la viande chevaline pour de la viande bovine. Les conséquences à court terme ont été positives pour la filière, en lien avec une redécouverte du produit auprès de certains consommateurs. Cependant, les conséquences négatives à long terme sont à considérer, le produit étant désormais associé symboliquement au scandale.

Statistiques Clés sur la Consommation et la Production

Voici un aperçu des statistiques clés concernant la viande de cheval en France :

Année Pourcentage de foyers consommateurs Production (tonnes) Importation (tonnes)
2011 20% - -
2016 - - 12 343
2018 - - -
2019 9.4% - -
2021 7% - 7 770
2022 6.9% - 7 090

En mars dernier, la Commission européenne avait déjà enregistré une initiative citoyenne intitulée « Mettre fin à l’ère de l’abattage des chevaux », qui s’attaque également à l’élevage et au transport de longue durée des équidés.

Arguments Pour et Contre l'Interdiction

Récemment, le député Nicolas Dupont-Aignan a présenté une proposition de loi pour en interdire la production et la commercialisation.

Le 4 juillet 2023, l’ancien candidat à l’élection présidentielle et actuel député « Debout la France » Nicolas Dupont-Aignan a présenté une proposition de loi « visant à modifier le statut juridique du cheval, à en interdire l’abattage, le commerce et la consommation de viande sur l’ensemble du territoire français ».

Il faut « adapter le statut du cheval à la réalité d’aujourd’hui », explique-t-il, citant en exemple les chevaux de la Garde républicaine « qui ne sont plus envoyés à l’abattoir en fin de carrière mais peuvent être rachetés par les cavaliers ou confiés, à titre gracieux (depuis 1992), à une association de protection animale ».

Il souhaite ainsi interdire les abattoirs d’exécuter « des opérations d’abattage et de commercialisation de la viande de cheval pour quelque motif et quelque cause que ce soit », ainsi que toute exportation ou importation de cette viande.

Dans une tribune publiée par Le Parisien , une trentaine d’artistes ont affiché leur soutien à cette démarche afin que le cheval soit reconnu comme « un animal de compagnie » et plus comme un « animal de rente dont le destin final est de finir à l’abattoir ».

Une proposition qui passe mal côté éleveurs, alors que depuis des années, la consommation de viande de cheval baisse en France.

« Nicolas Dupont-Aignan ne mesure pas l’impact que pourrait avoir sa proposition », alerte Emmanuel Perrin, président de l’Association nationale du cheval de trait comtois (Anctc), race originaire de la région Franche-Comté et la plus répandu en France.

« Nous avons sauvegardé 9 races de traits (ardennais, auxois, boulonnais, breton, cob normand, comtois, mulassier poitevin, percheron, trait du nord). Elles ont notamment été préservées grâce à la production de viande… Sans finalité de production, elles auraient disparu, observe-t-il.

Actuellement, le paradoxe de la viande de cheval en France, c’est que notre production part à l’export (Italie, Japon), quand on importe majoritairement pour notre propre consommation…

En 2021, une dizaine d’ONG a réclamé à la Commission européenne de radier l’Argentine, l’Australie, l’Uruguay et le Canada de la liste des pays autorisés à exporter de la viande chevaline vers l’Union européenne pour cause de maltraitance. Dans ces pays, les chevaux destinés à la boucherie « vivent un enfer », a estimé l’association Welfarm, qui a mis en ligne des vidéos montrant des chevaux affamés et meurtris.

Welfarm dénonce « des conditions déplorables » et signale de nombreux cas de maltraitance, notamment dans l’abattoir Clay en Uruguay. « Manque d’eau et de nourriture, boiteries, blessures, plaies ouvertes non soignées, animaux émaciés, frappés, parfois très violemment… Autant de faits cachés lors des audits des inspecteurs européens, dont les visites sont toujours annoncées à l’avance dans les abattoirs », commente Ian Fafet, membre de l’ONG.

Dans ces conditions, Welfarm demande « idéalement au niveau européen, au minimum au niveau français » d’interdire les importations de viande chevaline en provenance d’États qui ne respectent pas des normes élevées de protection animale en abattoir.

TAG: #Viand

En savoir plus sur le sujet: