Le cancer est une maladie aux causes multiples. Nous savons que nos comportements et notre environnement comportent de nombreux facteurs qui participent à sa survenue. Si la cigarette est toujours la première et la plus connue des causes évitables de cancer, de nombreux autres facteurs, notamment nutritionnels, ont été identifiés : la sédentarité, le surpoids, la consommation d’alcool ou les régimes trop salés.
Parmi eux, la consommation de charcuterie et de viandes rouges (englobant bœuf, agneau, mouton, cheval et porc) a une place bien particulière : ces aliments sont les seuls, jusqu’à présent, à être directement associés à une augmentation du risque de cancer, si l’on met de côté l’alcool et certains compléments alimentaires, qui ne sont pas - à proprement parler - des aliments.
Viande Rouge et Viande Transformée : Définitions et Distinctions
La « viande rouge » désigne la viande de bœuf, de porc, d’agneau et de chèvre provenant d’animaux domestiqués, y compris celle contenue dans les aliments transformés et dans la plupart des hamburgers. Cette notion n’inclut pas la volaille, le gibier ou les abats (bien que les conséquences de la consommation d’abats ou de gibier sur le risque de cancer ne soient pas connues). La viande rouge comme blanche apporte du zinc et des protéines bien assimilables par l’organisme.
La « viande transformée » désigne la viande conservée par fumage, maturation, salaison ou ajout de conservateurs chimiques. Il s’agit notamment du jambon, du bacon, du salami et de certaines saucisses comme celles de Francfort. Les hot-dogs (saucisses de Francfort), le jambon, les saucisses, le corned-beef, les lanières de bœuf séché, les viandes en conserve et les préparations et les sauces à base de viande font partie des produits de viande transformée, selon le CIRC, qui ne mentionne en revanche pas explicitement les hamburgers. Viande transformée par salaison, maturation, fumaison ou tout autre processus de transformation.
Liens Établis Entre Consommation de Viandes et Cancer
Tout d’abord l’effet délétère, dit « effet promoteur », n’a été démontré que pour les cancers colorectaux. Selon les études publiées en 2011, le risque de développer un cancer du côlon augmenterait de 14 %, et de 30 % dans les cas de cancers du rectum, pour des doses de 100g par jour. Un effet sur des cancers du pancréas (chez l’homme) et de la vessie pour les viandes rouges et charcuteries ainsi que sur les cancers de la prostate et de l’estomac pour les seules charcuteries serait aussi suspecté. Le nombre d’études est néanmoins encore trop faible pour établir des conclusions définitives.
En revanche, pour les cancers du sein, de nombreuses études ont montré clairement qu’il n’était pas possible d’établir un lien entre leur développement et la surconsommation de viandes rouges et de charcuteries. D’autres résultats ont montré que l’effet n’est significatif qu’au-delà d’un certain niveau de consommation.
Recommandations de Consommation
Ainsi, des recommandations internationales émises en 2007 et confirmées en 2011 ont été reprises au niveau national par l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire) et dans le cadre du PNNS (Plan national nutrition santé). Elles conseillent de limiter la consommation de viandes rouges à moins de 500 grammes par semaine, d’alterner avec des viandes blanches, du poisson, des œufs et des légumineuses et de limiter la consommation de charcuterie.
Identifier les Responsables : Le Projet Sécuriviande
Pour le Dr Fabrice Pierre, chercheur de l’unité mixte Toxalim, de l’INRA (Institut national de recherche agronomique) à Toulouse, « l’un des principaux challenges pour les chercheurs est de bien identifier l’agent - ou la combinaison d’agents - responsable(s) de l’effet des viandes rouges sur les cancers ». C’est tout l’objet du projet ANR-ALIA Sécuriviande, coordonné par le Dr Fabrice Pierre, qui s’attache également à décrypter les mécanismes biologiques sous-jacents. Leurs résultats montrent que ceux-ci sont, de manière générale, indirects, complexes, et intriqués !
La transformation des viandes rouges et de la charcuterie dans le tube digestif produit des molécules de différents types qui peuvent avoir une action directe ou indirecte sur l’ADN, une fois entrées dans les cellules. Par exemple, les nitrites, utilisés comme additifs pour la préparation des charcuteries, sont susceptibles de former des molécules nitrosées qui peuvent altérer l’ADN et y induire des mutations à l’origine du processus de cancérisation.
Par ailleurs, le fer hémique, c’est-à-dire le fer associé aux protéines qui forment le cœur de l’hémoglobine, pourrait agir de manière directe en produisant des molécules altérant l’ADN, mais aussi de manière indirecte, notamment en perturbant l’équilibre chimique interne des cellules et en favorisant la formation des composés nitrosés.
La cuisson à haute température, au barbecue par exemple, suspectée depuis très longtemps, ne semble pas avoir un rôle prépondérant dans la survenue du cancer : en effet, même si elle doit être utilisée avec parcimonie, les molécules qu’elle génère dans les viandes (les amines aromatiques hétérocycliques (AAH) et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP)) sont présentes en grande quantité dans les viandes blanches grillées ou dans les céréales, alors même que ces aliments n’ont aucun lien avec l’augmentation du risque de cancers colorectaux. Certains types d’AAH peuvent cependant être incriminés, mais leur effet délétère n’a été à ce jour observé que dans des cas où les patients présentaient un profil génétique particulier.
Comment Évincer les Risques ?
Si une consommation raisonnable de viande est une recommandation que chacun doit suivre, on constate pourtant qu’elle n’est malheureusement pas encore suffisamment adoptée. C’est ce que rappelle le Dr Fabrice Pierre : « plus de 25 % de la population française se place dans le cadre d’une consommation excessive de viande ». À l’échelle de la population générale, cette statistique, compte tenu des facteurs de risque liés à la surconsommation de viandes, représente chaque année des centaines de cas de cancers qui pourraient donc être évités.
L’enjeu est certes de renforcer la connaissance et l’adhésion de la population à ces recommandations. Mais c’est aussi, pour la recherche, de réussir à mettre en place des stratégies pour contrecarrer l’effet délétère de la viande rouge et de la charcuterie sans se priver de l’intérêt nutritionnel de ces produits (fer, vitamine B12).
Le Dr Fabrice Pierre propose des pistes de recherche très concrètes qui sont suivies dans le cadre du projet Sécuriviande : « Beaucoup d’agents, dans l’alimentation, peuvent limiter l’effet de la viande rouge ! Certains antioxydants, certains polyphénols, ou même le calcium peuvent tout à fait inhiber ses effets promoteurs ». Par exemple, le calcium va neutraliser le fer hémique et réduire ainsi son effet délétère direct ou indirect. Certaines vitamines vont quant à elles inhiber la formation des composés nitrosés.
Les travaux actuels s’orientent notamment vers la possibilité de très légèrement modifier les aliments lors de leur production (ajout de calcium ou de tocophérol, une forme de vitamine E). Il est évident que cette démarche, pour se concrétiser, devra s’adapter à de nombreuses contraintes d’aspect, de goût et de sécurité alimentaire. Ainsi la réduction des nitrites en dessous d’un certain seuil, lors de la fabrication de charcuteries, modifie la couleur et le goût, et diminue la durée de conservation des produits…
L’acquisition de nouvelles connaissances sur le sujet va également permettre d’améliorer les messages de prévention. Préciser les recommandations en les adaptant à la culture, aux habitudes alimentaires, à l’état de santé, ou à l’héritage génétique, permet d’espérer une meilleure adhésion de chacun et donc une prévention plus personnalisée et plus efficace.
Viande Transformée et Viande Rouge : Classifications du CIRC
En 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé les viandes transformées (hot-dogs, bacon, jambon, saucisses, charcuterie) dans le groupe 1 des substances cancérogènes, c’est-à-dire une cause « certaine » de cancer, et les viandes rouges fraîches (bœuf, porc, agneau) dans le groupe 2A, c’est-à-dire des substances cancérogènes « probables ».
Les chiffres du CIRC qui ont attiré l’attention du monde entier proviennent de son communiqué de presse accompagnant l’article du Lancet , qui affirmait que la consommation quotidienne de 1,75 once de viande transformée (environ la taille d’une boîte d’allumettes) augmentait le risque de cancer colorectal de 18 %. Or, ces affirmations reposent sur un seul article, une méta-analyse datant de 2011. Et le seul résultat significatif de cette étude était un lien entre le cancer d’une part et la saucisse grillée et la viande de porc d’autre part, et non le bœuf, le mouton ou l’agneau.
En outre, l’affirmation des 18 % est très ténue, car l’article du Lancet ne fait état que d’associations minuscules, appelées « risques relatifs », entre la viande et le cancer : 1,17 pour la viande fraîche et 1,18 pour la viande transformée. Le chiffre 1 indique une relation nulle. Des augmentations de 0,17 et 0,18 sont minuscules.
Risque Absolu vs. Risque Relatif
Pour autant, ces chiffres devraient-ils nous empêcher de manger du steak et du bacon, ne serait-ce qu’à titre de précaution ? On peut en douter. Ces augmentations ne représentent qu’une hausse de 6 % du risque absolu par rapport à un risque de base (pour un homme de 50 ans) qui n’est que de 4 à 5 %, selon le calculateur d’évaluation du risque de cancer colorectal du National Institute of Health (NIH). La consommation de viande fait ainsi passer le risque de 4,50 à 4,68 %.
Limites des Études Épidémiologiques
L’article du Lancet reconnaît les limites de ces études épidémiologiques : « Aucune association claire n’a été observée dans plusieurs des études de haute qualité [sur la viande fraîche] et il est difficile d’exclure des facteurs de confusion résiduels liés à d’autres risques liés à l’alimentation et au mode de vie. » L’article reconnaît également que « les preuves de la cancérogénicité de la consommation de viande rouge chez l’Homme sont limitées ».
Dans les deux cas, comme indiqué ci-dessus, la capacité des données épidémiologiques à établir des relations de cause à effet est considérée comme faible. En 2019, Santé publique France a publié les nouvelles recommandations nutritionnelles destinées à la population adulte française. Elles ont pour objectif d’aider les adultes à faire de meilleurs choix alimentaires et à adopter un mode de vie plus actif. Ces recommandations sont concordantes avec celles de l’INCa.
Alternatives et Précautions
Il est possible de remplacer la viande par d’autres sources de protéines tels que les œufs ou le poisson. Il est toutefois nécessaire de prendre quelques précautions car les apports en fer et vitamine B12 ne seront pas couverts. De plus, il faut consommer plus de poissons, œufs ou légumineuses pour espérer assimiler la même quantité de protéines.
Ainsi, pour diminuer les risques de surconsommation et obéir à tous nos besoins, il est recommandé de varier et de diversifier les sources de protéines en alternant, viande, volaille, œufs, poisson, coquillages et crustacés. En cas de consommation excessive de charcuteries ou de viandes rouges, il est recommandé de réduire autant que possible la taille des portions et la fréquence de consommation, de privilégier la volaille et en alternant dans la semaine avec du poisson, des œufs et des légumes secs.
Consommation en France
En France, par rapport aux repères établis par Santé publique France, 32 % des 18-54 ans mangent trop de viandes rouges (plus de 500 g/semaine) et 63 % mangent trop de charcuteries (plus de 150 g/semaine). En 2014, la moyenne de consommation de viandes rouges chez les adultes de 18 à 79 ans vivant en France est de 47 g/jour soit 329 g par semaine. La consommation moyenne de charcuteries est de 27 g/jour soit 189 g par semaine, 239 g chez les hommes et 146 g chez les femmes.
Conclusion
En conclusion, il est important de consommer de la viande de manière raisonnable et de suivre les recommandations de santé publique. Il est également crucial de diversifier son alimentation et de privilégier d'autres sources de protéines. La recherche continue d'explorer les mécanismes impliqués dans le lien entre la consommation de viande et le risque de cancer, afin de mieux informer les populations et d'améliorer les stratégies de prévention.