Peu connue en France, mais autorisée dans quelques pays, la "viande cellulaire" suscite un vif intérêt médiatique. Mais, de quoi parle-t-il exactement ? Quelle est cette viande et pourquoi tant de personnes s’y intéressent ? Une révolution alimentaire est-elle en marche ? Cet article a pour but d'apporter quelques clés de compréhension pour initier une réflexion et choisir en citoyen-consommateur éclairé.
Qu'est-ce que la viande cellulaire ?
La "viande cellulaire" est un produit de "l’agriculture cellulaire". Étymologiquement, agri vient du latin ager "le champ", absent de ce mode de production, qui se fait en usine. D’autres appellations sont aujourd’hui utilisées : viande artificielle, fausse viande, viande cultivée, viande de synthèse, viande de laboratoire, viande in vitro. On constate aujourd’hui l’utilisation croissante du vocable “viande cultivée”.
La vocation de ces protéines alternatives, telle qu’affichée par leurs promoteurs, est de proposer une alternative, voire de remplacer les produits animaux, à savoir la viande, les poissons, les œufs, le lait et les produits laitiers. On pourrait donc en fait parler de “nouvelles protéines alternatives”, traduisant ici la création d’un nouveau marché, d’une nouvelle industrie.
Sur le plan technique, le process de production de la “viande cultivée” se décrit de manière très simple :
- Prélèvement de cellules sur un animal vivant
- Multiplication/différenciation des cellules dans un bioréacteur contenant un médium de croissance (si on devait faire une analogie, on dirait un “placenta”)
- Organisation des cellules en fibres musculaires, par adhésion à des microstructures (scaffoldings)
En 2013, Mark Post, de l’université de Maastricht (Pays-Bas), produisit le premier morceau de “viande cultivée”, servi dans un hamburger à 325 000 US$.
Contexte et Enjeux
Depuis la présentation en 2013 dans un restaurant londonien du premier steak obtenu à partir de cellules souches, la viande in vitro est souvent présentée comme une solution pour résoudre les problèmes de bien-être animal et de sécurité alimentaire, tout en étant supposée avoir moins d’impacts négatifs sur l’environnement que l’élevage traditionnel. À la croisée de ces deux problématiques se trouvent l’élevage (extensif), et la production animale (élevage intensif ou industriel), qui comme toute activité humaine, émettent des GES : 14,5 % du total mondial d’après la FAO (2013). Il y a alors un terreau favorable à l’émergence de produits dont le narratif marketing peut se nourrir de ce contexte.
Aspect Financier
Sans investissements, impossible de financer la R&D, la construction des usines, de mener les campagnes d’influence visant à l’acceptation du produit par les consommateurs, ou de faire le lobbying nécessaire à l’évolution des réglementations autorisant sa commercialisation. Leur montant cumulé atteindrait à ce jour 2 MdsUS$, dont 1 MdUS$ pour la seule année 2021. Les États-Unis, les Pays-Bas et Israël sont les pays les plus actifs. D’autres suivent, et en France il existe une start-up développant un “foie gras cellulaire”.
Complexité Technique et Compétences Requises
La “viande cultivée” est un produit à forte complexité technique. Les procédés n’étant que peu industrialisés, les besoins en R&D et les challenges à relever sont importants à chaque étape de la production. En termes de compétences, outre les ressources en lobbying et en marketing, les expertises les plus nécessaires à ces entreprises sont donc celles de chercheurs et d’ingénieurs en biotechnologies : biologistes spécialistes des cellules souches, spécialistes de l’ingénierie tissulaire (pour les scaffoldings), ou encore des experts et ingénieurs en génie génétique.
La Viande Cellulaire : Avantages et Inconvénients
Les avantages indiscutables de la viande in vitro seraient de libérer des terres cultivables et de diminuer le nombre d’animaux d’élevage abattus. Cependant, il existe de nombreuses incertitudes sur les avantages nutritionnels et environnementaux de la viande in vitro. Certains auteurs font même valoir que les substituts végétaux sont beaucoup mieux maîtrisés et plus prometteurs.
En réalité, seules les émissions de gaz à effet de serre et la consommation d’énergie ont fait l’objet d’études scientifiques détaillées. Cependant, dans les deux cas, la production de viande in vitro consomme plus d’énergie que la production de volailles ou de porcs, essentiellement pour la fabrication des milieux de culture et pour le chauffage des incubateurs. Par contre, toujours selon ces études, la production in vitro a un pouvoir réchauffant global inférieur à celui de la production de viande de bœuf, essentiellement du fait de l’émission de méthane par les ruminants.
De même, la saveur de la viande provient d’un processus de maturation complexe. Pour l’instant, la viande in vitro ne reproduit pas ces qualités nutritionnelles et sensorielles : elle est pauvre en myoglobine, donc en fer, et doit être assaisonnée avec de nombreux ingrédients pour se rapprocher du goût de la viande.
Acceptation par les Consommateurs
Il faut d’abord noter que la perception des consommateurs varie beaucoup selon les pays, leurs traditions, leur mode de vie et leurs valeurs culturelles. Une enquête de 2019 montre que les intentions d’achat de viande in vitro sont plus marquées en Chine (59%) et en Inde (56%) qu’aux USA (30%).
Une étude plus récente conduite en Allemagne a souligné l’écart entre le souhait « d’essayer le produit » et celui de le consommer régulièrement. Les participants allemands sont plus réceptifs que les français en termes d’acceptation (32,6% vs 20,1%) ou d’intention d’achat (55,7% vs 36,8%). Cette dernière étude confirme un résultat qui fait consensus, à savoir que ce sont les consommateurs jeunes et urbains qui acceptent le mieux la viande de culture.
Statut Réglementaire Actuel
En Europe, la mise sur le marché de ce produit sera encadrée par la législation « Novelfood », car la viande in vitro est considérée comme un nouvel aliment, dont il faudra prouver l’innocuité, y compris pour le matériel utilisé (plastiques, etc.) et le milieu de culture. Pour l’instant, la viande in vitro ne correspond pas à la définition de la viande dans le règlement d’étiquetage européen INCO. Les USA, pour leur part, ont défini récemment un statut réglementaire pour la viande in vitro, dont les étapes de culture seront contrôlées par la FDA (Food and Drug Administration) et les étapes de production et d’étiquetage par l’USDA (département de l’Agriculture des États-Unis).
Le 23 janvier 2024 à Bruxelles, le conseil de l’agriculture a demandé à la Commission européenne de réaliser une étude d’impact sur la viande cellulaire, avant toute autorisation de commercialisation en Europe. La Commission européenne a reconnu que la communauté scientifique manque singulièrement de données sur ce point. Le conseil lui a demandé de ne pas accorder d’autorisation tant que l’étude d’impact n’aura pas été réalisée.
Positions en France et en Europe
En France, les pouvoirs publics restent divisés entre une nécessité de légiférer sur la question et une réticence à embrasser pleinement la technologie de la viande cellulaire, perçue comme une menace pour les méthodes traditionnelles de production alimentaire. Une proposition de loi a été déposée à l’Assemblée nationale le 5 décembre 2023 par le député des Ardennes, Pierre Cordier, visant à interdire la production, la transformation et la commercialisation de viande de synthèse sur le territoire national.
L’ancien Premier ministre Gabriel Attal appelait à une législation européenne claire sur la viande de synthèse tout en la jugeant incompatible avec « notre conception de l’alimentation à la française ».
En Europe, deux demandes de mise sur le marché ont été effectuées. Certains pays misent sur son développement, tandis que l’Italie a voté une loi l’interdisant. Une note commune à l’Autriche, la France et l’Italie estime que les muscles obtenus à partir de cellules cultivées en laboratoire menacent le modèle agricole européen.
Les signataires dénoncent aussi une «menace réelle pour l’élevage ». Tout en rappelant que l’Italie vient d’interdire la production le vente, l’importation et l’exportation de « viande de synthèse », les signataires regrettent que les ministres français chargés de l’agriculture et de l’alimentation ne se soient toujours pas « prononcés contre cette technologie ». Ils dénoncent par ailleurs le financement de Bpifrance, la banque publique d’investissement, de deux entreprises françaises de ce secteur, Vital Meat et Gourmey, à hauteur d’environ 6 millions d’euros sous forme de prêts, d’avances remboursables ou de subventions, « ce qui démontre malheureusement les hésitations des pouvoirs publics ».
La FNB (Fédération Nationale Bovine) "salue cette initiative politique".
Alternatives pour Nourrir le Monde
Plusieurs solutions non exclusives et complémentaires existent. Une première solution consiste à réduire fortement les pertes et gaspillages alimentaires qui représentent environ un tiers des aliments produits. Une seconde solution serait d’augmenter la part des protéines végétales dans nos menus occidentaux aux dépens des protéines animales, sans pour autant supprimer la viande de notre alimentation. On doit aussi promouvoir les formes d’élevage à haute valeur environnementale, basées sur une forte autonomie alimentaire ou fourragère pour les ruminants, ayant ainsi moins recours aux cultures en concurrence avec l’alimentation humaine et aux importations en provenance d’autres régions du globe. Enfin, la modernisation de l’élevage, avec la sélection génétique, l'évolution des pratiques, les économies d’échelle, devraient contribuer à couvrir la demande en produits carnés avec plus d’efficience et un moindre impact environnemental.
Questions Clés pour le Citoyen-Consommateur
- Les hypothèses retenues par les promoteurs de cette industrie sont-elles correctement posées ?
- Sont-ils à même de tenir leurs promesses, par exemple concernant la performance environnementale ?
- Concernant la qualité nutritionnelle et l’impact sur la santé, les garanties sont-elles suffisantes ?
- Comment prévenir les risques de contamination, ou encore d’altération voire de mutation génétique des cellules lors de leur multiplication dans les bioréacteurs ?
- Est-ce la direction que nous voulons prendre ? Voulons-nous vraiment nous nourrir demain sans la Terre ?
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