Si vous êtes végétarien issu d’une société occidentale, il y a fort à parier que vous avez renoncé à la viande car vous vous souciez de l’écologie, du bien-être animal, de la sécurité et de l’équilibre alimentaires, mais aussi d’une plus grande justice sociale au sens large. Alors que si vous êtes un végétarien né en Inde, eh bien, c’est quasiment le contraire !
« Do you eat non-veg? » Voilà une question que les Indiens posent constamment à tout le monde. Car il y a presque autant de réponses que d’individus, entre les « pure veg » qui ne mangent ni viande ni œufs, d’autres qui se disent aussi végétariens mais aiment les œufs et ne refusent pas une cuisse de poulet de temps en temps, ou encore ceux qui mangent végétarien le mardi et le jeudi, mais peuvent consommer de la viande le reste de la semaine.
De l’autre côté, il y a les « non veg » qui ne mangent ni bœuf ni porc et enfin ceux (très rares) qui mangent de tout. Ce concept de « non veg », si central en Inde, n’existe pas dans notre langue, même s’il est très facile à comprendre : les Indiens qualifient de « non végétariens » la viande, le poisson et parfois les œufs, mais jamais les produits laitiers, qui ont toute leur place dans la cuisine végétarienne. Et ils répartissent absolument tous les plats entre ces deux catégories.
Pourtant, d’après une étude nationale de 2014, 30% seulement de la population indienne est végétarienne, ce qui contredit l’image d’un pays majoritairement végétarien. A l’heure où de plus en plus de Français, et d’Occidentaux en général, essaient de réduire, voire de supprimer leur consommation de viande pour des raisons éthiques, certains ont l’impression que les Indiens ont tout inventé.
Dans un article foisonnant publié sur le site indien Scroll, que je vous conseille vivement, les chercheurs Aseem Hasnain (sociologue) et Abhilasha Srivastava (économiste) écrivent : « En Occident, on devient végétarien par un processus délibéré, en questionnant les informations que l’on a reçues sur la consommation et en transformant son comportement au jour le jour.
Cela appelle bien sûr la question miroir: quel genre de personnes sont les Indiens végétariens ? « Un végétarien en Inde est à l’opposé de tout ce qu’est son homologue occidental, répondent les chercheurs. Tout d’abord, une personne a de fortes chances d’être née dans le végétarisme en Inde, basé sur l’acceptation totale d’un savoir reçu [depuis l’enfance] concernant les tabous alimentaires.
J’ajouterais, de manière pratique voire triviale, que la protection de l’environnement est la plupart du temps totalement absente de la réflexion des Indiens végétariens, qui jettent encore énormément de déchets dans l’espace public ou dans la nature - bouteilles vides et paquets de chips jonchent les plus beaux endroits de verdure.
Mais alors, si ce n’est pas pour la protection de la planète, l’empathie avec les animaux ou le désir de manger sain, sur quoi se fonde cette norme du végétarisme en Inde ? En réalité, il s’agit d’une conception conservatrice de « pureté » telle qu’elle est pratiquée par les hautes castes hindoues, brahmanes en tête. Par contraste, le fait de manger de la viande est associé avec les pratiques alimentaires des basses castes ou (pire !) des musulmans.
Par conséquent, une stratégie pour marquer sa distinction en Inde consiste à s’affirmer comme végétarien - voire à devenir végétarien si l’on vient d’une communauté qui ne l’est pas. C’est d’ailleurs ce qui se passe avec l’urbanisation, les nouveaux arrivés abandonnant la viande pour gagner en respectabilité dans leur nouveau quartier et éviter des pratiques d’exclusion sociale.
Par exemple certains immeubles sont tout bonnement interdits aux « non veg ». Autre classique, dans les cantines de certaines entreprises, il serait très malvenu qu’au déjeuner les « non veg » s’assoient aux côtés des « veg ». Ceux-ci s’en plaindraient immédiatement, la mine dégoûtée.
C’est pour ces raisons que je ne suis pas devenue végétarienne : pour ne pas faire le jeu de l’exclusion sociale des omnivores, pour m’opposer au conservatisme et à l’étroitesse d’esprit des hautes castes en Inde. Oui, par passion française pour l’égalité ! Bon, et puis un peu aussi parce que je suis incapable de me discipliner et que rien que l’idée de ne plus jamais manger de saucisson me met les larmes aux yeux.
Le statut de la vache en Inde et la consommation de viande
Attachantes a bien des égards, les vaches ne jouissent toutefois pas du même traitement dans tous les pays du monde. Mais s'il y a bien un pays qui lui voue un culte, c'est l'Inde, puisqu'elle y est, en effet, considérée comme un animal sacré.
Dans ce pays, la vache est un animal considéré comme sacré dans l’hindouisme, l'une des grandes religions. Il est ainsi interdit pour un Indien de consommer sa viande. Il est également interdit de frapper, de contraindre, ou même d'insulter l'animal. C'est pour cela, entre autre, qu'il y a beaucoup de bouchons dans les villes : les vaches se promènent librement où elles veulent, y compris sur les autoroutes, et il est impensable de tenter quoi que ce soit contre elles.
A l'inverse, une personne croyante ne perdra jamais une occasion de lui présenter des signes de respect ou d'hommage s'il croise une vache, en la touchant puis en portant la main à son front.
Il existe de nombreuses explications à cela. Tout d'abord, dans l'hindouisme, la vache est le symbole de la non-violence et de la bienveillance. Elle est associée à différentes divinités, comme Shiva, Indra et Krishna. Figure dominante de l'hindouisme, ce dernier est notamment un dieu pastoral. De nombreux textes relatent ses amours avec les gôpis, un terme qui signifie "gardienne de vaches".
Selon l’Encyclopédie Britannica, "la vénération de la vache remonte à la période védique (approximativement entre le II millénaire av. JC et le VI siècle avant JC) aux temps où les peuples indo-européens sont arrivés en Inde. Ces peuples étant des pasteurs, l’importance de la vache se reflète dans la religion".
De son côté, Clément Bovin explique dans son livre "Taureaux, Vaches sacrées, Vaches folles : de la préhistoire à la corrida" que "de tous les animaux, la vache est le plus sacré parmi les hindous. En réalité, ceux-ci croient que la vache est la personnification de tous les dieux du panthéon et des centres de pèlerinages. Tout ce qui provient de la vache est sacré, y compris bouse et urine".
Il faut dire, en effet, que l'animal fournit cinq produits sacrés : le lait, le lait caillé et le beurre, côté alimentation, plus l’urine et la bouse, utilisés pour purifier, ou comme combustible. Cela fait qu'elle est également une figure maternelle, source originelle de toute vie.
Les différentes formes de végétarisme en Inde
- Végétarisme hindou : il interdit la chair animale résultat d'une mise à mort volontaire (viande, poisson), ainsi que les oeufs vu comme le vol de progéniture à sa mère.
- Végétarisme sikh : exclut la viande, l'oeuf.
- Végétarisme jaïnique: selon les "trois M" qui sont "mâmsa" (la chair), "madya" (le vin), et "madhu" (le miel), il est donc interdit au pratiquants de consommer toutes chairs animales, ou tous êtres vivants.
Consommation de viande en Inde
Si la consommation de viande en Inde est nettement inférieure à celle du reste du monde, la majorité des Indiens ne sont pas végétariens, contrairement à l'idée reçue. Selon l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO), l'Inde consomme environ 5,2 kg de viande par habitant par an, et les Etats-Unis, 115 kg par habitant par an.
Selon une étude récente, alors que la consommation de viande est en hausse dans le pays, des stigmates sociaux y sont attachés. Le poulet et le poisson sont les viandes les plus consommées en Inde. La popularité du poulet dans le pays est relativement élevée en raison de sa polyvalence. De plus, le poulet n'est pas associé à des tabous religieux.
L'Inde possède de vastes ressources en bétail et en volaille, qui jouent un rôle vital dans l'amélioration des conditions socio-économiques des masses rurales.
Licious, est une société spécialisée dans la distribution de viande fraiche en ligne livrée directement chez le consommateur. Fondée en 2015 à Bangalore, elle a récemment levé 52 millions de dollars US et est devenue une unicorn (ndlr : c'est-à- dire une start up valorisée à plus d’1 milliard de dollars US). Licious fait partie des premières marques de viande qui ont apporté un début d'organisation dans le secteur de l'industrie de la viande en Inde. La société contrôle toute sa chaîne d’approvisionnement et de livraison jusqu'au dernier kilomètre.
Ainsi, bien que les repas à base de viande soient courant en Inde, vous trouverez aussi facilement des plats végétariens. En réalité cela n'a pas toujours existé en Inde. Alors ce type d'alimentation est devenu courant avec le temps.
La législation relative à l'abattage des bovins en Inde
Dans la Constitution indienne de 1948, il est spécifié que l’agriculture, l’élevage et le commerce des bestiaux sont une prérogative des États fédérés et non du gouvernement central. Au sujet des bovins, il est précisé que ces mêmes États sont incités à prendre des mesures pour « préserver et améliorer les races et interdire l’abattage des vaches, des veaux, et des autres bovins laitiers et de trait4 ». Cette constitution se veut donc à la fois fédérale et séculière.
Chaque État adopte les mesures qui lui semblent les plus appropriées. Les dispositions prises sont donc fortement contrastées et varient en fonction des succès électoraux. Elles vont de l’interdiction totale d’abattre les bovinés au sens large (comme cela est actuellement le cas au Chhattisgarh) à l’absence totale de législation (au Meghalaya par exemple).
Dans leur majorité, les États optent pour une distinction d’espèces : le Gujarat interdit l’abattage des représentants de l’espèce Bos taurus (les bovins au sens strict, autrement dit les vaches et les bœufs) mais autorise celle des représentants de l’espèce Bubalus bubalis (les bufflesses et les buffles).
Le Tamil Nadu, quant à lui, interdit la mise à mort des femelles et des jeunes de la première espèce (les vaches et les veaux donc) mais autorise celle des autres bêtes (bœufs, buffles et bufflesses) à condition que ces dernières soient « improductives » (femelles taries et mâles trop faibles pour tirer la charrue ou la charrette). En faisant abattre une vache au petit matin, Kumar enfreint donc la loi de son État. Cependant, s’il se rendait au Kerala voisin, cet acte serait totalement légal.
Dit simplement, il n’est donc pas formellement interdit d’abattre des bovins en Inde. Les législations locales diffèrent en fonction de nombreux facteurs. Notamment, la structure religieuse et la culture politique des États importent fortement.
Les règles sont plus strictes dans le nord-ouest du pays, également nommé hindu belt, où l’hindouisme est à la fois plus orthodoxe et plus politisé. Elles sont moins coercitives dans les régions à fortes minorités (voire à majorités) chrétiennes et musulmanes, mais également tribales, comme les États du Nord-Est. Certains de ces États multiconfessionnels et souvent fortement empreints de culture communiste, comme le Kerala ou le Bengale-Occidental, ont d’ailleurs fait du sécularisme religieux un de leurs principes de base. En outre, il faut noter que seule la viande de buffle est autorisée à l’exportation par le gouvernement central.
À l’évidence, cette « sacralisation de la vache » n’est pas qu’un phénomène politique : elle prend sa source dans des conceptions culturelles et religieuses anciennes et très ancrées dans la société hindoue. Depuis plusieurs siècles, les hindous ont noué des liens particuliers avec certaines espèces animales.
Le zébu (Bos taurus indicus, ou bœuf à bosse) a vraisemblablement été domestiqué dans la région. À l’époque de l’Inde védique (soit plus d’un millénaire avant notre ère), comme dans de nombreuses autres sociétés agropastorales, les bovins occupent une place de choix. Posséder plusieurs de ces animaux confère un statut à la fois économique et symbolique.
Ce sont alors les brahmanes, autrement dit les prêtres, qui sont les gardiens des troupeaux, utilisant le lait obtenu pour de nombreux rituels. Ils sont également responsables du sacrifice de ces bêtes qui, pendant longtemps, fournissent la seule viande acceptable5. Ce n’est qu’avec l’émergence d’idéologies concurrentes au brahmanisme et promouvant la notion de non-violence, comme le bouddhisme, le jaïnisme ou le mouvement du « renoncement » vers l’an 500 avant notre ère que, pour conserver leur position dominante, les brahmanes évoluent peu à peu, passant du rôle de gardiens et sacrificateurs à celui de protecteurs des bovins.
Pour de nombreux hindous, la vache est assimilée à une mère, voire à une divinité.
Hormis les membres des basses castes (notamment les dalits) et une certaine élite mondialisée, peu d’hindous acceptent de manger du bœuf.
Mais il faut ici préciser ce que l’on entend par « viande de bœuf ». S’agit-il de la viande issue des bovins au sens strict, ou bien cette appellation inclut-elle la viande issue des buffles ? Bien souvent, les deux viandes sont assimilées : de nombreux hindous m’ont dit qu’ils ne pouvaient manger ni l’une ni l’autre. Inversement, ceux qui mangent de l’une acceptent aussi souvent l’autre. Pourtant, la distinction prend parfois plus d’importance.
Ainsi, à Delhi, seule la vente de viande de buffle est autorisée par la loi locale : elle est alors nommée buff. Le géographe Robert Hoffpauir affirme dans les années 1980 que certains groupes tribaux ou intouchables évitent la viande des bovins (au sens strict) mais acceptent celle des buffles (1982 : 227).
Pourtant, si le statut juridique de ces deux viandes diffère, leur signification culturelle est souvent similaire : en quelque sorte, le stigmate associé à la viande de bovin s’est diffusé vers la viande de buffle. Il s’agit bien là d’une assimilation de ces deux viandes, car le statut des animaux vivants est diamétralement opposé. Là où la vache est un animal propitiatoire, associé au monde céleste, le buffle est vu comme un animal malfaisant, associé au monde des enfers. Dans la mythologie, Yama, le dieu de la Mort, se sert d’un buffle comme monture. De la même façon, le démon Mahisha prend l’apparence d’un buffle avant d’être tué par la déesse Kali.
Mais, si le statut symbolique des bêtes vivantes varie, leur usage économique est très similaire. Dans l’économie agraire indienne, l’ensemble des bovinés a pour principale fonction la production de lait. Cette spécialisation s’est même accentuée ces dernières années par le croisement des races locales avec des races européennes à fort rendement laitier.
Par ailleurs, les usages secondaires ont perdu de leur importance : les véhicules motorisés remplacent peu à peu les animaux de trait tandis qu’engrais de synthèse et énergies fossiles concurrencent la bouse dans ses fonctions respectivement de fertilisation et de combustible.
Production et exportation de viande bovine en Inde
La vache, qui est considérée comme sacrée par les hindous en Inde, est aussi au cœur d’intenses polémiques politiques depuis l’accession au pouvoir des nationalistes en 2014 et surtout depuis qu’un Etat indien a interdit, en mars 2015, l’abattage et la consommation de viande bovine.
L’Inde est connue pour être le pays des vaches sacrées. Il y aurait ainsi 300 millions de vaches, de zébus et de buffles dans le pays, dont plus de la moitié de la population de buffles dans le monde. Mais l’Inde est aussi le deuxième exportateur de viandes bovines dans le monde après le Brésil.
Une large partie du bœuf indien est ainsi exportée principalement vers les pays asiatiques. Il s’agit avant tout de viande de buffle puisque l’exportation de vaches est interdite en Inde, même si la contrebande est très importante.
Ces exportations se sont très largement développées depuis le début des années 2000. Elles ont triplé depuis 2009, le bœuf devenant même l’une des premières exportations agricoles indiennes avec le riz basmati avec quelque 20 % du marché mondial, selon la BBC.
Les enjeux politiques et sociaux autour de la consommation de viande bovine
Ces interdictions font l’objet d’un très vif débat en Inde, impliquant même des stars de Bollywood, d’autant que la question des vaches sacrées y est extrêmement sensible à la fois sur le plan culturel, religieux, mais aussi social et économique. Ainsi, en réaction à la législation adoptée au Maharashtra, certains mouvements politiques ont décidé de créer un « Festival du bœuf » à l’échelon national en estimant que cette interdiction du bœuf n’avait pas de justification de nature religieuse.
Cela paraît être d’autant plus le cas que l’enjeu des vaches sacrées est souvent instrumentalisée par les nationalistes hindous pour exercer une pression sur les musulmans et les autres minorités qui consomment du bœuf, comme les chrétiens. Les musulmans en Inde se plaignent d’ailleurs du harcèlement dont ils font l’objet de la part des milices hindoues en raison de leur consommation de bœuf. Il est à noter que ce sont les musulmans qui contrôlent en Inde en large partie le secteur de la viande de bœuf.
Les critiques de la loi du Maharashtra dénoncent également la remise en cause d’une liberté dans le choix de son alimentation. Certains vont aussi jusqu’à parler de discrimination sociale. La viande de bœuf est, en effet, très populaire auprès des Indiens les plus pauvres, ceux qui appartiennent aux basses castes, comme les Dalits (ou Intouchables), car elle est généralement bien moins chère que les autres viandes, telles que le poulet ou la viande de mouton. Le bœuf est d’ailleurs souvent surnommé en Inde les « protéines de l’homme pauvre ».
D’autres estiment même qu’à travers ces législations, les nationalistes hindous cherchent d’une certaine manière à imposer le régime alimentaire des hautes castes au reste des Hindous à partir du moment où les Brahmanes, la caste la plus élevée en Inde, est traditionnellement végétarienne dans de nombreux endroits du pays.
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