Aujourd’hui haut lieu culturel et l’un des plus beaux édifices du sud de l’Oise, le château de Chantilly a vu passer huit siècles d’évènements historiques. Dissimulée dans la forêt, à quelques centaines de mètres du château de Chantilly en bordure d'un étang, la Maison de Sylvie échappe souvent à la curiosité des visiteurs.
Origines et Histoire du Château de Chantilly
L’histoire du château de Chantilly commence au Moyen-Âge. Au départ, il s’agit d’un bâtiment fortifié construit au XIème siècle sur un rocher, au cœur des marécages de la vallée de la Nonette. Quand on voit la douceur de la ville de Chantilly et de son château, difficile de s’imaginer qu’ils se tiennent sur d’anciens marécages !
Le premier propriétaire, Guy de Senlis, est très proche du roi Louis VI, dit Le Gros. Il est en effet son « Bouteiller » officier en charge d’approvisionner la Cour en vin. Pendant presque 300 ans, le château reste entre les mains des Bouteiller de Senlis, jusqu’à la Guerre de Cent ans. Le château est pillé lors de la Grande Jacquerie, une révolte paysanne, en 1358.
Le château est ensuite vendu par Guy de Laval, l’héritier des Bouteiller de Senlis, à la famille d’Orgemont en 1386. Pierre d’Orgemont, le nouveau propriétaire, va entamer des travaux de reconstruction du château. Durant trois générations, le château va rester entre les mains des Orgemont.
Transformations du XVe au XVIIe Siècle
Du XV au XVIIème siècle, la famille de Montmorency va effectuer d’importants travaux de rénovation du château de Chantilly. Avec l’arrivée de la Renaissance en France, de nouveaux styles architecturaux s’imposent. Au début du XVIème siècle, le célèbre connétable de France et proche de François Ier, Anne de Montmorency hérite à son tour du château.
Entre 1557 et 1558, Anne de Montmorency confie les rénovations à l’architecte Jean Bullant. Ce dernier fait construire au pied de la vieille forteresse l’actuel Petit Château, ainsi qu’une terrasse, une statue équestre et sept chapelles. Il dessine également les premiers jardins. Le fils d’Anne de Montmorency, Henri, continue l’œuvre de son père durant toute la seconde partie du XVIème siècle.
Le Refuge de Théophile de Viau
Henri II de Montmorency, le petit-fils d’Anne, et sa femme Marie des Ursins y abriteront le poète Théophile de Viau, condamné à mort. Mais Henri II se révolte contre le roi Louis XIII et il est exécuté tandis que sa femme entre au couvent. Finalement, la reine Anne d’Autriche restitue le château à la plus jeune sœur d’Henri II, Charlotte.
La maison de Sylvie fut aussi refuge pour poète dissident, quand la duchesse de Montmorency y hébergea quelque temps Théophile de Viau au XVIIe siècle : le libertin, dont les Å?uvres sont alors poursuivies par la censure, remercie alors sa protectrice en composant des odes. Odes dans lesquelles elle est chantée sous le nom de Sylvie, qui désigne désormais la bâtisse.
L'Ère du Grand Condé et les Transformations Ultérieures
En 1664, c’est au tour de Louis II de Bourbon-Codé, dit Le Grand Condé, d’investir le château. Avec lui, Chantilly devient un véritable bijou. Il fait appel à André Le Nôtre, le jardinier de Louis XIV, pour moderniser le parc de son château. Le Nôtre dessine un jardin à la française qui deviendra l’une de ses créations préférées.
La cour de Chantilly devient aussi brillante que celle de Versailles : Condé y reçoit de grands auteurs comme La Fontaine, Mesdames de La Fayette et de Sévigné, Bossuet, La Bruyère…Lors des nombreuses fêtes, Molière joue ses pièces comme Les Précieuses ridicules et Tartuffe. Jusque dans les cuisines, où le grand Vatel est maître d’hôtel, tout n’est que raffinement à Chantilly. Jusqu’à sa mort, Condé n’aura de cesse de vouloir améliorer son château. Son fils continuera dans la lignée de son père en modernisant l’édifice.
Durant le siècle des Lumières, le petit-fils du Grand Condé, dit « Monsieur le Duc » aménage les fameuses Grandes Ecuries. Il fait de nombreux embellissements dans le jardin, aujourd’hui disparus. Son fils fait construire dans les années 1770 un hameau qui inspirera Marie-Antoinette pour le sien, à Trianon.
La Révolution et la Restauration
Sous la Révolution, le château est pillé et devient une prison politique. Sans entretien, les jardins se dégradent. Le domaine est démantelé et en partie vendu. En 1830, le duc d’Aumale hérite du château.
Entre 1876 et 1882, il fait reconstruire le Grand Château avec l’architecte Honoré Daumet et y installe son impressionnante collection de livres précieux, aujourd’hui encore conservée à Chantilly. A sa mort en 1897, le duc lègue le château à l’Institut de France.
La Maison de Sylvie : Un Pavillon de Chasse Transformé
Modifié deux siècles plus tard par le duc d'Aumale, dernier habitant du domaine qui y fait ajouter une rotonde, le pavillon de chasse deviendra salle de musée. « Une partie des collections s'y trouvait, avant d'être rapatriée au château il y a une trentaine d'années pour des raisons de sécurité », note Nicole Garnier.
Cette bâtisse construite à la fin du XVIe siècle et son jardin à la française miniature valent pourtant le détour, surtout depuis que l'ensemble a retrouvé cet été tout son lustre au terme de trois années de travaux.
Restauration et Vocation Actuelle
La restauration complète a coûté 3,5 Mâ?¬, partagée entre l'Etat, l'Institut de France et la Fondation pour la sauvegarde et le développement du domaine du prince Aga Khan. L'endroit, qui peut être visité sur rendez-vous, est surtout destiné à accueillir des événements privés. Une émission télé culinaire, Qui sera le prochain grand pâtissier sur France 2, y a ainsi été récemment tournée.
Une extension d'architecture contemporaine, donnant accès au sous-sol où sont abrités cuisine et sanitaires, offre désormais le confort nécessaire à l'organisation de séminaires ou de soirées de gala. Un usage finalement pas si éloigné de la vocation originelle des lieux. « C'était un endroit festif, dédié à la collation. On venait y prendre l'air, au milieu des bois, quand il faisait beau. La maison et ses alentours étaient une étape de pique-nique », indique Nicole Garnier, conservateur général du patrimoine chargée du musée Condé.
Théophile de Viau : Poète et Libertin
Théophile de Viau est l’un des poètes les plus célèbres du XVIIe siècle, et seuls les détours de notre histoire littéraire lui ont fait perdre la place qu’il avait en son temps. C’était, dans les années 1620, le poète le plus en vue, le chef de file de la nouvelle génération, la figure de proue du libertinage « flamboyant », le maître de la poésie personnelle et sensible. Il restera très lu pendant tout le siècle (98 éditions de ses œuvres entre 1621 et 1696). Sa poésie sera longtemps admirée, produira de nombreux échos dans nombre d’autres œuvres.
Il s’est fait connaître dès ses débuts poétiques par l’une des dimensions les plus attachantes de sa poésie : l’art de l’enchantement, à travers la description des spectacles naturels produisant de délicates sensations où la nature est protectrice et complice des émois sentimentaux et sensuels. (Le Matin, La Solitude), poèmes restés célèbres.
Mais c’est un poète qui fait de la politique, qui suit des protecteurs, cherche à se frayer un chemin vers les milieux du pouvoir. Il est protestant d’origine et affiche d’abord une grande liberté de pensée et de vie. Il fera partie vers 1620 du groupe de nobles qui est de l’entourage direct du roi et qui représente une jeunesse brillante, aventureuse, brave, remuante, et provocatrice. Ses amis sont aussi des gens du Palais, des poètes et hommes de lettres aux idées libres. Il se trouve de fait considéré comme le chef d’un groupe qui véhicule plus ou moins consciemment la pensée libertine. La rumeur commence ainsi à enfler contre lui et ni la publication de ses œuvres en 1621, puis de la seconde partie en 1623, où il voit sa meilleure défense, ni sa conversion au catholicisme en 1622, n’empêchent que s’ouvrent des poursuites et un procès retentissant qui le brisera en pleine prospérité.
Le prétexte en a été la publication d’un recueil de poésies licencieuses qu’on lui attribue en partie. Théophile verra concentrer sur sa personne les attaques contre le mouvement libertin. Une procédure alimentée de faux témoignages et fonctionnant par amalgame entraînera une condamnation à mort (1623). Le poète s’est réfugié à Chantilly, chez le duc de Montmorency, qui est intervenu pour lui. On brûle l’effigie de Théophile en place de grève, et il s’enfuit. Il est arrêté près de la frontière, ramené à Paris et jeté en prison où il croupit en attendant un vrai procès. Quand celui-ci arrive en 1625, toute son œuvre est passée au crible, pour lui faire révéler de l’impiété, de l’hérésie, de l’athéisme. En même temps qu’il écrit des factums, des apologies pour sa défense, il donne à sa poésie des intonations poignantes. La nature, l’amour en seront d’autant plus des sujets d’évasion, de nostalgie du bonheur passé. On trouvera tout cela peu ou prou dans la Maison de Sylvie.
"La Maison de Sylvie" : Un Poème Clé
C’est un long poème de 1250 vers, en dix odes, qui a donc été écrit dans la période des épreuves, et fait partie des œuvres poétiques de prison. On a étudié cette œuvre sous certains aspects : sa structure dite baroque de fresque composée et de parcours quelque peu labyrinthique, les métamorphoses qui s’y produisent, les influences du poème sur Le Songe de Vaux de La Fontaine, les rapports entre nature et culture, la contribution de ce poème à la mise en scène des animaux dans la poésie du XVIIe siècle.
Il s’agira ici de proposer quelques interprétations supplémentaires sur ce poème clé, souvent présenté comme une somme abrégée de la poésie de Théophile, ou comme son « véritable testament poétique et spirituel ». Nous irons dans le sens des investigations de ce colloque : quelles images du jardin se déploient ici, en rapport ou non avec les mythologies connues, en apport original dans l’imaginaire et la poésie du siècle ?
Un Jardin Encomiastique
Le premier aspect qui sera ici étudié se rapporte à l’intention première du poème : une dette envers les protecteurs, plus précisément Marie-Félice des Ursins, duchesse de Montmorency. Le poème fait l’éloge de Sylvie, au nom poétique de circonstance, maîtresse des lieux, à travers l’évocation enchantée de son parc de Chantilly. Nous avons affaire à un jardin encomiastique.
Nous verrons ensuite combien, parallèlement à l’éloge, l’évocation de ce jardin et des mythes qu’on y développe, a comme fonction seconde, et peut-être même première, d’apporter un réconfort par l’imagination au poète enfermé et menacé. Une sorte de sursaut à la vie et à la liberté s’effectue par la projection remémorée ou imaginative vers un lieu refuge.
Ici, c’est autre chose ; il s’agit d’un remerciement, d’une dette de reconnaissance envers les Montmorency, qui ont protégé le poète. Théophile avait commencé certaines odes de ce poème, réfugié dans un petit bâtiment, un cabinet, caché discrètement au cœur même du parc de Chantilly. Les spectacles naturels enchanteurs qui l’entouraient alors l’ont inspiré directement. Il avait décidé par reconnaissance d’offrir l’immortalité à ses bienfaiteurs par la poésie. Que peut offrir d’autre un poète traqué et persécuté ?
Observons d’abord ce décor. Théophile, en guise de remerciements et pour donner à l’éloge à la fois plus de force et plus de finesse, invente (ou redécouvre) une formule qui fera des adeptes. Les descriptions, les évocations de lieux enchanteurs et enchantés sont ici eux-mêmes porteurs d’éloge : leur beauté, leur qualité rejaillissent sur leur propriétaire. L’éloge est ainsi d’abord métonymique et cette médiation est le moyen d’une part d’atténuer les effets indésirables de la flatterie, d’autre part d’amplifier les effets souhaités de la reconnaissance. Mais le jardin est habité effectivement par la maîtresse des lieux, Sylvie, qui y occupe souvent une bonne part de ses journées. La formule poétique se complète ainsi : les éléments naturels animés ou inanimés, qui remplissent le parc de leur présence, de significations et de volubilité, font eux-mêmes activement l’éloge de cette sorte de déité qui les subjugue. Cette manière poétique sera reprise dans La Guirlande de Julie, par exemple (1632-1641), où les fleurs parlent et font l’éloge, par une description comparative, de la femme qu’il s’agit de paranympher.
L’antithèse se compense et les désagréments s’effacent par la transposition sur le paysage de la physionomie de la personne louée.
En toutes saisons d’ailleurs le jardin est merveilleusement équilibré. On voit, à partir du cabinet enchanteur dont nous avons parlé, l’hiver être chassé en de magnifiques mouvements du ciel et des vents, le printemps prendre la place en couleurs drapées. Les évocations sont animées, les éléments sont personnifiés, ils s’équilibrent après de courtes luttes. Le jardin devient un locus amoenus ; il ne l’est pas en soi. Il le devient parce que se trouve toujours, malgré la force des éléments, la solution apaisante qui assure toute tranquillité. Dans un vallon secret où courent deux ruisseaux d’argent, la fraîcheur vive et la vivacité des eaux des torrents et des fontaines sont apaisés par un étang qui dort. Les cygnes, qui ne sont pas abandonnés aux éléments, ont un abri pour eux fait dans les gazons. Les oiseaux ne craignent pas le serpent qui viendrait leur dérober leurs œufs. Une action bienfaisante est passée et il va sans dire de qui elle vient. Car c’est un nouvel Éden, habité par une nouvelle Ève. Ce jardin n’est pas fait d’une nature morte totalement lénifiante et mollement voluptueuse. Les bouillants contraires sont mêlés pour s’atténuer ou sont séparés par la présence pacificatrice de la maîtresse des lieux. Sur un fond d’instabilité, la pérennité s’installe.
Sylvie : Une Présence Apaisante
Il l’est d’autant plus quand Sylvie en personne est intégrée à la fresque animée, mais apaisée. Le meilleur moment est celui des demi-teintes, soir qui tombe, aube qui point, moments des accalmies avant et après les pleins de lumière ou de noir. Sylvie par sa présence et par ses gestes suspend le cours des choses.
Autre force qui produit l’apaisement, le regard de Sylvie. Maris-Félice des Ursins n’était pas belle paraît-il. Théophile se garde bien d’en faire le portrait détaillé. Il la montre surtout par ses gestes et par son charme. Nous savons toutefois depuis peu qu’elle a un front de neige.
Le motif du regard de Sylvie, apaisant, rassérénant reviendra souvent dans le poème. La métaphore des éléments contraires (feu et eau), si souvent utilisée par les pétrarquisants, est ici réinvestie par cet ennemi du pétrarquisme, contaminée peut-être par une image mythologique. La nouvelle Ève est aussi une Gorgone de paix. Théophile avait revendiqué pour elle dans la première ode ce que la mythologie gréco-latine avait déjà mis en scène : la nature se pliant aux regards des divinités ou des êtres exceptionnels, Diane animant les arbres de ses sombres regards, les ruisseaux murmurant et discourant au gré d’un faune ou d’une fée, le rocher qui se laisse toucher aux chansons d’Orphée...
Car ce n’est pas seulement d’apaisement qu’il s’agit, mais aussi et surtout d’animation, d’élan de vie.
Sylvie émeut, anime tout ce qu’elle regarde : bel éloge métaphorique de l’encouragement. Elle transforme même à son gré.
Là encore se trouvent réutilisés et réorientés, voire inversés les motifs mythologiques antiques. Les Métamorphoses d’Ovide sont en fond de tableau. Il y avait des tapisseries des Métamorphoses dans le Château de Chantilly. Elles se passent là dans le jardin, aussi accueillant aux réprouvés contemporains qu’aux réprouvés de la Fable, à moins que ce ne soient les mêmes. On verra donc Actéon aux prises avec Diane, Narcisse aimé par Écho (livre III des Métamorphoses), Philomèle changée en rossignol (livre VI) Cycnus, changé en cygne et qui cherche partout son ami Phaéton précipité dans les eaux (Livre III).
Mais voici une nouvelle métamorphose, théophilienne cette fois-ci : Sylvie par ses regards encore, transforme des Tritons du lac en beaux daims blancs. Ce changement bizarre de nature doit avoir au moins comme explication un fait réel : il y avait un cerf blanc dans le parc de Chantilly. Ensuite une observation des mœurs animales : pourquoi ces animaux sont-ils si craintifs, pourquoi ne se voient-ils qu’au hasard, à la dérobée ?
Ainsi la suite marine de Posséidon, sortie de son élément et de sa nature ne sait plus trop où elle est, « s’étonne de se voir cornue /Et comment le poil est venu / Dessus son écaille mouillée ».
Baroque idée retournée que cette métamorphose ! À l’image de la Diane de Capoue qui avait une biche sacrée à sa suite, Sylvie, nouvelle Diane, se fait une escorte de daims blancs. Ils iront sur la neige bientôt et feront le plus bel effet. Diane-Artémis, par colère contre Actéon l’indiscret, qui l’avait vue nue au bain, le change en cerf, que ses chiens vont dévorer ; ici Diane-Sylvie, par un jeu d’inversion, change des divinités marines en animaux terrestres, pour leur bien, pour les sauver sans doute, on le verra. Ceux-ci après les premiers moments d’étonnement sont finalement heureux de porter la couleur, au sens chevaleresque du terme de la Princesse qui les a charmés (le blanc).
Cette métamorphose n’apporte pas qu’un foisonnant écheveau de sens et de multiples sensations.
Bien d’autres matériaux servent à planter ce jardin encomiastique. On voit comment l’éloge se met en place et fonctionne. À partir d’une sensibilité vraie aux spectacles de la nature, « une perception sensible de la vie des êtres qui la peuplent », associées à une ingéniosité qu’on dit « baroque », et qui construit des figures appuyées sur des images de la culture mythologique, le poète équilibre ce qu’il vit et ce qu’il offre. Rien de plus impersonnel que la poésie d’éloge.
Un Lieu Protecteur et de Défense de Soi
Le jardin de Sylvie est une maison, comme le titre du poème l’indique. Bien que ce soit un parc, c’est un lieu protecteur pour tous ceux qui l’habitent, avons-nous vu. Le poète a vécu un temps lui-même dans un refuge de ce parc, ce petit cabinet idyllique qu’il invoque dans les odes VI et VII. Il se remémore maintenant ce refuge à partir de sa prison de la Conciergerie, où on l’a jeté, dans la cellule même qu’avait occupée Ravaillac. Le contraste ne peut pas être plus saisissant. La mémoire fonctionne, en effets salutaires, pour faire réapparaître les moments protégés de l’asile de Chantilly.
Contrepoints aux cauchemars de la prison, les spectacles apaisants du parc permettent une prophylaxie de l’angoisse et de la souffrance. Par-là aussi l’œuvre de Sylvie, nouvelle Flore qui a si bien embelli des lieux, est apaisante. Mais ces souvenirs heureux alternent comme dans un battement naturel avec les évocations noires des malheurs. Tircis, l’ami fidèle, a eu un songe qu’il raconte dans le cabinet enchanté : il y voit des traitements d’horreur et la mort pour son ami, plusieurs fois.
Toute image peut dès lors devenir la traduction de cette situation. Les réemplois mythologiques se précipitent d’ailleurs dans cette fonction. Phaéton, fils du soleil qui a mal conduit son char, a été foudroyé par Zeus et précipité dans le fleuve. C’est une auto-identification du poète qui permet de rendre compte métaphoriquement de sa trajectoire malheureuse récente.
C’est encore là le poète aimé, Tircis, après l’incarcération de Théophile et qu’il imagine ainsi se lamentant de la séparation et de la mort présente.
Refuge apaisant, reflet, miroir de soi et de l’amitié, la maison de Sylvie est donc aussi le lieu transposé où peut se conduire une défense de soi, avec les meilleures illustrations. Ici il faut se blanchir des accusations d’homosexualité et répondre aux « imposteurs / qui, sous des robes de docteurs, / Ont des âmes de sodomites ».
Du lieu fermé de la prison, se projette la souillure de l’accusation, dont on se nettoie par une plongée dans les lieux de métamorphose du parc enchanté.
D’autres réponses à valeur de plaidoyer interviendront de même dans le cours du poème. Bien bassement sans doute, mais nécessairement, il faut à Théophile pendant son procès réaffirmer les fondements qu’il veut présenter comme solide de sa foi catholique. L’inquiétude métaphysique ne lui était certes pas étrangère et la paraphrase qu’il avait donnée du Phédon de Platon (son Traité de l’immortalité de l’âme) le montre bien.
Ce parc est un des plus grands bienfaits divins avec ceux qui le possèdent et ceux qui le peuplent. Le jardin encomiastique sert ainsi d’espace salvateur où le poète peut, comme on l’a vu, projeter ce qu’il veut qu’on croie de lui et en retirer l’avantage d’une authentification. Il mettra ainsi, à l’ode VII, les bienfaits de la nature sous la coupe de la Providence, affirmera tout net que la nature, qui apporte tant de bienfaits, travaille sous le regard de Dieu et selon son autorisation. Ceci en réponse aux accusations de son procès où l’on a continûment et en vain cherché à lui faire avouer qu’il ne reconnaissait d’« autre Dieu que Nature ». Le libertin se purge en ce jardin et Écho qui le cherche, comme elle cherche Narcisse, lui renvoie ses paroles bien rectifiées et bien orthodoxes.
Événements Culturels Actuels
Aujourd’hui, le château est un haut lieu de culture. En plus d’avoir ouvert ses portes au public sous le nom de Musée Condé, il abrite de nombreuses manifestations culturelles. De 1991 à 2011, il accueille le concours international « les Nuits de feu » qui récompense le plus beau feu d’artifice. C’est également en son sein que se déroule le concours d’élégance automobile Chantilly Arts & Elegance Richard Mille, une année sur deux.
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