Le christianisme, à l'instar d'autres religions, exerce une influence sur les habitudes alimentaires de ses fidèles. Il peut contrôler une activité fondamentale de l'être humain, assurant ainsi une emprise sur un aspect vital de l'existence.
Les règles alimentaires représentent un marqueur identitaire puissant, forgeant une identité alimentaire qui distingue un "nous" respectueux des règles d'un "autre" qui ne l'est pas. Il existe deux niveaux de distinction : un "nous" qui se distingue d'un "autre extérieur" et un "nous" qui se distingue d'un "autre intérieur".
Dans le cas présent, la consommation de viande, et plus particulièrement de porc, a servi de marqueur de l'identité chrétienne, permettant aux chrétiens de se démarquer d'autres religions et de distinguer certains chrétiens d'autres au sein même de la foi.
Pour vérifier cette hypothèse, nous examinerons la consommation de viande à trois moments clés de l'histoire du christianisme : le christianisme primitif, l'époque de la Réforme protestante et des missions, et le christianisme contemporain. Nous prendrons en compte tant les faits (qui consomme/ne consomme pas quelle viande ?) que les représentations (qui est réputé consommer/ne pas consommer quelle viande ? et qui accorde quelle valeur à quelle viande ?).
Le Christianisme Primitif
Les premiers siècles du christianisme sont marqués par une double différenciation d'avec le judaïsme et le monde gréco-romain (appelé "païen" dans le Nouveau Testament). Deux débats majeurs ont lieu : au Ier siècle, faut-il manger casher pour être chrétien ? Et dans les deux siècles suivants, faut-il être végétarien pour être chrétien ?
Marquer l’identité chrétienne ad extra
Au Ier siècle, les chrétiens se distinguent par le fait qu'ils mangent plus de viande que les juifs, mais moins que les "païens".
Sont considérés comme chrétiens celles et ceux qui mangent plus de viande que les juifs
Les chrétiens peuvent consommer des viandes interdites aux juifs. Une description motivée se trouve dans le livre des Actes des apôtres (rédigé probablement vers 80-90), qui présente une reconstruction idéale de l'histoire des premières communautés chrétiennes.
Le chapitre 10 met en scène le récit par Céphas-Pierre d'une vision où il reçoit l'ordre de manger les animaux proscrits par la cacherout :
Pierre est appelé à établir un nouveau rapport avec les « païens ». Il passe par la possibilité de manger avec eux et de manger comme eux. Et cela requiert d’abandonner la distinction juive entre des animaux impurs (ceux qu’un juif ne mange pas, comme le porc et le lièvre parmi les quadrupèdes, les oiseaux de proie et toutes les bestioles qui grouillent sur le sol) et des animaux purs (ceux qu’un juif peut manger). Désormais, sont chrétien-ne-s celles et ceux qui mangent plus de sortes de viande que les juifs.
Sont considérés comme chrétiens celles et ceux qui mangent moins de viande que les « païens »
Dans la première lettre aux Corinthiens, Paul recommande de s'abstenir de consommer la "viande des sacrifices", une expression qui renvoie aux pratiques sacrificielles de la religion gréco-romaine.
Fondamentalement, Paul considère que consommer une viande de sacrifice ne présente aucun danger. Cependant, Paul soulève un argument éthique. Cette liberté nouvelle, si elle est légitime, présente des risques, en particulier pour des chrétiens issus du paganisme, et plus particulièrement pour ceux qui accorderaient encore un pouvoir aux idoles. Pour Paul, sont chrétiens celles et ceux qui, s’abstenant de la viande de sacrifice, ne mangent pas certaines viandes que mangent les « païens ».
Sont considérés comme chrétiens celles et ceux que certains « païens » accusent de manger plus de viande qu’eux
Il existe cependant un cas où les chrétiens sont réputés manger plus de viande que les « païens », quand ils sont accusés de cannibalisme par certains Grecs et par certains Romains. Dans la représentation de certains « païens », sont chrétiens celles et ceux qui mangent de la chair humaine, ce qu’eux-mêmes ne feraient jamais.
Marquer des identités chrétiennes ad intra
La possibilité ou l'opportunité de consommer de la viande a également fonctionné comme marqueur identitaire à l'intérieur du christianisme. Nous pouvons mettre en regard de chacune des controverses à propos des autres extérieurs, un débat avec des autres intérieurs, avec d'autres façons de manger en chrétien.
Sont considérés comme chrétiens pour les uns celles et ceux qui mangent comme des juifs, pour d’autres celles et ceux qui mangent comme des « païens », pour d’autres encore celles et ceux qui mangent tantôt comme ceux-ci et tantôt comme ceux-là
Au Ier siècle, le débat interne au christianisme tourne autour de sa relation avec le judaïsme. La question peut être posée en ces termes : « Faut-il être juif pour être chrétien ? » Les débats portent tant sur les doctrines que sur les pratiques. Et parmi toutes les pratiques qui définissent l’identité juive, deux ressortent particulièrement : pour les hommes, la circoncision, et pour tous, le respect de la cacherout. La question de l’identité chrétienne va donc se poser en ces termes : « Faut-il être circoncis pour être chrétien ? Faut-il manger cacher pour être chrétien ? » Les réponses apportées à ces deux questions ont servi de marqueur identitaire permettant de distinguer trois types de chrétiens :
- Les judéo-chrétiens estiment qu’il faut être juif pour être chrétien et donc se faire circoncire et suivre strictement les lois alimentaires juives.
- Paul défend l’universalité du christianisme et son ouverture aux « païens » convertis (les pagano-chrétiens). Paul refuse de soumettre ceux qui ne sont pas juifs aux lois ou aux coutumes juives.
- Enfin, un troisième parti (personnifié par Pierre-Céphas) privilégie la communauté locale. Selon les circonstances et les convives, il se montre tantôt fidèle aux lois juives et tantôt s’en affranchit.
Dans cette perspective, sont donc chrétiens celles et ceux qui, s’étant affranchis des lois de la cacherout, mangent comme les « païens », c’est-à-dire mangent plus de sortes de viande que les juifs.
Sont chrétiens soit les carnivores, soit les végétariens, mais pas les deux
À l’intérieur du christianisme, la question de la consommation de viande a servi de marqueur identitaire entre les chrétiens tenants de la culture du sacrifice et les chrétiens qui la refusent. Le christianisme primitif doit se positionner par rapport à cette cuisine du sacrifice. Majoritairement, il y participe. Même s’il abandonne les sacrifices, il accepte que les animaux soient mis à mort pour les besoins de l’alimentation. Mais un courant minoritaire la refuse et s’en démarque. En Syrie et en Asie Mineure, les chrétiens ébionites, encratites, marcionites, montanistes, manichéens, aquaristes et les artotyritai choisissent d’épargner la vie des animaux et refusent de consommer de la viande. Ces chrétiens privilégient un régime végétarien, à base de plantes et de fruits, qui intègre notamment les céréales et le pain produit à partir d’elles, et qui inclut les produits laitiers (qui ne nécessitent pas que l’on tue la bête qui les produit).
Le Porc : Un Aliment Controversé
L'interdiction de manger du porc est un point commun entre le judaïsme et l'islam, ce qui n'est pas le cas dans la religion chrétienne. Pourtant, dans un passage de l'Évangile, il est écrit ceci :
Ce passage de la Bible a beaucoup frappé les hommes du Moyen Âge. Pendant des siècles, il a été repris et commenté par les prédicateurs et les théologiens, contribuant ainsi à faire du porc l’un des attributs de Satan. Cette vision négative fut confortée par l'iconographie et les décors sculptés des églises. Le porc incarna alors l'image stéréotypée du péché ou des hommes pécheurs, se conduisant comme des pourceaux.
La sale réputation du cochon
Pourtant, au Moyen Âge, le cochon occupait une place essentielle dans la consommation de viande. À cette époque, en effet, très peu de paysans élevaient des bovins pour la nourriture, car on les utilisait surtout pour les labours et la fumure des champs. Le porc était apprécié, car il était facile à nourrir.
La sale réputation du cochon était aggravée par les troubles qu'il provoquait dans son environnement. Les paysans se plaignaient des dégâts qu'il causait dans les forêts, en cherchant des faines sous les hêtres ou des glands sous les chênes. En ville, les porcs répandaient dans les rues les ordures qu'ils n'avaient pas pu avaler, allant même jusqu'à perturber les cimetières.
Le refus de tout interdit alimentaire absolu de l’Église
Malgré toutes ces références négatives, la consommation du porc n'a jamais été interdite par l'Église, car elle repose sur une doctrine et des pratiques caractérisées par le refus de tout interdit alimentaire absolu. La consommation du porc est même devenue, au fil du temps, une dimension importante de l’identité chrétienne par opposition aux autres religions. À l’époque moderne, lorsque les chrétiens d’origine juive ou musulmane furent soupçonnés d'être restés secrètement fidèles à leur religion antérieure, l’Inquisition fit même de l'interdit concernant la consommation du porc un critère pour repérer les déviances.
Pourquoi certains anciens textes religieux ont interdit la consommation de cochon ?
On a longtemps pensé que c'était pour des raisons sanitaires, mais la vraie raison serait plus complexe. Une des hypothèses, c’est qu’à un certain moment, un certain groupe de population décide de se distinguer des autres et adopte des lois qui vont le différencier de tous les autres. Et parmi ces règles, puisque les autres mangent du cochon, eh bien nous, on n’en mange pas.
La mauvaise réputation du cochon est en fait antérieure à l’islam et au judaïsme. Elle remonte à l’Égypte ancienne, il y a 4 000 ans. Les Égyptiens ont construit un discours mythologique autour des animaux. Et dans leur mythologie, le cochon a plutôt une mauvaise image.
Les humains ont commencé à élever et à manger du porc il y a environ 9 000 ans. Pour les premières communautés sédentarisées, cette viande est une source de protéines facile d’accès. Le cochon produit beaucoup de graisse, sa viande peut se conserver et surtout, les cochons ont un cycle de croissance et de reproduction très rapide. L’élevage de porc a aussi des inconvénients. Une explication économique voudrait que les sociétés de l’âge de bronze aient tout simplement privilégié d’autres animaux, comme le bœuf ou le mouton.
La Consommation de Porc Chez les Chrétiens Aujourd'hui
La consommation de porc chez les chrétiens s’explique par des raisons théologiques, historiques et culturelles. L’une des raisons principales pour lesquelles nous, chrétiens, consommons du porc réside dans les enseignements de Jésus-Christ lui-même. Notre Seigneur a apporté une vision révolutionnaire de la pureté spirituelle, bouleversant les conceptions anciennes. Cette parole profonde a été interprétée comme une levée des restrictions alimentaires de l’Ancien Testament. En effet, Jésus nous invite à nous concentrer sur la pureté du cœur plutôt que sur des interdits alimentaires.
Le Nouveau Testament, en particulier les écrits de Saint Paul, affirme que nous, chrétiens, ne sommes plus sous la Loi mosaïque et ses prescriptions cérémonielles. Il est crucial de comprendre que l’interdiction du porc dans l’Ancien Testament faisait partie des lois cérémonielles, distinctes des lois morales comme les Dix Commandements. Le christianisme met l’accent sur la pureté du cœur plutôt que sur les interdits alimentaires. Cette approche nous invite à une spiritualité plus intérieure, où nos actes et nos intentions priment sur des règles extérieures.
Au final, la consommation de porc chez les chrétiens s’inscrit dans une longue histoire théologique et culturelle. Elle reflète notre compréhension de la Nouvelle Alliance et de l’enseignement du Christ sur la pureté spirituelle. Certaines branches du christianisme, notamment parmi les églises orthodoxes, peuvent toutefois avoir des pratiques et des traditions alimentaires spécifiques.
Mais en Jésus-Christ, l’alliance s’étend à tous les hommes, et les règles et signes qui marquaient cette distinction entre juifs et non-juifs deviennent caduques. Jésus déclare que ce qui rend l’homme impur, c’est ce qui sort de son coeur ! (Marc 7,14-23).
TAG: #Porc