Il est difficile, lorsque vous entendez cette expression très courante, de ne pas vous figurer une table dressée avec des convives tout absorbés par le contenu de leur assiette ! Pourtant, cette assiette-là n’a rien à voir avec un récipient culinaire en porcelaine, mais désigne la position d’équilibre, la manière de se tenir assis, d’être en selle (on parle de « la bonne assiette » d’un cavalier).
Dérivant vraisemblablement de la locution ancienne encore employée par George Sand, « sortir de son assiette » - qui s’appliquait à quelqu’un qui manifestant par sa conduite que son équilibre naturel était rompu, qu’il était « sorti de ses gonds », comme on dirait plus volontiers aujourd’hui -, l’expression « ne pas être dans son assiette » est apparue au XIXe siècle et s’est figée à la forme négative.
Elle peut aussi bien s’appliquer à quelqu’un de fatigué, patraque, qu’à quelqu’un en proie à une idée, un souci qui l’accapare et le déstabilise. Dans tous les cas, physique comme psychologique, c’est l’expression qui semble la plus à même de transcrire un malaise dont la cause n’est pas avérée.
D’entrée de jeu, vous gageriez que cette expression n’a pas vu le jour en période de privations alimentaires… Car toute la question est là : comment le beurre, porteur d’ordinaire de l’idée d’engraisser, enrichir, prospérer (cf. les expressions « faire son beurre », « mettre du beurre dans les épinards », « le beurre et l’argent du beurre ») a-t-il pu prendre, dans cette locution née au début du XXe siècle le sens de ce qui est négligeable, de ce qui n’est pas jugé digne d’être pris en considération ?
Nombreux commentateurs se cassent les dents sur ce beurre, qu’ils vont jusqu’à imaginer employé par confusion avec un autre terme ! Pourtant, Larousse notait au XIXe siècle que quelqu’un était dit « vendre du beurre » lorsqu’il était laissé de côté dans une société, lorsqu’une jeune fille faisait tapisserie à un bal, par exemple.
Et Littré nous tend une très grande perche : « Terre de beurre, elle fondra au soleil : dicton des marins pour désigner un brouillard lointain qu’un œil inexpérimenté prend pour la terre. ». Dire d’une chose qu’elle est « de beurre » (locution attestée depuis le XVIe siècle), reviendrait donc à dire qu’elle est inexistante.
Les enfants, quand ils jouent, pour se démarquer du réel, ne prennent-ils pas soin d’affirmer « c’est pour de faux » ou « c’est pour du beurre »?
Et comme si ce n’était pas assez compliqué d’imaginer du « beurre en branche », vous connaissez des variantes, plus ou moins policées, de cette expression : « pas plus de… que de beurre en broche », « pas plus de… que de beurre aux fesses au cul » !
Dans tous les cas, le sens est limpide, l’idée étant de transcrire une surenchère dans l’inexistence d’une chose : « Il n’y a pas plus de… que de beurre en broche. » Car du beurre mis en broche aura tôt fait de disparaître, de même qu’exposé à la chaleur de différentes parties du corps.
Colin cite, dans son Dictionnaire de l’argot français, « pas plus que de beurre sur la main » qui aurait de loin précédé les fesses et le cul. Et Duneton vient éclairer la locution à partir d’un autre angle, en précisant que « c’est le miel qui est en broche, c’est-à-dire en rayon, au sortir de la ruche » (les « bresches » servant encore aujourd’hui, dans le langage des apiculteurs, à désigner les rayons).
Ces bresches de miel qui, par méconnaissance, furent bientôt transformés en « broche » puis en « branche », n’auraient-elles pas contaminé notre beurre ?
Si encombrée est votre langue par ledit animal qu’elle s’en trouve paralysée, d’où le sens de l’expression : garder un silence obstiné, être empêché de parler. Mais comment ce paisible animal de labour s’est-il donc retrouvé là ?
On pourra facilement justifier, en s’appuyant sur de nombreuses comparaisons où figure l’animal, telles « fort comme un bœuf », « lourd comme un bœuf », « saigner, souffler comme un bœuf », qu’il ait été choisi, par les locuteurs d’une société vouée à l’agriculture, comme symbole du poids le plus puissant, de l’entrave absolue…
À moins qu’on ne préfère voir dans cette locution apparue au XIXe siècle la référence à une coutume qui date de I’Antiquité, où une pièce de monnaie à l’effigie d’un bœuf, placée sur fa langue de quelqu’un, achetait son silence …
De deux choses l’une : ou bien cette expression fait référence à une femme romaine oubliée (si oubliée qu’elle en a même perdu sa majuscule) d’une légendaire bonté, ou bien c’est la salade qui est ici mise en vedette, avec son goût indéniablement savoureux…
La comparaison est apparue au début du XXe siècle, et il semble bien qu’elle soit de nature maraîchère. Désignant une variété de laitue particulièrement croquante, elle devrait son nom selon les uns à son importation d’Italie (on disait alors « laitue romaine »), et, selon d’autres, plus précis et diserts, tel Littré, au fait qu’elle passait pour avoir été rapportée d’Avignon, où résidait la cour pontificale, par le chambellan de Charles V et Charles VI, Bureau de la Rivière.
Est-ce à cette noble origine qu’elle devrait son caractère « bon » ? Ou à son goût unanimement prisé ? En tout cas, « bon comme la romaine » se dit d’une personne d’une grande bonté, d’une extrême gentillesse (on dit aussi, avec le même sens, « bon comme le pain »). Un être tellement bon, même, qu’il en devient la victime idéale de toutes sortes de situations calamiteuses, la proie toute désignée des entourloupes et autres traquenards.
Même si « sabrer le champagne » s’entend beaucoup ces dernières années, et même si, lors d’une fête, il y aura toujours un convive assez téméraire pour entreprendre de montrer aux autres comment, à défaut de sabre, on s’y prend avec un couteau de cuisine pour trancher net un goulot de champagne, l’expression authentique repose bien sur cet inexplicable sable.
Dès le XVIIe siècle, on disait « sabler un verre de vin » au sens de le boire d’un trait, très vite par analogie avec le métal en fusion versé rapidement dans le moule de sable. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’image technique s’appliquait à tout alcool bu d’un trait, « cul sec » comme on dirait aujourd’hui.
Puis l’expression s’est spécialisée dans le champagne, à l’exclusion de tout autre alcool, et a dévié peu à peu vers un sens qui a éliminé toute idée de vitesse, au profit de celle de célébration d’un événement d’importance.
Le mot « cher » remonte au grec kara, la tête, et était employé couramment en ancien français pour désigner le visage. « Faire bonne chère à quelqu’un », c’était donc, au XIIIe siècle, faire bon visage à quelqu’un, bien l’accueillir (et « faire mauvaise chère », mauvais visage).
Pour bien accueillir ses hôtes, on les régalait d’un bon repas, et c’est le sens qu’a bientôt pris la locution. Peu à peu, l’idée de visage et d’accueil se sont retirés du mot, qui a conservé, sans doute sous l’influence de son homonyme, « chair », l’idée de bien manger dans quelques expressions « faire chère lie », « faire gode chère », parmi lesquelles seule « faire bonne chère » a survécu.
Aujourd’hui, le syntagme « bonne chère » existe même isolément de l’expression, puisqu’on peut « aimer la bonne chère », être « amateur de bonne chère », toutes formulations qui suggèrent l’emploi d’ingrédients choisis parmi les meilleurs, en vue de l’élaboration de mets raffinés.
Drôle de légume, vous dites-vous ! Il a une bonne tête, passe par plusieurs couleurs (rouge, vert, blanc) et se décline en de multiples variétés. Il semble même avoir été si omniprésent dans les marmites de nos ancêtres que nombre de locutions en ont gardé trace, parmi lesquelles celle-ci ne vous paraît pas la moins mystérieuse.
« Bête comme chou » (fondé, selon Littré, sur la plaisanterie : il a une tête mais ne pense pas !), « être dans les choux », « faire ses choux gras de quelque chose » (engraisser ses choux, c’est tirer profit de quelque chose), « ménager la chèvre et le chou »… sans compter toutes les locutions qui étaient encore en usage au XIXe siècle et qui ont disparu depuis (« aller à travers choux », « tonner sur les choux », « ramer des choux », etc.).
Dans « faire chou blanc », en revanche, l’existence dudit légume est fortement mise en question. En effet, l’expression qui est apparue au XVIIIe siècle, avec le sens de « subir un échec, ne pas aboutir », viendrait peut-être du jeu de quilles où l’on disait « faire coup blanc » lorsqu’on n’en abattait aucune.
« Choup blanc » en serait la version berrichonne, qui aurait été réinterprétée en un « chou blanc » lequel, s’il paraissait un peu cocasse, avait néanmoins le mérite d’être une forme limpide à tous. Les sceptiques pourront tout de même s’aventurer sur une autre voie et constater, même si cela ne fournit pas la clé de l’expression, que dans « échouer » il y a du chou…
L’origine et le sens premier de cette expression apparue au XVIIe siècle, « être ou vivre comme un coq en pâte », se révèlent quelque peu embarrassants. Littré évoque un coq engraissé avec force pâtée pour être mangé rapidement et cite l’existence de l’expression « coq au panier » avec le même sens.
Furetière assure qu’il s’agirait d’un « homme bien couvert et bien chaudement dans son lit, et qui ne montre que la tête », un coq étant compris comme « un notable bourgeois ». Le Robert des expressions avance qu’il y aurait croisement entre le « coq au panier », « coq de bagage » qu’on transportait au marché avec le plus grand soin, et les viandes qu’on couchait dans un lit de pâte pour constituer des pâtés qui procureraient du bien-être à qui les mangerait…
Mais une expression relevée par Duneton, datée du milieu du XVIIe siècle, n’ouvrirait elle pas une autre voie ? Étant donné que « elle est bonne à mettre en pâte » se disait alors d’une personne grosse et grasse, ne peut-on supposer, pour expliquer notre « coq en pâte », que l’expression se soit appliquée, par ironie, à quelqu’un de gros et gras (bon à mettre en pâte) qui, tel le coq en position dominante dans la basse-cour, faisait admirer son embonpoint à tous ?
Apparue au début du XIXe siècle pour désigner une cuisinière émérite -jamais un cuisinier, malgré son genre masculin -, l’expression est issue du ruban honorifique bleu qui distinguait sous l’Ancien Régime les chevaliers de l’Ordre du Saint-Esprit.
De là, l’expression « cordon bleu » commença à s’employer pour qualifier une chose d’excellence, le nec plus ultra d’un domaine, avant de se spécialiser dans le mérite culinaire. Bref, un peu comme si, aujourd’hui, pour complimenter la maîtresse (ou le maître) de maison pour son excellent repas, on la gratifiait d’un « Vous êtes une légion d’honneur » !
Vous supposez à l’origine de l’expression une allusion culinaire : celui qui est la victime, le dupe, ne se fait-il pas prendre, en définitive, comme un dindon dans une farce ?
Explication tentante pour ce « d’lndon » (la dinde étant originellement la « poulle d’Inde »), mais qui n’est sans doute pas la bonne. En effet, si le sens de « être la victime toute désignée, se faire duper » est sans conteste possible celui de l’expression à partir de la fin du XVIIIe siècle -et surgira même dans son sillage le verbe « dindonner » pour signifier duper, tromper -, la farce en question semble plutôt désigner une plaisanterie, un mauvais tour joué à quelqu’un, le dindon y tenant le rôle qu’on attribuerait plus volontiers de nos jours au pigeon !
Et l’on suggérerait même d’y voir une allusion directe à la fable de La Fontaine, intitulée Le Renard et les Poulets d’Inde, où le rusé renard, pour faire tomber d’un arbre, étourdis, des dindons bons à croquer, leur mime une véritable farce :(Le renard) eut recours à son sac de ruses scélérates, feignit vouloir gravir, se guinda sur ses pattes, puis contrefit le mort, puis le ressuscité. Harlequin n’eût exécuté tant de différents personnages.
Vous ne l’avez pas plus tôt entendue que surgit l’image d’aliments si bien tournés et retournés dans la farine avant d’être jetés dans l’huile de friture qu’on n’en distingue plus la nature exacte. Mais est-ce bien du côté des cuisines qu’il faut chercher l’origine de cette expression ?
Déjà, en latin classique, I’expression ejusdem farinae, de la même farine, servait à désigner deux choses ou deux personnes de même nature, et le français du XVIe siècle la remit en circulation, avec l’idée péjorative que ces choses, ou personnes, ne valaient pas mieux l’une que l’autre.
Mais cette nuance de dénigrement ne suffit pas à expliquer la farine de notre expression, même si l’idée de tromperie est déjà portée par le verbe familier « rouler ». Quitard nous en fournit la clé, en rappelant que, autrefois, au théâtre, ...
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