La question de savoir si Jésus mangeait du porc est complexe et intimement liée aux interdits alimentaires présents dans certaines religions, notamment le judaïsme et l'islam.
L'origine des interdits alimentaires
La consommation de la viande de cochon est proscrite dans plusieurs religions, notamment chez les musulmans, les juifs et les chrétiens d’Éthiopie. Mais pourquoi a-t-on à un moment de l’histoire décrété que cette viande était impure ? "On a l’interdit qui est dans les textes juifs", explique Youri Volokhine, égyptologue, "tu ne mangeras pas de porc parce que… puis d’autres animaux à côté, les explications ne sont pas très claires, donc finalement, on ne sait pas pourquoi. Dans l’islam, c’est pareil, on ne mange pas de cochon parce que c’est interdit point final."
Pendant longtemps, on a cru que les religions avaient interdit la consommation du cochon pour une raison sanitaire. Sa viande se conserve mal dans la chaleur et surtout, elle peut donner des parasites et des maladies lorsqu’elle est mal cuite. Mais en réalité, on n’en savait pas grand-chose dans l’Antiquité.
"Les archéologues ont des hypothèses", selon Youri Volokhine et "une des hypothèses, c’est qu’à un certain moment, un certain groupe de population décide de se distinguer des autres et adopte des lois qui vont le différencier de tous les autres. Et parmi ces règles, puisque les autres mangent du cochon, eh bien nous, on n’en mange pas."
La mauvaise réputation du cochon est en fait antérieure à l’islam et au judaïsme. Elle remonte à l’Égypte ancienne, il y a 4 000 ans. Les Égyptiens ont construit un discours mythologique autour des animaux. Et dans leur mythologie, le cochon a plutôt une mauvaise image. L’animal, réputé vorace et agressif, aurait mangé l'œil du dieu Horus, ce qui lui aurait valu une ostracisation du monde des temples et des rituels. Mais contrairement à ce qu’on a longtemps pensé, les Égyptiens mangeaient bel et bien du cochon. "D’ailleurs, c’est intéressant parce qu’on a un discours qui est mis sur une difficulté faite sur ce que mange le porc", rappelle Youri Volokhine, "on considère que le porc mange des choses suspectes."
Les humains ont commencé à élever et à manger du porc il y a environ 9 000 ans. Pour les premières communautés sédentarisées, cette viande est une source de protéines facile d’accès. Le cochon produit beaucoup de graisse, sa viande peut se conserver et surtout, les cochons ont un cycle de croissance et de reproduction très rapide.
"Il peut recycler des ordures domestiques, rappelle l'archéologue Max Price, auteur de Evolution of a Taboo: Pigs and People in the Ancient Near East (Oxford University Press, 2023), il y a des textes de la période de l’ancienne Babylone autour du début du II millénaire avant J.-C., qui associent les cochons aux latrines et égouts."
L’élevage de porc a aussi des inconvénients. Le cochon est moins mobile, à cause de sa morphologie et de ses petites pattes. On peut difficilement le déplacer en troupeau sur de longues distances, il est donc plus adapté en milieu urbain que rural. Et surtout, hormis sa viande et sa graisse, le cochon ne produit rien d’autre d’utile, comme la laine, et son cuir est réputé de mauvaise qualité.
Une explication économique voudrait que les sociétés de l’âge de bronze aient tout simplement privilégié d’autres animaux, comme le bœuf ou le mouton. Justement, ces deux animaux produisent du cuir ou de la laine en plus de leur viande, ce qui permet des échanges, favorise le commerce et donc l’expansion. Le cochon, lui, aurait été relégué aux catégories les plus pauvres de la population et finalement frappé d’une interdiction religieuse.
Interdiction pour se démarquer
Pour la comprendre, il faut aller dans la région qui correspond aujourd’hui à Israël et aux territoires palestiniens, vers 1 200 avant J.-C. À cette époque, les Israélites, les ancêtres du peuple juif, cohabitent près d’un peuple ennemi : les Philistins. À un certain moment, des villages israélites auraient décrété qu’ils ne mangeraient plus de porc, pour se démarquer de leurs voisins philistins, mais aussi pour s’affirmer en tant que peuple, avec une identité et des habitudes alimentaires communes.
Dans les sites philistins, ils ont retrouvé beaucoup d’os de porc. Au contraire, les sites israélites de la même période et distants parfois de seulement quelques kilomètres n’en comportent quasiment pas. Pour Max Price, "cela suggère, qu’il y a là un changement de regard sur le porc, qu’il y a un choix conscient, ou au moins certaines différences culturelles qui existent entre ces deux peuples très proches géographiquement. Mais ils choisissent de manger une nourriture très différente. Et l’un de ces peuples finit par transcrire ce tabou dans un livre religieux."
L’interdiction de manger du porc est en tout cas écrite explicitement plus tard dans le Lévitique, l’un des livres de la Torah, rédigé entre le 8ᵉ et 7ᵉ siècle avant J.-C. Ce tabou du cochon sera repris par les musulmans et inscrit dans le Coran.
Le sens et l’application de ce tabou a en réalité beaucoup varié, selon les époques et les contextes. Par exemple, Philon d’Alexandrie, un philosophe juif du 1ᵉʳ siècle de notre ère, affirmait que les Juifs ne mangeaient pas de porc car leur viande était trop riche et succulente, et que les juifs devaient s’en priver pour se rapprocher de Dieu. Aux États-Unis aujourd’hui, une majorité des Américains de confession juive mangent du porc.
Le porc dans le christianisme
On sait que l'interdiction de manger du porc est un point commun entre le judaïsme et l'Islam, ce qui n'est pas le cas dans la religion chrétienne. Pourtant, dans un passage de l'Évangile, il est écrit ceci : "Lorsque Jésus fut descendu à terre, un homme de la ville vint à sa rencontre ; il avait des démons depuis assez longtemps. Jésus ordonna aux démons de sortir de cet homme et d’entrer dans un troupeau de porcs qui paissaient dans la montagne toute proche ; ce qu’ils firent. Tandis que le possédé retrouvait ses esprits et se mettait à prier, les porcs, au nombre d’environ deux mille, se précipitèrent du haut de la montagne dans le lac de Tibériade".
Ce passage de la Bible a beaucoup frappé les hommes du Moyen Âge. Pendant des siècles, il a été repris et commenté par les prédicateurs et les théologiens, contribuant ainsi à faire du porc l’un des attributs de Satan. Cette vision négative fut confortée par l'iconographie et les décors sculptés des églises. Le porc incarna alors l'image stéréotypée du péché ou des hommes pécheurs, se conduisant comme des pourceaux.
Sale réputation du cochon au Moyen-Âge
Pourtant, au Moyen Âge, le cochon occupait une place essentielle dans la consommation de viande. À cette époque, en effet, très peu de paysans élevaient des bovins pour la nourriture, car on les utilisait surtout pour les labours et la fumure des champs. Le porc était apprécié, car il était facile à nourrir. Mais cet avantage était aussi la cause des tabous concernant un animal qui n'hésitait pas à absorber des charognes, voire des excréments mélangés à du son.
Les paysans se plaignaient des dégâts qu'il causait dans les forêts, en cherchant des faines sous les hêtres ou des glands sous les chênes. En ville, les porcs répandaient dans les rues les ordures qu'ils n'avaient pas pu avaler, allant même jusqu'à perturber les cimetières. L'historien Michel Pastoureau raconte qu'au début du 13e siècle, Philippe Auguste dût construire un mur suffisamment haut, autour du cimetière des Innocents à Paris, pour empêcher les porcs d’aller y déterrer les cadavres.
Ces animaux étaient aussi la cause de nombreux accidents. En 1131, un cochon vagabond heurta le cheval du prince Philippe, le fils aîné du roi de France Louis VI le Gros. Philippe décéda à la suite de ses blessures. Pour éviter la répétition de ces événements tragiques, dès la fin du 12e siècle, toutes les villes d’Europe prirent des mesures pour limiter, ou pour interdire, la circulation des porcs dans les rues.
Le refus de l'Église de tout interdit alimentaire absolu
Malgré toutes ces références négatives, la consommation du porc n'a jamais été interdite par l'Église, car elle repose sur une doctrine et des pratiques caractérisées par le refus de tout interdit alimentaire absolu. La consommation du porc est même devenue, au fil du temps, une dimension importante de l’identité chrétienne par opposition aux autres religions. À l’époque moderne, lorsque les chrétiens d’origine juive ou musulmane furent soupçonnés d'être restés secrètement fidèles à leur religion antérieure, l’Inquisition fit même de l'interdit concernant la consommation du porc un critère pour repérer les déviances.
Les chrétiens se servent de ce verset pour déclarer licite toute nourriture, en particulier le porc. Selon eux, aucune nourriture n’est impure. Cependant, il suffit de voire le contexte de ce verset pour s'apercevoir du contraire.
En outre, les premiers chrétiens d’origine juive ne mangeaient pas de porc et ils observaient plus largement de nombreuses restrictions quant à la viande en général, contenues également dans le Lévitique, le troisième livre de l’Ancien Testament.
Toutefois, les chrétiens ne sont pas tenus par les préceptes alimentaires de l’Ancien Testament. Dans la « Nouvelle Alliance », plusieurs passages dictent les principes en vigueur. Les évangiles apportent notamment un autre regard sur ce qui est pur et ce qui ne l’est pas : « Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme ; mais ce qui sort de sa bouche, voilà ce qui souille l'homme. » (Matthieu 15:11). Ou encore : « Il n'est rien d'extérieur à l'homme qui, pénétrant en lui, peut le souiller, mais ce qui sort de l'homme, voilà ce qui souille l'homme. » (Marc 7:15).
Dans l’évangile selon Saint Luc 11 : 22 : « Jésus dit ensuite à ses disciples : C’est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni de votre corps de quoi vous serez vêtus. La vie est plus que la nourriture. ».
Dans son Guide des rites, cultures et croyances à l’usage des soignants, Isabelle Lévy écrit que « saint Paul abolit le respect des interdits alimentaires de l’Ancien Testament, de même pour les juifs nouvellement convertis au christianisme et pourtant toujours très attachés à ces préceptes, leur préférant une meilleure entente au sein de la communauté chrétienne (Romains 14, 1-23) », page 158.
Dans Pour comprendre les pratiques religieuses, Isabelle Lévy ajoute que Saint Paul conseille de « marcher selon l’Esprit », cela pour ne pas succomber aux « désirs de la chair » (page 451). Car « si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes point sous la Loi [de l’Ancien Testament] (5, 16-18). « Tout ce qui se vend au marché, mangez-le sans poser de question par motif de conscience, car la terre est au Seigneur et tout ce qui la remplit » (10, 25-26) ; « tout ce que Dieu a créé est bon et aucun aliment n’est à proscrire, si on le prend avec action de grâces » (1 Timothée 4,4).
Enfin selon Yahia Deffous, les autorités religieuses auraient rendu licite la consommation du porc environ deux siècles plus tard (cf. Les interdits alimentaires dans le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam, page 89). Dès lors l’élevage du porc au sein des civilisations chrétiennes n’a fait que croître.
Certains religieux auraient eu une contribution décisive dans la réhabilitation du porc, notamment Saint Antoine au IIIème siècle (cf.Les interdits alimentaires dans le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam, page 92).
Au-delà des considérations religieuses, le porc était déjà largement consommé par les peuples antiques, Egyptiens, Grecs et Romains, ainsi qu’en Gaule.
Certaines branches du christianisme, notamment parmi les églises orthodoxes, peuvent toutefois avoir des pratiques et des traditions alimentaires spécifiques.
Les interdits alimentaires font partie des dispositions de l’alliance que Dieu a conclue avec Israël. Le Lévitique au ch.11, par exemple, stipule parmi toutes les règles par lesquelles le peuple hébreu se rend saint, différent des autres peuples, et se « met à part » pour servir Dieu, la liste des animaux purs ou impurs, propres ou impropres à la consommation (voir aussi Deutéronome ch.14).
Mais en Jésus-Christ, l’alliance s’étend à tous les hommes, et les règles et signes qui marquaient cette distinction entre juifs et non-juifs deviennent caduques. Jésus déclare que ce qui rend l’homme impur, c’est ce qui sort de son coeur ! (Marc 7,14-23).
En donnant cette loi, Dieu ne cherchait pas à faire une carte de menu du jour, ou à donner des directives thérapeutiques de régime à suivre, mais à leur enseigner la sainteté. Toutefois, Jésus a enseigné que la vraie sainteté aux yeux de Dieu va bien au-delà du contenu de son assiette, qu’elle concerne les desseins secrets de nos cœurs, et non ce qu’on mange ou ne mange pas.
« Il n’est hors de l’homme rien qui, entrant en lui, puisse le souiller; mais ce qui sort de l’homme, c’est ce qui le souille. Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende. Lorsqu’il fut entré dans la maison, loin de la foule, ses disciples l’interrogèrent sur cette parabole. Il leur dit: Vous aussi, êtes-vous donc sans intelligence? Ne comprenez-vous pas que rien de ce qui du dehors entre dans l’homme ne peut le souiller? Car cela n’entre pas dans son cœur, mais dans son ventre, puis s’en va dans les lieux secrets, qui purifient tous les aliments. Il dit encore: Ce qui sort de l’homme, c’est ce qui le souille. Car c’est du dedans, c’est du cœur des hommes, que sortent les mauvaises pensées, les adultères, les impudicités, les meurtres, les vols, les cupidités, les méchancetés, la fraude, le dérèglement, le regard envieux, la calomnie, l’orgueil, la folie.
La bible précise bien que « le royaume de Dieu, ce n’est pas le manger et le boire, mais la justice, la paix et la joie, par le Saint-Esprit » (Romains 14:17).
Plusieurs personnes pensent qu’ils peuvent gagner la faveur de Dieu et avoir la vie éternelle en suivant les lois alimentaires de l’Ancien Testament. Mais c’est une incompréhention.
L’une des raisons principales pour lesquelles nous, chrétiens, consommons du porc réside dans les enseignements de Jésus-Christ lui-même. Notre Seigneur a apporté une vision révolutionnaire de la pureté spirituelle, bouleversant les conceptions anciennes.
Cette parole profonde a été interprétée comme une levée des restrictions alimentaires de l’Ancien Testament. En effet, Jésus nous invite à nous concentrer sur la pureté du cœur plutôt que sur des interdits alimentaires.
Le Nouveau Testament, en particulier les écrits de Saint Paul, affirme que nous, chrétiens, ne sommes plus sous la Loi mosaïque et ses prescriptions cérémonielles. Il est crucial de comprendre que l’interdiction du porc dans l’Ancien Testament faisait partie des lois cérémonielles, distinctes des lois morales comme les Dix Commandements. Le christianisme met l’accent sur la pureté du cœur plutôt que sur les interdits alimentaires. Cette approche nous invite à une spiritualité plus intérieure, où nos actes et nos intentions priment sur des règles extérieures.
Elle reflète l’évolution de notre compréhension théologique et de nos pratiques religieuses au fil des siècles. L’interdiction du porc remonte à l’Ancien Testament, notamment dans les livres du Lévitique et du Deutéronome. Cette prescription, antérieure à l’islam et au judaïsme rabbinique, avait probablement des raisons sanitaires ou visait à distinguer le peuple élu des autres nations.
Période | Événement |
---|---|
9000 av. J.-C. | Début de l'élevage et de la consommation du porc. |
1200 av. J.-C. | Différence notable de consommation de porc entre Israélites et Philistins. |
Ier siècle ap. J.-C. | Philosophes juifs justifient l'interdiction du porc par sa richesse. |
IVe siècle ap. J.-C. | Saint Antoine contribue à la réhabilitation du porc. |
Il est fondamental de noter que le porc avait une mauvaise réputation dans l’Égypte ancienne, associé à des mythes négatifs. Cette perception a pu influencer les interdits alimentaires dans la région.
Au final, la consommation de porc chez les chrétiens s’inscrit dans une longue histoire théologique et culturelle. Elle reflète notre compréhension de la Nouvelle Alliance et de l’enseignement du Christ sur la pureté spirituelle.
Dans l'Ancien Testament, l'interdiction de manger du porc (Lévitique 11.7 ; Deutéronome 14.8), fait partie de la Loi mosaïque.
"Car tous ceux qui s'attachent aux œuvres de la loi sont sous la malédiction ; car il est écrit : Maudit est quiconque n'observe pas tout ce qui est écrit dans le livre de la loi, et ne le met pas en pratique. Et que nul ne soit justifié devant Dieu par la loi, cela est évident, puisqu'il est dit : Le juste vivra par la foi. Or, la loi ne procède pas de la foi ; mais elle dit : Celui qui mettra ces choses en pratique vivra par elles.
Chez les Juifs, manger des viandes sacrifiées aux idoles étaient une abomination interdite par la loi (Actes 15.21). Pourquoi en serait-il autrement pour la viande de porc ?
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