Depuis l'essor des aliments ultra-transformés, l'utilisation des additifs alimentaires a considérablement augmenté. Parmi eux, les émulsifiants sont utilisés pour améliorer la texture, la saveur et prolonger la durée de conservation des produits alimentaires.
Où trouve-t-on les émulsifiants ?
On les retrouve dans les biscuits, les desserts industriels, les graisses (crème fraîche, margarine, etc.) et les plats préparés. Ils se cachent même dans certains produits en apparence « sains » tels que des yaourts et certains pains.
Les Carraghénanes (E407 et E407a) : De quoi parle-t-on ?
Les carraghénanes, portant le code E407, sont des polysaccharides naturels extraits d'algues rouges. Sur les étiquettes, cet additif apparaît sous le nom E407 lorsqu’il est raffiné, et E407a lorsqu’il est semi-raffiné. Ils sont incolores, inodores, sans saveur et non digestibles, ce qui les rend populaires comme épaississants et gélifiants dans l'industrie alimentaire. Les carraghénanes permettent de former des gels à chaud et présentent donc un intérêt par rapport aux gélatines animales traditionnelles.
Utilisations courantes des carraghénanes :
- Produits laitiers et alternatives végétales : Yaourts industriels, crèmes desserts, fromages fondus, laits végétaux.
- Charcuteries et plats préparés : Charcuteries industrielles et végétales, plats préparés, soupes et sauces industrielles.
- Autres produits courants : Vinaigrettes industrielles, certains pâtés végétaux ou produits allégés.
- Cosmétiques : Dentifrices, crèmes hydratantes, lotions, gels douche ou gels coiffants.
Comme indiqué ci-dessus, ce sont des agents de texture particulièrement efficaces, très prisés dans l’industrie agroalimentaire. Ils sont souvent utilisés dans des produits allégés, végétariens ou végétaliens, pour reproduire une texture agréable sans ingrédients d’origine animale ni excès calorique.
Préoccupations et Études Récentes
Pourtant, ces dernières années, plusieurs suspicions ont commencé à émerger dans les études. Certains émulsifiants seraient notamment impliqués dans l'inflammation chronique de l'intestin chez les animaux. Chez l'humain, ils sont soupçonnés de favoriser les maladies cardiovasculaires.
Dans un travail publié dans la revue scientifique PLOS Medicine, des épidémiologistes français ont trouvé une association possible entre des additifs de la famille des émulsifiants et le risque de certains cancers. L'étude épidémiologique réalisée par des scientifiques français, du laboratoire EREN-CRESS, se fonde sur l'analyse des repas consommés par des volontaires de la cohorte NutriNet-Santé.
Les résultats publiés dans PLOS Medicine sont fondés sur l'analyse de données de santé de 92 000 adultes faisant partie de la cohorte NutriNet-santé. Entre 2009 et 2021, les participants ont régulièrement renseigné les produits alimentaires et les boissons qu’ils ont consommés à l'aide de questionnaires. À partir de dosages de ces produits en laboratoire, l'équipe a ainsi estimé la quantité moyenne d'émulsifiants ingérés quotidiennement par chaque participant.
Au total, 2 604 personnes ont été diagnostiquées avec un cancer au cours du suivi. Sur une trentaine d'additifs testés, trois sont ressortis comme de potentiels facteurs favorisants : les monoglycérides et diglycérides d'acides gras, nommés E471, et les carraghénanes (E407 et E407a).
Les deux autres additifs (E407 et E407a) étaient quant à eux associés à un risque plus élevé de cancer du sein de 32%. « Un point fort est qu'ils ont tenu compte de la plupart des facteurs de risque « classiques » qui auraient pu interférer avec les résultats comme l'âge, le sexe, le tabagisme, l'activité physique ou encore les antécédents familiaux », souligne Mathilde His, chercheuse au département Prévention Cancer Environnement au Centre Léon Bérard de Lyon.
Autres dangers potentiels :
- Risque accru de cancer du sein.
- Diabète de type 2. La même étude a aussi mis en évidence un risque accru de diabète de type 2 chez les personnes qui consomment régulièrement des produits contenant de l’E407. Ce lien nécessite encore d’être exploré.
- Des effets suggérés sur le microbiote intestinal. D’autres travaux expérimentaux menés sur des modèles animaux ont montré que les carraghénanes pourraient perturber la barrière intestinale, favoriser une inflammation chronique et modifier l’équilibre du microbiote.
Différentes études ont montré un lien entre les carraghénanes dégradés et la promotion du cancer du côlon. Ces études ont conduit le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) à classer les carraghénanes dégradés comme cancérogène possible (groupe 2B). Plus récemment, les résultats d'une étude de cohorte ont montré également qu’une consommation plus élevée de carraghénanes est positivement associée au risque de cancer du sein.
Des études récentes indique que le carraghénane pourraient aussi déclencher ou amplifier l'inflammation dans les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (MICI). Des études supplémentaires doivent être menées pour confirmer l'effet pro-inflammation.
Réglementation Actuelle
À ce jour, les carraghénanes sont autorisés dans l’Union européenne par l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments), qui les considère comme sûrs pour la consommation humaine. Toutefois, par mesure de précaution, leur usage est interdit dans les préparations destinées aux nourrissons de moins de 12 mois. À noter : lors de sa réévaluation en 2018, l’EFSA n’a pas identifié de risque immédiat, mais a souligné certaines incertitudes et demandé des données supplémentaires.
Aux États-Unis, la FDA (Food and Drug Administration) classe également les carraghénanes dans la catégorie “Generally Recognized As Safe” (GRAS). Mais cette position est de plus en plus contestée : plusieurs ONG réclament notamment leur retrait des aliments bios.
En résumé, aucune recommandation stricte ne limite aujourd’hui leur consommation, et aucune dose journalière admissible (DJA) n’a été définie. Mais cela pourrait évoluer avec de nouvelles données scientifiques.
Conseils et Alternatives
Sans tomber dans la psychose, il semble raisonnable de limiter leur consommation, surtout en cas de pathologies chroniques, d’antécédents familiaux de cancer, ou d’alimentation déjà riche en produits ultra-transformés.
Quelques conseils simples, selon Mathilde Touvier :
- Lisez les étiquettes et repérez le code E407.
- Plus généralement, comme le recommande le Programme National Nutrition Santé, choisissez des produits pas ou peu transformés.
- Et privilégiez le fait maison : vous éviterez par la même occasion des dizaines d’autres additifs controversés !
Certains fabricants bio privilégient des recettes sans additifs, même naturels, misant sur des méthodes de transformation plus artisanales.
Conclusion
En résumé, les carraghénanes (E407) sont omniprésents dans notre alimentation industrielle. Naturels, oui. Utiles à l’industrie agro-alimentaire, sans doute. Mais inoffensifs ? Pas sûr. Si aucune réglementation ne les remet encore en question, les récentes études pointent des liens possibles avec certains risques pour la santé.
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