Fin mars, le Comité de prévision de la situation alimentaire et nutritionnelle (CPSA) du ministère de l'Agriculture burkinabè a alerté sur une crise alimentaire et nutritionnelle affectant près de trois millions de Burkinabè. En tout, 2,8 millions de personnes, réparties dans 11 provinces du pays, vivent cette crise alimentaire, indiquait le Comité. Un record, alors que depuis, la situation ne semble guère s'améliorer sur le terrain.
Constat alarmant : Flambée des prix et inflation galopante
Une insoutenable flambée des prix des céréales avec, en toile de fond, une inflation galopante qui n'épargne quasiment aucune denrée de grande consommation. Plus que jamais, la production céréalière est devenue une priorité nationale et elle s'invite dans le débat public autour de plusieurs questions : Qu'est-ce qui fait gripper la machine ? Quels mécanismes alternatifs activer pour satisfaire une demande de plus en plus forte ? Qui doit jouer quel rôle ? Les réponses, des autorités politiques aux consommateurs, en passant par les producteurs, sont loin de converger.
Déficit céréalier : le plus important des cinq dernières années
Lors de la dernière campagne agricole, le gouvernement burkinabè s'est félicité d'une hausse de 3,6 % des superficies emblavées pour la production céréalière. Parallèlement, il s'attendait à une augmentation sensible du rendement, mais il a vite déchanté. Par rapport à la campagne 2020-2021, celle de 2021-2022 a en effet enregistré, selon le Comité de prévision de la situation alimentaire et nutritionnelle, « une baisse de 10 % de la production céréalière, soit environ 4,66 millions de tonnes récoltées ».
L'instance nationale de prévision sur la situation alimentaire note une couverture à seulement 93 % des besoins de consommation annuelle de la population burkinabè. Concrètement, cela signifie qu'il faut combler un gap avoisinant 540 000 tonnes. Il s'agit là du « déficit brut le plus profond des cinq dernières années », s'alarme le Comité de prévision, qui souligne « des disparités entre les provinces et entre les ménages agricoles ».
De manière plus précise, « 19 provinces sont déclarées déficitaires et 52 % des ménages agricoles n'arriveront pas à couvrir les besoins céréaliers avec leur propre production ». De fait, « ils devront recourir au marché pour combler leur déficit », a prévenu le CPSA.
Causes principales de la crise
La contre-performance dans la production céréalière et, de façon générale, dans tout le secteur agricole n'est pas le fruit du hasard. Le CPSA pointe du doigt deux facteurs majeurs : l'insécurité et les chocs climatiques. Tandis que le changement climatique s'est traduit par « de longues séquences sèches et des inondations » qui ont conduit à une baisse de production, l'insécurité, elle, a contraint à des abandons de superficies cultivables.
Producteur de coton et de céréales dans le nord-ouest du Burkina, Sébastien Gala confirme le constat autour de ce sombre tableau. « L'activité agricole a durement été éprouvée lors de la saison écoulée », dit-il. Et d'expliquer que des agriculteurs n'ont pas pu accéder à leurs champs pour semer tandis que d'autres ont dû abandonner leurs cultures pourtant mûres pour les récoltes face à la multiplication des attaques terroristes.
En effet, ces derniers mois, des villages entiers vivant essentiellement de l'agriculture et de l'élevage se sont vidés sous la pression des groupes armés. Selon des données officielles, quelque « 450 000 hectares de surfaces cultivables ont été abandonnés » lors de la dernière campagne agricole.
Impact de la crise sur les prix et l'accès aux céréales
Mis ensemble, tous ces facteurs ont constitué un cocktail explosif sur le marché de l'offre et de la demande. Dans un contexte international rendu difficile par les répercussions du Covid-19 et, tout récemment, par celles de la guerre en Ukraine sur le flux du commerce international, les prix des céréales ont enregistré un impressionnant renchérissement.
Résultat : une bonne partie de la population, entre précarité et revenus limités, n'arrive plus à accéder aux céréales les plus consommées. « Le maïs, par exemple, a connu une flambée de 51 par rapport à la moyenne quinquennale et de 39 % par rapport à la même période de l'année précédente », a indiqué le CPSA. Ainsi, pour se procurer un sac de 50 kilos de maïs, il faut débourser près de 15 000 F CFA, soit 22,80 euros, une somme importante au regard du niveau de vie local.
Le rôle crucial des engrais
L'envolée des prix a révélé combien le secteur des engrais était important. Vendeur de céréales à Katr Yaar, un petit marché de Ouagadougou, Tidjani Mandé justifie la flambée par le coût élevé des engrais, selon ses fournisseurs. « Il nous revient qu'un sac d'engrais avoisine 40 000 francs. Or, il en faut beaucoup pour les productions à grande échelle. À la fin, ce n'est ni la faute des producteurs de fixer haut le prix d'achat de leurs récoltes, ni la faute des commerçants qui vendent cher sur le marché », analyse Tidjani Mandé.
Pour ce commerçant, il relève de la responsabilité de l'État d'œuvrer à la baisse du coût d'accès aux engrais. Mettre à la disposition des agriculteurs des intrants et matériels agricoles de qualité, en quantité, en temps opportun et à des prix accessibles, telle est la mission assignée à la Centrale d'approvisionnement en intrants et en matériels agricoles (Caima). Son département de communication explique que la saison écoulée a été jalonnée de difficultés d'approvisionnement.
La faute de la crise sanitaire liée au Covid-19 qui a désorganisé les transports et les chaînes de production à l'échelle mondiale. « Cela a ouvert la voie à la spéculation », note la Caima, et cela, d'autant plus que « des commerçants qui ont eu recours aux marchés des pays voisins pour importer les intrants ont eux-mêmes imposé leur prix sur le marché local ».
Solutions envisagées pour la saison agricole
Alors que le panier de la ménagère continue de se dégarnir du fait du fossé grandissant entre le pouvoir d'achat et le coût des denrées vitales, la question qui taraude les autorités en place depuis le coup d'État du 24 janvier est bien celle-là : comment parer à l'urgence et à la fois envisager la saison agricole à venir avec sérénité ? Lors d'un point de presse conjoint avec ses collègues de l'Éducation et de la Justice, le ministre du Commerce, Abdoulaye Barry, a esquissé des pistes de solutions allant de la suspension de l'exportation des céréales à l'ouverture d'une centaine de boutiques témoins dans lesquelles celles-ci seraient vendues à des prix subventionnés.
Ainsi, un sac de 50 kilos pourrait être acquis contre la somme de 6 000 de francs CFA, soit 9,14 euros. Au regard des enseignements retenus, le gouvernement pense déjà à comment atténuer le coût des intrants agricoles qui a encore grimpé du fait de la guerre en Ukraine. « Des discussions sont engagées avec les acteurs », a indiqué le ministre du Commerce, Abdoulaye Barry.
Cela dit, « l'urgence est dans l'approvisionnement des stocks d'engrais en quantité suffisante », estime la Centrale d'approvisionnement en intrants et en matériels agricoles, qui envisage à moyen terme d'encourager une production nationale massive à même de permettre de se passer de la Russie, son principal fournisseur.
Autre urgence : le retour des centaines de milliers de petits producteurs déplacés à l'intérieur du territoire burkinabè. « La relance de la production céréalière en dépend fortement », explique Tidjani Mandé, agacé par la dégringolade de son chiffre d'affaires. En attendant, la spéculation est loin d'être contenue sur le marché. « Même les céréales subventionnées se retrouvent parfois dans le circuit de la spéculation par l'entremise de certains commerçants cupides », confie Tidjani Mandé.
Aide alimentaire d'urgence
En juin, l'aide alimentaire a été donnée aux familles démunies des enfants inscrits dans les espaces Amis des enfants, autre projet soutenu par le BICE. « Parmi les 225 ménages bénéficiaires, 150 sont déplacés internes. Chacun a reçu 25 kg de riz et 5 litres d'huile. Ce qui leur permet de garantir des repas pendant une dizaine de jours. Ça peut paraître dérisoire mais c'est une aide nécessaire, indispensable. » Distribuée quelques jours avant la fête de Tabaski***, elle a ainsi permis aux enfants et à leurs parents de célébrer ce moment de partage.
Appel à la solidarité
Inquiet pour l'avenir de son pays et constatant le retrait progressif de l'aide internationale en raison de l'instabilité politique, l'abbé Fidèle Rodrigue Sanon plaide pour que des opérations de soutien alimentaire continuent d'être menées le temps de trouver des solutions de long terme pour assurer la sécurité et le bien-être des populations. « Cette aide est indispensable pour la survie de nombreux Burkinabés. »
Impact de COVID-19
La crise liée au SARS-CoV2 (syndrome respiratoire aigu sévère-coronavirus 2) a donné lieu à une profusion de documents et webinaires sur la sécurité alimentaire au niveau international, ce qui tend à brouiller la compréhension des dynamiques à l’œuvre sur le terrain. Si le commerce mondial des produits de base et la production agricole dans les pays du Sud ont été relativement peu affectés par les mesures de restriction prises pour limiter la propagation du virus, certaines filières de produits périssables ont rencontré des difficultés pour écouler leurs produits. Mais surtout, la crise a mis en exergue la déconnexion entre le monde de la production agricole, du commerce alimentaire et la situation des consommateurs précaires, qui dans les villes et dans le secteur informel ont pris de plein fouet l’arrêt des activités économiques.
Statistiques Clés et Défis
Le nombre de personnes souffrant de la faim en Afrique de l’Ouest et du Centre devrait atteindre le chiffre record de 48 millions de personnes (dont 9 millions d’enfants) l’année prochaine si des solutions urgentes et durables ne sont pas apportées rapidement pour résoudre cette crise. La situation est particulièrement préoccupante dans les zones affectées par les conflits du bassin du lac Tchad et dans la région du Liptako-Gourma (Burkina Faso, Mali et Niger), où 25 500 personnes connaîtront une faim catastrophique (phase 5) pendant la période de soudure de juin à août 2023.
Au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Ghana, en Guinée, en Guinée-Bissau, au Liberia, en Sierra Leone et au Togo, l’analyse de Cadre Harmonisé révèle une augmentation de 20 % de l’insécurité alimentaire au dernier trimestre de 2022, par rapport à la même période l’année dernière.
Le taux de malnutrition aiguë globale dépasse également 10 % dans de nombreuses régions autour du bassin du lac Tchad (Niger, Nigeria et Tchad) et dans les zones frontalières entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger.
La FAO travaille au Burkina Faso en aidant 620 000 personnes à renforcer leurs capacités de production agricole et à protéger leurs moyens de subsistance.
Il est estimé à 3,5 millions le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire au Burkina Faso, soit environ 20 % de la population. Autres causes majeures : les violences et menaces terroristes djihadistes, en particulier dans les régions du Sahel, du Nord et Centre-Nord. Elles limitent l’accès aux terres agricoles, réduisant ainsi la production locale. Elles rendent de surcroît dangereux l’acheminement des denrées vers ces zones.
En Mauritanie et au Tchad, la production céréalière a chuté de 50% par rapport à 2011. Au Mali, la production des céréales dans la région du Sahel occidental sera inférieure de 80% à la production moyenne des années précédentes. Avant le coup d’Etat déjà, plus de 3,5 millions de personnes dans le pays étaient en risque d’insécurité alimentaire. Aujourd’hui ce sont 4,6 millions de personnes qui sont en insécurité alimentaire, dont près de 1,9 millions en insécurité alimentaire sévère.
Tableau Récapitulatif de la Crise Alimentaire
Indicateur | Situation Actuelle |
---|---|
Personnes en insécurité alimentaire | 2.8 millions |
Déficit céréalier | 540 000 tonnes |
Surfaces cultivables abandonnées | 450 000 hectares |
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