Interactions entre compléments alimentaires et pilule contraceptive : ce qu'il faut savoir

Certains aliments, lorsqu’ils sont administrés simultanément avec un médicament, peuvent en modifier l’efficacité, soit en réduisant l’action de celui-ci, soit au contraire en l'amplifiant. On parle alors d’interactions entre un aliment et un médicament. La contraception hormonale comprend les contraceptifs oraux, pilules combinées ou pilules progestatives, mais aussi le patch, l’implant ou l’anneau vaginal. Le risque d’interaction médicamenteuse avec les contraceptifs hormonaux doit être anticipé car il peut conduire à des grossesses non planifiées.

Interactions Alimentaires et Médicamenteuses : L'exemple du miel

Par exemple, les boissons alcoolisées interagissent avec de nombreux médicaments. Certaines études ont évoqué une possible interaction entre les médicaments et le miel. Des scientifiques allemands se sont penchés sur la question de manière plus fine. Ils ont mené une étude incluant vingt volontaires sains. Les participants ont reçu tantôt du miel naturel, tantôt du miel artificiel (du sirop de sucre ressemblant à du miel), à raison de 20 grammes deux fois par jour, sur une période de dix jours. Dans le même temps, ces personnes ont reçu du midazolam, un hypnotique utilisé notamment en anesthésie, à raison de 4 mg par voie orale ainsi que 2 mg par voie intraveineuse (le midazolam est une substance éliminée par le foie et très sensible aux interactions).

Après avoir mesuré les paramètres biologiques permettant d’évaluer la vie du médicament dans l’organisme (les transformations qu’il subit, sa vitesse d’élimination, etc.) et évalué le fonctionnement du foie, les auteurs ont obtenu des résultats similaires quel que soit le type de miel consommé, même après dix jours de consommation.

Les compléments alimentaires : un marché à risque

Faut-il gober tout ce que veulent nous faire avaler les fabricants de compléments alimentaires ? L’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et de la santé) profite de l’occasion pour alerter une nouvelle fois sur les dangers de ces produits hybrides, à la frontière de la médecine et de l’alimentation. « Une grande partie de la population pense à tort qu’en prendre est pertinent pour combler des déficits. Même lorsqu’ils ont une alimentation satisfaisante, certains imaginent que le plus est le mieux, déplore Irène Margaritis, adjointe au directeur de l’évaluation des risques. Or, au contraire, un excès de vitamines et minéraux présente un risque. » Et ce n’est pas le seul problème rencontré avec ce type de produit, encadrés de manière trop lâche.

À la différence des médicaments, leurs fabricants n’ont pas à demander d’autorisation de mise sur le marché. Et leurs principes actifs très variés, qu’ils viennent de plantes, de minéraux ou autres, ne sont pas toujours bien connus. C’est ce que rappelle Aymeric Dopter, chef de l’unité d’évaluation des risques liés à la nutrition : « Pour certains d’entre eux, les connaissances sont maigres. On peut s’interroger sur la pertinence de consommer des substances dont on ne sait pas grand-chose. Sur Internet en particulier, on découvre le côté obscur de ce marché : on vend absolument tout et n’importe quoi ! »

Plusieurs causes de toxicité

Dans le cadre de sa mission de nutrivigilance, l’Anses recueille régulièrement des signalements d’effets indésirables dus à la consommation de compléments alimentaires. Selon Fanny Huret, responsable de cette mission, différentes causes expliquent la toxicité de ces produits. Elle peut venir des ingrédients eux-mêmes. Ainsi, en 2020, des gummies supposés rendre les cheveux brillants ont provoqué des problèmes hépatiques sévères chez 2 consommatrices, dont l’une a dû recevoir une greffe de foie. Le lien entre la consommation du produit et les effets délétères a été jugé « très vraisemblable », mais la raison exacte (interaction entre les ingrédients ou avec leur pilule contraceptive, adultération ou autre) n’a pas pu être déterminée. Les compléments à base de Garcinia cambogia ont, eux, provoqué maints effets indésirables et même un décès : leur substance active est interdite dans les médicaments. Autre exemple, la levure de riz rouge, pour laquelle nous avions montré des problèmes de sous-dosage ou surdosage, peut présenter une toxicité hépatique et musculaire.

Elle peut être la conséquence d’interactions. Ainsi, les compléments à base de mélatonine ou de pavot de Californie, pris en cas de troubles du sommeil, interagissent avec de nombreux médicaments. Les experts citent aussi le cas de cet homme séropositif dont la charge virale était maîtrisée… jusqu’à ce qu’il consomme de banals compléments à base de vitamines et minéraux qui ont interagi avec sa trithérapie. Elle peut avoir pour origine la falsification frauduleuse des principes actifs. De nombreux exemples de ces adultérations ont été mis au jour dans le domaine des compléments minceur ou de ceux à visée érectile. Elle peut enfin s’expliquer par le mésusage. C’est le cas chez ces parents qui, au lieu de se rendre en pharmacie pour se faire délivrer des médicaments, achètent de la vitamine D sur Internet pour leurs bébés et se trompent sur les quantités. À la clé, des conséquences irréversibles pour les reins.

Interactions spécifiques avec la pilule contraceptive

"Le risque est élevé avec les contraceptifs estroprogestatifs faiblement dosés et les microprogestatifs et plus faible avec les contraceptifs estroprogestatifs fortement dosés", précise le réseau français des centres régionaux de pharmacovigilance dans un bulletin de janvier 2020. La raison ? Leur façon d’être absorbé par le corps peut être troublée par certaines interactions. "Ce sont des médicaments qui sont dégradés par une enzyme au niveau du foie avant même d’agir dans l’organisme. Les laboratoires pharmaceutiques en tiennent compte pour déterminer la dose efficace que la patiente doit prendre", détaille la pharmacologue.

Le pamplemousse en trop grande quantité peut provoquer une augmentation des risques d’effets indésirables. "Il va inhiber cet enzyme de dégradation et ainsi augmenter la quantité de médicaments dans le sang. Il est possible de continuer de prendre un verre de jus de pamplemousse de temps en temps (une à deux fois par semaine) mais il est préférable d’éviter les prises en continu, selon l’experte. La passiflore contenue dans les compléments alimentaires et louée pour ses qualités relaxantes peut avoir le même effet. "Sur le même principe, cette plante va activer l’enzyme qui métabolise le médicament. Ainsi, cela va accélérer la dégradation du contraceptif et il y en aura moins dans le sang pour exercer l’action voulue. Par précaution, elle déconseille de suivre une cure de millepertuis de façon concomitante à une contraception hormonale, car les quantités quotidiennes et la concentration du produit risquent de nuire à l’efficacité du contraceptif et causer des grossesses non désirées. L’aubépine, reconnue pour ses vertus contre l’anxiété, peut avoir le même effet. Si vous avez déjà commencé à en consommer et que vous commencez à ressentir des troubles après la prise, "il faut toujours vérifier si ce n’est pas lié aux plantes contenues dans les compléments", conseille l'experte.

Certains compléments alimentaires naturels peuvent diminuer ou augmenter les effets de certains médicaments. En voici quelques exemples :

  • Le millepertuis, une plante Ă  l'activitĂ© antidĂ©pressive, interagit avec plus de 70 substances ou familles de substances ; il est notamment contre-indiquĂ© en cas de prise d'anticoagulants, d'antidĂ©presseurs, d'antiĂ©pileptiques, de pilule contraceptive, de digoxine (utilisĂ© dans le traitement de diverses affections du cĹ“ur), de mĂ©dicaments immunosuppresseurs (qui traitent les maladies auto-immunes) ou d'antiprotĂ©ases (contre le VIH et le virus de l'hĂ©patite C).
  • La taurine, qui peut abaisser la pression sanguine, est Ă  prendre avec prĂ©caution en cas de traitement hypotenseur.
  • La griffe du diable (ou harpagophyton) doit ĂŞtre prise avec prĂ©caution en cas de traitement hypoglycĂ©miant car elle peut abaisser le niveau de sucre sanguin.
  • L'extrait de thĂ© vert, en cas de prise concomitante d'aspirine, peut augmenter le risque de saignements.
  • L'acide alpha-lipoĂŻque, un antioxydant, peut abaisser la glycĂ©mie : il convient donc d'ĂŞtre vigilant en cas de traitement hypoglycĂ©miant.
  • Le GABA (acide gammaaminobutyrique), un neurotransmetteur qui rĂ©gule l'anxiĂ©tĂ©, peut amplifier l'effet des antidĂ©presseurs.
  • Les omĂ©ga 3 et l'ail ne doivent pas ĂŞtre pris en mĂŞme temps que les anticoagulants ou avant une intervention chirurgicale, de par leur capacitĂ© Ă  prĂ©venir la formation de caillots sanguins.
  • Le bacopa, une plante asiatique qui agit sur la mĂ©moire, peut augmenter les effets sĂ©datifs des tranquillisants, barbituriques, benzodiazĂ©pines et opiacĂ©es.
  • La L-tyrosine, un acide aminĂ© bĂ©nĂ©fique sur la fonction cognitive et la rĂ©sistance Ă  l'effort, peut altĂ©rer les effets des traitements de la thyroĂŻde.
  • La niacine, ou vitamine B3, peut interfĂ©rer avec des mĂ©dicaments traitant l'Ă©pilepsie, le cholestĂ©rol, l'hypertension artĂ©rielle, le diabète de type II, les problèmes cardiaques.
  • La valĂ©riane, une plante utilisĂ©e pour favoriser le sommeil, ne doit pas ĂŞtre associĂ©e Ă  un mĂ©dicament sĂ©datif.
  • Le tongkat ali, un arbre utilisĂ© pour stimuler la libido, est contre-indiquĂ© en cas de prise de mĂ©dicaments immunosuppresseurs (qui agissent en rĂ©duisant l'activitĂ© du système immunitaire).

Recommandations et Précautions

L’objectif de cette synthèse est de faire le point sur les médicaments et les aliments à risque d’interaction avec les contraceptifs. La plupart des interactions qui conduisent à une diminution de l’efficacité des contraceptifs hormonaux s’expliquent par l’induction enzymatique hépatique. Les données fondamentales sont en faveur d’une plus grande sensibilité de l’éthynil estradiol (EE) ou de l’estradiol que des progestatifs à cette induction, ce qui explique certaines différences dans les conduites à tenir en fonction de la composition des contraceptifs hormonaux.

Le risque de diminution de l’efficacité contraceptive existe avec tous les contraceptifs hormonaux quelle que soit leur voie d’administration: orale, transdermique (patchs), souscutanée (implant), vaginale (anneau) ou systémique (injectable). En cas d’instauration d’un médicament inducteur enzymatique tel que le millepertuis (sous forme de médicament ou non), certains antiépileptiques (carbamazepine, fosphénytoïne, phénobarbital, phenytoïne, primidone…), certains antituberculeux (rifampicine, rifabutine), certains antirétroviraux, le modafinil, le vémurafenib et le dabrafenib, le bosentan ou l’aprépitant,.. chez une femme sous contraception hormonale, il est recommandé, si le traitement est court, d’instaurer une contraception additionnelle de type mécanique (méthode barrière) pendant toute la durée du traitement et le cycle suivant son arrêt et, si le traitement est long, de choisir une méthode contraceptive non hormonale.

Il n’y a pas d’interaction cliniquement pertinente rapportée, à ce jour, entre les contraceptifs hormonaux et les aliments. En revanche, la consommation de millepertuis (ou St John’s Wort), plante aux vertus antidépressives (y compris en phytothérapie et dans les compléments alimentaires) est contre indiquée car elle diminue l’efficacité de la contraception hormonale (par un mécanisme d’induction enzymatique).

Les médicaments inducteurs enzymatiques n’ont pas d’impact majeur sur l’efficacité des dispositifs intrautérins (DIU) avec progestatifs et une contraception par ces DIU ne contre-indique pas un traitement chronique ou ponctuel par AINS ou par glucocorticoïde. Pour la contraception d’urgence, l’ulipristal acétate a des effets inhibiteurs sur le récepteur de la progestérone, il existe donc un risque de diminution de son efficacité en cas de prise ou de reprise de contraceptif hormonal moins de cinq jours après sa prise. Ainsi, si la prise ou la reprise d’une contraception hormonale est envisagée, il faut utiliser une contraception additionnelle de type mécanique pendant les 12 jours qui suivent la prise de l’ulipristal ou choisir un autre contraceptif d’urgence (lévonorgestrel). Enfin, en cas de prise d’un médicament inducteur enzymatique dans le mois précédent, il est recommandé d’utiliser une contraception d’urgence non hormonale (DIU au cuivre) et, si ce n’est pas possible, de doubler la dose de lévonorgestrel.

Le risque d’interaction et de diminution de l’efficacité contraceptive inhérent à certains médicaments nécessite donc d’être connu des prescripteurs afin d’être pris en compte lors de la prescription de tout nouveau médicament, même pour une durée brève, chez une femme sous contraception hormonale (et ce quelle que soit sa voie d’administration).

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