Chocolat de Claire Denis : Une Analyse Profonde du Colonialisme et de l'Enfance

Chocolat est un film français réalisé par Claire Denis, sorti le 18 mai 1988 en France. C’est le premier film de Claire Denis en tant que réalisatrice, après plusieurs années de collaboration comme première assistante de divers réalisateurs de premier plan (dont notamment Wim Wenders, Jim Jarmusch, Costa-Gavras).

Un Retour aux Sources et aux Souvenirs

France retourne au Cameroun où elle a grandi lorsqu’elle était enfant et se remémore cette période vingt ans après. On devine assez vite, dans la voiture de l'Américain qui l'a prise en stop, à son regard qui balaie le paysage, que la jeune femme cherche à reconnaître quelque chose. Il y a dans ses yeux un zeste de nostalgie. Ensuite, flash-back : France est une petite fille, on la découvre avec ses parents, dans la maison cossue qu’ils habitaient (c’est François Cluzet qui joue le père), entouré d’un personnel noir corvéable à merci.

Son père, commandant d’un poste de gouverneur à Mindif, dans le nord du pays, tente tant bien que mal d’organiser la présence coloniale française. Sa jeune femme vit plus difficilement l’Afrique, notamment ses tâches de maîtresse de maison, bien qu’elle soit aidée par Protée, un « boy » instruit et intelligent qui souffre en silence de la situation de son peuple.

Thématiques Abordées

Inspirée par ses propres souvenirs du pays, où elle passa une partie de son enfance, Claire Denis réalise avec Chocolat une photographie sensitive, à fleur de peau, des derniers instants du colonialisme français, vu à travers les yeux naïfs d’une enfant qui ignore tout des conflits raciaux. Au cœur de ces étendues désertiques et de ces jours sans fin, surgissent un jour l'équipage et les passagers d'un avion en péril. L'arrivée de ces intrus va perturber l'harmonie trompeuse de cette vie et révéler les conflits (coloniaux) et les désirs (sexuels) sous-jacents, sans que rien ne se concrétise, sinon l'éloignement de Protée, qui réprime alors une haine ancienne et profonde.

Derrière ce titre énigmatique se cache une expression désuète : « être chocolat », c’est être trompé. C’est ce sentiment trouble qu’éprouve France (Mireille Perrier) lorsque après des années d’absence elle retourne au Cameroun où elle est née. Prise en stop par un homme noir américain, la jeune femme, submergée par les souvenirs du pays avant son indépendance, laisse affleurer à la surface du présent les bribes de la colonisation française.

La Relation Entre France et Protée

Fleur de peauxCe film raconte la colonisation à hauteur d’enfant. C’est une photographie à fleur de peau, d’une immense sensibilité. Claire Denis (qui signe ici un film en partie autobiographique, elle qui a grandit au Cameroun) interroge le rapport au corps, suggérant le désir qui affleure dans un contexte de ségrégation. Elle montre surtout la lutte silencieuse du boy de la famille, l’homme à tout faire, pour sa dignité. La complicité entre lui et la petite fille, France, est un miracle de cinéma. Survivra-t-elle à la prise de conscience du racisme colonial par le jeune homme ?

Cet homme s’appelle Protée, il est interprété par Isaac de Bankolé. Et l’amitié qui se noue entre lui et la petite fille, jouée par Cécile Ducasse, est une merveille de cinéma. Le cœur du film bat dans cette relation-là. Protée est placide, solide, beau comme un astre. France est curieuse, aux aguets, malicieuse. La complicité entre eux se construit sur mille petits rituels. Notamment cette manie, étonnante mais bigrement belle, visuellement, de disposer des fourmis sur ses tartines de beurre !

Il y a dans Chocolat une expression désuète aux interprétations multiples : « être chocolat », c’est être trompé, se faire avoir. Ici, l’intime et le politique occupent un seul et même territoire.

Analyse Thématique

Claire Denis fait rapidement voler en éclat son microcosme, scellant la fin de l’innocence pour ses personnages. Ténu, quasi mutique, d’une lenteur à la fois déconcertante et hypnotique, ce premier film condense tout ce qui fera la force du cinéma de Claire Denis. Un érotisme nerveux caché sous une grande pudeur, l’apparente froideur d’une mise en scène entièrement vouée à ses interprètes- comme lors d’un tête-à-tête inoubliable entre Cécile Ducasse et Isaach de Bankolé -, une photographie lumineuse capable de révéler toute la violence comme la passion enfouie des êtres, un montage sonore d’une précision impressionnante…

Avec un regard aiguisé, la réalisatrice scrute les névroses de cette famille de colons européens, fonctionnaires dépassés par les mutations du pays. Ténu, quasi mutique, d’une lenteur hypnotique, ce film d’une grande sensualité plastique condense toute la force du cinéma de Claire Denis.

Dans Chocolat, l’Afrique n’est pas une terre étrangère, elle est un monde étrange, occupé par des figures féminines et enfantines, Aimée et France, et dans cette domination du féminin à l’écran transparait un élément de fragilité, sans doute de faiblesse et donc de remise en cause du pouvoir blanc s’il vient à être incarné par une femme et plus encore par une enfant.

France est le fil rouge qui traverse les espaces et le temps, finalement davantage héritière de son père dans son nomadisme exploratoire et sensible (comme le prouve le carnet de croquis de Marc qu’elle garde presque pieusement avec elle lors de son retour), que de sa mère et de sa vaine sédentarité d’apparat.

Le Regard Postcolonial

Chocolat de Claire Denis est l’un de ces films rares qui aborde, à l’ère postcoloniale, la thématique de la conquête, de l’occupation et de la cohabitation des Noirs avec les Blancs en Afrique subsaharienne. Lorsqu’elle écrit et tourne son film, à la fin des années 1980, Claire Denis s’inscrit dans les tropes coloniaux autant qu’elle les contourne pour porter son regard sur un autre horizon qui dépasserait le manichéisme engagé par la confrontation du Noir et du Blanc à l’écran.

Chocolat s’inscrit donc dans une nouvelle tendance des films postcoloniaux français, celle d’une relecture du passé colonial au regard du présent. Les liens entre l’Afrique et la France perdurent, mais leur nature reste floue, ambigüe. Claire Denis, à l’inverse de Francis Girod qui adaptait le roman de Georges Conchon, ne cherche pas à choquer. Avec son style lent, contemplatif, qui s’attache surtout aux mises en scènes des corps, elle cherche plutôt à mettre les choses en perspective sans concession, en adoptant justement le regard d’une enfant dont l’innocence comprend l’intégration de réflexes de race.

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