En ce début 2023, la flambée des prix agricoles, qui a marqué l'année qui vient de s'écouler, semble derrière nous. Les prix des produits les plus affectés, comme les céréales et les oléagineux, ont retrouvé leur niveau de fin 2021. Le prix des céréales était, en effet, 44 % plus haut en décembre 2021 qu'un an plus tôt ; l'augmentation était encore plus spectaculaire pour le blé, dont le prix avait augmenté de près de 80 % entre ces deux dates.
Bien entendu, les causes de ces évolutions sont multiples, mais l'une d'entre elles, pourtant majeure, est rarement évoquée : la politique menée en Chine pour assurer sa sécurité alimentaire.
Le Défi Structurel de la Sécurité Alimentaire en Chine
Avec 18 % de la population mondiale pour seulement 8,6 % des terres arables en 2020, la Chine fait face à un défi quasi structurel de sécurité alimentaire. Cette situation délicate est aggravée par la pollution des eaux et des sols, particulièrement saillante par le passé du fait d'une administration peu regardante. À ces transformations structurelles s'est ajouté l'épisode d'épizootie de peste porcine africaine qui a détruit la moitié du cheptel porcin chinois en 2018. La reconstitution de ce cheptel à partir de 2020-2021 a conduit la Chine à importer beaucoup plus de maïs : plus de 29 millions de tonnes, contre jamais plus de 8 millions par an auparavant.
L'Histoire de la Sécurité Alimentaire en Chine
La sécurité alimentaire est en Chine un souci de longue date, comme en témoignent les niveaux de stocks très élevés à la fin des années 1990. Avec la montée en puissance des importations de produits alimentaires à partir de 2003, l'enjeu de sécurité alimentaire est réapparu dans les préoccupations des autorités chinoises en 2006. En parallèle, les autorités ont progressivement déployé, à partir de 2006, un programme de soutien aux prix, particulièrement généreux pour les producteurs, au point de donner lieu à un différend porté à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et perdu par la Chine. Ce programme aurait été un élément important de la hausse des réserves chinoises temporaires jusqu'à 2010.
Résultat, au cours de la période 2010-2017 la Chine a procédé à une fantastique accumulation de stocks de grains, de sorte qu'aujourd'hui les stocks de l'ensemble des céréales et oléagineux sont estimés à près de 500 millions de tonnes, pour une consommation annuelle de 780 millions de tonnes.
L'Impact Mondial de la Politique de Stockage Chinoise
La politique de stockage chinoise illustre bien les effets secondaires d'une politique nationale sur la sécurité alimentaire mondiale. Du fait de la taille du pays, le stockage chinois de céréales et d'huiles végétales a des répercussions significatives sur les équilibres globaux. Concernant le blé, les stocks chinois représenteraient aujourd'hui environ 20 % de la consommation mondiale, soit 54 % des stocks mondiaux. En plus de la taille de ces stocks, leur détention par la Chine représente un enjeu particulier pour la sécurité alimentaire mondiale.
La théorie économique nous enseigne que les pics de prix sur les marchés agricoles devraient survenir lorsque les stocks sont au plus bas et qu'il n'y a plus que très peu de marges de manœuvre pour faire face à une mauvaise récolte. La crise actuelle est différente car elle intervient à un moment où les stocks sont historiquement hauts. Or, les stocks chinois ne jouent pas aujourd'hui un rôle régulateur pour la sécurité alimentaire mondiale car ils ne réagissent pas aux signaux de prix et aux autres tensions sur les marchés. Mais dans le cas chinois, cela est différent. Lorsque la demande pour l'alimentation animale augmente en Chine à partir de 2020-2021, c'est avant tout les importations qui y répondent, pas les stocks, pourtant abondants.
Les stocks chinois réagissent donc à des objectifs de politique intérieure : assurer un volant de réserves alimentaires au seul bénéfice de la population chinoise.
Restrictions aux Exportations de Fertilisants
Une production mondiale abondante aurait été en 2022 un élément-clé pour sortir de la flambée des prix agricoles. Or, sur cette dimension aussi, une politique chinoise pèse : celle qui concerne les restrictions aux exportations de fertilisants. La Chine a mis en place le 28 août 2021, donc bien avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie, une interdiction, jusqu'au 31 décembre 2022, d'exporter du phosphate rock, ainsi que des licences d'exportation de fertilisants. Dans un contexte d'augmentation des prix de l'énergie (énergie nécessaire à la production de fertilisants azotés) et des fertilisants, la Chine a mis en place ces restrictions à l'exportation pour que sa production de fertilisants soit majoritairement vendue aux fermiers chinois.
Avec ces restrictions, l'offre de fertilisants sur le marché mondial s'est effondrée et leurs prix se sont envolés en août 2021 à partir d'un niveau déjà relativement élevé, dû à la hausse des prix de l'énergie à partir du premier semestre 2021. Les pénuries mondiales de fertilisants en 2021 et 2022 ont limité la production agricole mondiale. Si les hausses des prix de l'énergie sont un des principaux facteurs de ces tensions, les restrictions aux exportations chinoises ont aussi joué un rôle non négligeable et souvent omis.
La Chine, un Acteur Majeur sur les Marchés Agricoles Internationaux
Ces dernières décennies, la Chine est devenue un acteur majeur sur les marchés agricoles internationaux, comme sur de nombreux autres marchés. Au contraire, ce poids plus important s'est accompagné de politiques internes de très grande ampleur conduites sans coordination avec ses partenaires et dans une relative opacité, affectant ainsi un système alimentaire fragile. L'importance de ces réserves chinoises rend d'ailleurs d'autant plus nécessaire l'engagement multilatéral de la Chine sur les enjeux de sécurisation des approvisionnements alimentaires des pays les plus vulnérables.
Cet article est tiré de The Conversation.
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