Quand on en vient à parler de gastronomie bretonne, c’est la question que tout le monde se pose : Crêpe ou galette ? On a tendance à parler de galettes pour les produits salés et de crêpes pour les sucrés. Les recettes de pâtes ont beau faire partie du paysage quotidien, elles ont tellement de variantes que certains s’amusent à dire qu’il existe en Bretagne “autant de recettes de pâtes que de clochers ou de croix au bord des routes”…
Fin 2020, cinq établissements culturels de Bretagne ont créé une exposition à succès sur l'histoire de la crêpe intitulée "Et vous ? Êtes-vous plutôt crêpe ou galette ?". C'est pourquoi j'ai sollicité l'un d'eux, le Musée de l'Ancienne Abbaye de Landévennec, pour y voir plus clair sur ce vaste sujet. Le musée de l'Abbaye de Landévennec est à l'origine un site archéologique fouillé pendant plus de deux décennies par le CNRS, le département du Finistère et l'Université de Rennes. Ce lieu revêt une importance capitale pour l'histoire de la Bretagne.
Distinctions Régionales et Culturelles
La distinction entre une crêpe et une galette repose principalement sur des différences régionales et culturelles. En Haute-Bretagne, située à l'est de la région, on utilise généralement le terme "galette". Cette partie de la Bretagne est traditionnellement associée à la langue gallo, une langue romane proche du français. Les traditions culinaires diffèrent également entre ces deux régions. En Basse-Bretagne, les crêpes tendent à être plus fines, et la recette est plus flexible, incorporant parfois des œufs, du lait, ou un mélange de sarrasin et de froment. En Haute-Bretagne, les galettes sont généralement préparées avec de la farine de sarrasin, du sel et de l'eau, et sont souvent plus épaisses.
Ainsi, selon Guénolé Ridoux la différence entre crêpe et galette est moins une question d'ingrédients ou d'épaisseur qu'une question de vocabulaire et de traditions régionales.
Ingrédients et Préparation
Les crêpes sont fabriquées avec de la farine de froment et se dégustent en mode sucré. Les galettes sont des spécialités salées réalisées avec de la farine de sarrasin (sans gluten) ou de blé noir, d’où la différence de couleur de la pâte. En dehors des multiples combinaisons possibles avec les ingrédients basiques parmi lesquels l’œuf, le fromage, le jambon ou le lard, on peut aussi déguster des galettes aux champignons, à l’andouillette, au saumon, au chèvre ou encore avec des ingrédients ou produits du terroir qui forment des combinaisons infinies.
En Haute-Bretagne, les galettes sont traditionnellement un peu plus épaisses, ce qui influe sur les outils utilisés pour leur préparation. Pour retourner ces galettes épaisses, on utilise un spanell ("spatule" en breton) mais généralement plus large et plus solide pour s'adapter à l'épaisseur des galettes. À l'inverse, en Basse-Bretagne, où les crêpes sont très fines et parfois de grande taille, les spanells employés sont plus grands pour manipuler ces crêpes larges et délicates.
Il faut distinguer les crêpes des galettes. La galette de sarrasin se cuisait à la poêle sur une seule face. On pouvait la couper en fines lanières pour agrémenter soupes et bouillons ou la garnir, encore chaude, d'oeuf, de pâté, de saucisses, de sardines et autres produits locaux. La crêpe de sarrasin, plus croustillante, s'obtient en battant longuement la pâte au «poing» et cuit, sur les deux faces, sur des pierres ou biligs en fonte. Elle était plutôt dégustée au dessert.
L'histoire de la crêpe et de la galette
On trouve beaucoup de sites sur internet qui évoquent l'histoire de la crêpe et de la galette. Vraiment beaucoup ! Dans l'antiquité c'était le flan ou la galette qui étaient de consommation courante. On trouve la première recette de crêpes en France vers 1 390 dans « Manager de paris ». L'auteur de cet ouvrage, explique comment faire des « crespes » avec de la farine de froment, des œufs, des eaux, du sel et du vin. La galette de sarrasin, elle, se consomme depuis le XVIe siècle environ en Bretagne et dans d’autres régions de France.
Les plus anciennes galetières identifiées jusqu'à présent remontent au 9e siècle. Ces premières versions semblent être des prototypes ou des ancêtres des galetières plus élaborées que l'on a découvertes plus tard à Landévennec, lesquelles sont fréquemment retrouvées et mieux préservées. Bien que certains fragments datent peut-être du 9e siècle, ils ne correspondent pas entièrement à la conception complète des galetières plus tardives. À partir du 11e siècle, on assiste à l'émergence de grandes galetières en céramique onctueuse, similaires à celles découvertes à Landévennec. Ces galetières, fabriquées principalement en argile finistérienne caractéristique, étaient courantes du 11e au 16e siècle.
En Bretagne, un des berceaux français de la spécialité, on utilise le blé noir ou sarrasin pour la galette salée (Haute-Bretagne) et le blé tendre pour la crêpe sucrée (Basse-Bretagne). Toutes deux ont fait leur entrée dans le répertoire culinaire local à partir du Moyen Age, même si elles accompagnaient depuis plus longtemps encore le rituel religieux de la Chandeleur, inauguré en 472 par le pape Gélase Ier. La crêpe, ou galette, fait son apparition en Bretagne vers le XIIIe siècle suite à la culture du sarrasin rapporté de croisades en Asie. Le sarrazin a permis de confectionner cette fine couche de pâte, de forme ronde.
Le Rôle de la Farine
Dans l'étude de l'utilisation de la farine et de son importance dans la préparation des crêpes en Bretagne, il est essentiel de comprendre le rôle de cette dernière dans l'alimentation bretonne historique. Faire des crêpes était une alternative au pain, ce qui est significatif car la fabrication du pain nécessite une farine spécifique, dite "panifiable", riche en gluten, qui permet au pain de lever. Par conséquent, les crêpes étaient une option plus accessible, notamment pour les personnes moins aisées, car elles pouvaient être préparées facilement dans une cheminée et avec différentes sortes de farines non panifiables.
Les Bretons ont toujours été confrontés à l'acidité de leurs sols, ce qui rendait la culture du froment difficile. Ces céréales alternatives n'étaient pas non plus faciles à panifier. Ainsi, on peut supposer que les galetières en terre cuite anciennes trouvées en Bretagne étaient utilisées pour cuire ces céréales non panifiables qui poussaient bien dans la région.
Le Sarrasin en Bretagne
Les premières traces de pollen de sarrasin fossilisé trouvées par les scientifiques en Bretagne remontent à l'âge du Fer, c'est-à-dire au premier millénaire avant Jésus-Christ. Cette culture s'est ensuite répandue dans toute la Bretagne aux 15e et 16e siècles. L'arrivée du sarrasin en Bretagne et sa culture intensive dans les champs ont marqué un tournant dans la fabrication des crêpes. En effet, le sarrasin une fois transformé en farine, n'est pas panifiable car il ne contient pas de gluten, ce qui empêche la pâte de lever. Ainsi, le sarrasin se prête également bien à la préparation de bouillies ou de crêpes.
Crêpes et Traditions
Les crêpes, qu'elles soient de sarrasin ou d'avoine, étaient un aliment courant dans la vie quotidienne des Bretons, sans être associées à des occasions spéciales. Elles servaient souvent de substitut au pain et étaient consommées presque tous les jours. Cependant, en Bretagne, et particulièrement dans le Finistère, il existait une tradition de préparer les crêpes le vendredi soir. Au-delà de leur usage quotidien, il existait des variantes de crêpes considérées comme plus exceptionnelles ou "chic".
Intéressant à noter, certaines communautés, comme les moines, consommaient des crêpes pendant la période de Carême. Au 11e siècle, par exemple, il était consigné dans un coutumier de Fleury que les moines devaient manger des galettes durant cette période d'abstinence. Au-delà de leur usage quotidien, il existait des variantes plus élaborées de crêpes, comme les "crêpes grasses" mentionnées dans les archives des 17e et 18e siècles, sans toutefois des précisions sur leur composition. Au 19e siècle, des touristes en Bretagne rapportaient la présence de crêpes de froment sucrées en milieu urbain, ce qui contrastait avec les crêpes de sarrasin plus courantes en milieu rural.
Les Outils : Billig et Rozell
L’élément fort de la fabrication de la crêpe elle-même est cette fameuse plaque à crêpes : le billig. Mais pas seulement ! Le rouable ou rozell est l’instrument qui sert à étendre la pâte. Il est composé de deux pièces : la spatule et le manche, qui s’emboîtent perpendiculairement. L’épaisseur de la spatule détermine en partie le travail de l’étalage de la pâte. Enfin, la dextérité du geste est donc déterminante.
Variantes Régionales des Galettes
Les galettes de sarrasin normandes et bretonnes sont deux variétés de galettes de blé noir, qui sont des crêpes traditionnelles de la France. La principale différence entre les deux réside dans la recette, qui peut varier légèrement en fonction de la région. Les galettes normandes sont souvent plus épaisses et plus douces que les galettes bretonnes, qui sont plus minces et plus croustillantes.
Lexique Culinaire Breton
Pour vous y retrouver sur le menu et passer commande comme un vrai Breton, voici un petit lexique culinaire. Voici les principaux termes les plus souvent utilisés en Haute-Bretagne.
- Galette complète: La galette de base à déguster dans une crêperie avec sa trilogie sacrée d’ingrédients : œuf-jambon-fromage.
- Œuf brouillé ou miroir: Vous devez choisir dans votre galette la manière d’y ajouter l’œuf : “brouillé”, c’est-à-dire mélangé avec les autres ingrédients à la manière d’un œuf brouillé, ou “miroir”, posé intact au milieu de la galette comme un œuf au plat.
Tableau Récapitulatif des Différences
Caractéristique | Crêpe (Basse-Bretagne) | Galette (Haute-Bretagne) |
---|---|---|
Farine | Froment (blé tendre) | Sarrasin (blé noir) |
Goût | Sucré | Salé |
Épaisseur | Plus fine | Plus épaisse |