La consommation de viande de cygne est un sujet fascinant, ancré dans l'histoire et les traditions culinaires européennes, tout en connaissant des développements surprenants dans le monde contemporain.
Un Mets Réservé à la Noblesse
Tous les documents que nous avons consultés s’accordent pour dire que les grands volatiles, cygnes, paons, hérons, grues, cigognes, étaient réservés à l’alimentation de la noblesse, et seulement pour les grands banquets. Ce n’était donc pas une nourriture très courante.
« Tout au long du millénaire médiéval (dans l'Europe occidentale), chaque individu est tenu de manger « selon sa qualité », c'est-à-dire de manière conforme au rang qu'il occupe dans la société. Ainsi, l'alimentation du noble doit lui permettre « d'afficher sa différence » vis-à-vis du moine et du paysan.
Cette distinction sociale se réalise d'abord au travers des quantités ingérées : dans les banquets, la taille des portions servies aux invités se réduit à mesure que décroît leur position dans l'échelle sociale. Par ailleurs, les aristocrates consomment des aliments qui leur sont spécifiques : de la viande en abondance (symbole de richesse, de pouvoir, de force physique et de puissance sexuelle), de coûteuses épices (le caviar de l'époque !) et, lors des festins, des paons, faisans, cygnes, hérons, cigognes, grues…
L'explication est symbolique, elle renvoie à une « vision du monde ». Volant haut dans le ciel, ces grands volatiles dominent en effet toutes les autres créatures : ils conviennent donc parfaitement aux « dominants », aux individus qui sont socialement « élevés ». »
Enfin les paons et les cygnes sont servis revêtus aux tables nobles, sous forme d'entremets. Il s'agit de plats rares, chefs d'œuvre de gastronomie et d'art culinaire, destinés à produire un effet d'admiration, comme la recette du coq heaumé, autre fleuron des entremets médiévaux.
Aux grands banquets les grosses pièces, elles aussi, se faisaient encroûtées, mais il était d’usage pour le cygne ou le paon, « viande de preux », de les servir revestus, avec un cérémonial qui tenait du rituel : on écorchait l’oiseau superbe de façon à conserver le plumage attaché à la peau. On le vidait et le farcissait de hachis relevé et sucrés ou de petits oiseaux (ceux-ci plumés !).
On le fixait dans une pose naturelle par des brochettes. La plupart du temps, on coupait la tête pour la garder en sa parure.[…]Cuit, le noble volatile recevait une dorure sur les pattes et le bec. […] On remettait le plumage et on fixait la tête. On maintenait les ailes étalées dans une attitude de vol avec du fil de fer. Un morceau de camphre allumé dans le bec jetait des étincelles tandis qu’on l’apportait à table sur un plateau d’argent, au son de la musique.
Comme cette description peut le laisser penser, il s’agit donc avant tout d’impressionner les convives et il ne semble pas que ces grands oiseaux soient très bons …
Consommé déjà sous l’empire romain, le paon par exemple n’est guère apprécié du poète Horace :« « C’est parce que l’oiseau rare se vend au poids de l’or, n’est-ce pas ? … Mangez-vous ce plumage que vous louez ? Mais quoique que la chair du poulet soit supérieure mille fois à celle du paon, il est clair que vous êtes déçus par la différence de leurs habits ».
Comme quoi la gastronomie mal comprise peut se parer des plumes du paon. Cette chair insipide et dure, toujours revêtue de la somptueuse parure, restera à la mode des tables princières jusqu’au XVIIe siècle. » (dans le même ouvrage)
Déclin de la Consommation de Grands Oiseaux
C’est donc d’abord parce que les goûts évoluent, et que l’on se met sans doute dés le XVIIe siècle à préférer le bon au beau, que la consommation de ces grands oiseaux cesse.
« A partir du XVIIe siècle et plus encore du XVIIIe siècle, l’esthétique alimentaire est indissociablement liée à la gastronomie : la couleur d’un mets ne peut être trouvée belle que si elle annonce sa qualité gastronomique, et les signes de la fraîcheur attirent davantage que les simulacres de la vie.
Il n’est donc plus question, par exemple, de préparer pour les repas d’apparat ces grands oiseaux qui étaient au Moyen-âge recouverts de leurs plumes une fois cuits : cormorans, cygnes, cigognes, grues, paons, hérons, disparaissent dés les XVIe siècle et sont remplacés par de petits oiseaux […].
Ce qui prouve sans doute que le Moyen-âge sacrifiait davantage au spectacle dans le domaine alimentaire, et l’époque moderne au goût.
Provenance des Cygnes: Chasse et Élevage
Pour ce qui est de la provenance de ces animaux, il semble bien y avoir eu quelques élevages. Cependant, certains de ces volatiles existaient aussi à l’état sauvage dans les forêts domaniales et étaient chassés.
« Les cygnes et les paons étaient dans une certaine mesure domestiqués mais ils étaient uniquement consommés par l'élite sociale et plus appréciés pour leur beauté en tant que plats extravagants et entremets que pour leur viande. »
Dans une autre description de festin, on trouve aussi la mention d’un élevage de paons :« En 1560, Champier marque beaucoup de surprise d'en avoir vu en Normandie, près de Lisieux, des troupeaux considérables : « On les y engraisse avec du marc de pommes, dit-il, et on les vend aux marchands de poulaillers, qui vont les vendre dans les grandes villes pour la table des gens riches ».
L’élevage en France : 10 000 ans d’histoire note p. 161 qu’au Moyen-âge « paons, cygnes et grues figurent dans la basse-cour, mais en petit nombre, car ces oiseaux d’apparat sont élevés surtout pour garnir la table des puissants ».
Dans son inventaire des Nourritures carnées dans les châteaux au Moyen-âge, Yves Lignereux, mentionne les « Oiseaux sauvages (éventuellement captifs et engraissés) : faisan, paon, perdrix, perdreau, palombe, pigeon, oie sauvage, canard colvert (malard), cygne, bécasse, corbeau freux, corneille, pie, grue, courlis, cigogne, héron, butor, outarde, pluvier, cormoran, chouette… » et on peut lire à la définition Héronnière du CNRTL : .
Lieu où les hérons se rassemblent pour nicher, où l'on élève les hérons. Sous François Ier, il [le héron] devint rare; ce roi le loge autour de lui, à Fontainebleau, y fait des héronnières. »
Barbara Ketcham Wheaton, elle, dans L’office et la bouche ne parle que de chasse : « Le convive du XIVe siècle, pour sa part, chasse à cour ou à l’aide de faucons, c’est lui-même qui rapporte sa proie à la cuisine où elle est ragoûtée avant de lui être servie. L’apparition à table d’un paon rôti donne lieu à tout un cérémonial … »
Frédérique Audouin-Rouzeau dans l’article Compter et mesurer les os animaux. Pour une histoire de l’élevage et de l’alimentation en Europe de l’Antiquité aux Temps Modernes, , Histoire et mesure, n° 3, 1995, classe les grands oiseaux dans les oiseaux sauvages, « faute de preuve d’une domestication accomplie » et souligne à son tour combien de toutes façons leur consommation était rare : « On sait que la consommation des grands oiseaux de prestige, cygnes, cigognes, paons, hérons, butors, courlis, outardes, paraît passée de mode dans les années 1670, et, en effet, les données archéologiques mettent en évidence sa quasi-disparition au cours des Temps Modernes, une disparition contemporaine de celle, brutale, de la fauconnerie.
Il est possible aussi que le dindon, d'acquisition plus aisée et de chair meilleure, ait dans le même temps contribué à cette mutation de la table des grands, avant que lui-même ne perde son prestige au XVIIIe siècle. Mais, la présence de ces oiseaux d'apparat, si liés dans notre imaginaire -mais aussi dans l'iconographie- aux opulentes tables médiévales, était pourtant exceptionnelle. »
Protection des Cygnes et Interdictions de Chasse
D’après le n° 618 de 1948 du Chasseur français,il est interdit de chasser le cygne sauvage dés 48. Le cygne d’élevage semble pouvoir se manger mais Le chasseur français, n° 648 de 1951 explique la difficulté d’élever des cygnes tout en rappelant le mauvais goût de leur chair.
Aujourd’hui d’après l’Arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection, et sa version consolidée 21 juin 2016,(sur Légifrance), cygnes, hérons, cigognes sont en France des espèces protégées.
Élevage de Cygnes: Conseils et Besoins
Si vous envisagez d'élever des cygnes, voici quelques conseils :
- Il vaut mieux lâcher vos cygnes en journée dans un parc d’adaptation sur le plan d’eau et de les habituer ensuite à leur parcours herbeux.
- Pour qu’ils trouvent facilement à manger les premiers jours, faites de petits tas d’aliments au bord du bassin qui mènent jusqu’à la mangeoire.
- Vos cygnes ont besoin d’un minimum de 50 m² d’eau. Pour plusieurs couples de cygnes, comptez 300 m² par couple pour que chacun ait son espace.
- La majorité de nos cygnes sont éjointés.
La Consommation de Cygne Noir en Corée du Nord
Pour faire face aux difficultés économiques et aux pénuries alimentaires en Corée du Nord, le gouvernement vante les bienfaits de la viande de cygne noir, présentée comme la "nourriture du futur".
Une pénurie alimentaire "tendue" a été déclarée par le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un en juin 2021, notamment en raison des typhons responsables de la destruction des récoltes et de la fermeture des frontières liée à la pandémie de Covid-19. Mais l'épidémie mondiale n'a fait qu'exacerber ce mal que le pays connaît déjà malheureusement bien.
Selon une étude menée par le Programme alimentaire mondial (PAM) début octobre 2018, plus de 40% de la population souffre de malnutrition et un enfant sur cinq est atteint de rachitisme, une malade de croissance due à une carence en vitamine D et en calcium.
Un Plan d'Élevage de Cygnes Noirs
Pour enrayer cette famine endémique, le gouvernement a annoncé lundi 1er novembre 2021 un nouveau plan d'élevage industriel de cygnes noirs. Une nouvelle source de nourriture censée permettre d'atténuer la crise.
“La viande de cygne noir est délicieuse et a une valeur médicinale”, ont mis en avant les médias du pays, tous contrôlés par le régime.
Un premier centre d'élevage a été ouvert le 24 octobre par le secrétaire en chef du Patri des travailleurs dans la province nord-coréenne de South Hamgyong. La cérémonie d'ouverture a été largement médiatisée à la télévision, l'un des outils de propagande du gouvernement, raconte le quotidien économique britannique le Financial Times.
"Fournir un approvisionnement alimentaire à l'ensemble du pays"Vantée par le gouvernement, la viande de cygne noir devrait contribuer à "améliorer la vie des gens" avance le quotidien proche du pouvoir, le Rodong Sinmun.
Pour Colin Zwirko, correspondant pour le site web américain NK News, “la solution vise à remédier à la fois à l’échec de l’agriculture à grande échelle à fournir un approvisionnement alimentaire adéquat à l’ensemble du pays et aux restrictions gouvernementales plus récentes liées au COVID-19 qui ont largement bloqué les importations de denrées alimentaires et autres depuis le début de 2020”.
Les autorités nord-coréennes préconisent également de cultiver ses légumes ou encore d'élever soi-même du poisson afin "d'accroître l'autosuffisance alimentaire".
La Viande: Un Symbole Social et Culturel
La viande était l’aliment emblématique des dominants au Moyen Âge. Au Moyen Âge, le mot « viande » correspond à l’ensemble des nourritures : chair des quadrupèdes, volatiles, poissons et autres animaux aquatiques, lait et produits laitiers, œufs, céréales, légumes, légumes secs, fruits, etc. « Viande » vient en effet du latin populaire vivenda signifiant « tout ce qui est nécessaire à la vie ».
Celle-ci est l’aliment emblématique des dominants. Elle symbolise la richesse, le pouvoir, la force physique et la puissance sexuelle, quatre notions qui étaient alors très valorisées et étaient perçues comme étroitement liées.
À l’époque carolingienne, les nobles qui étaient reconnus coupables de comportements indignes de leur rang (trahison, lâcheté…) pouvaient même se voir interdire de manger de la viande pendant une période, voire toute leur vie !
Les classes dominantes ont également du goût pour les jeunes animaux d’élevage, à la chair tendre (agneaux, veaux, chevreaux), pour les poulailles (poussins, poulets et chapons, coqs et poules, gélines, canards, pigeons, oies…) ainsi que pour les petits gibiers à poils (lièvres, lapins) et à plumes.
Le plus étonnant est la passion que vouent les élites médiévales aux grands volatiles sauvages que sont les cygnes, les hérons, les cigognes, les grues ou encore les paons et les faisans. L’attrait pour ces oiseaux répond à des considérations religieuses, symboliques, sociales… et pas du tout gustatives.
Pour l’Homme du Moyen Âge, l’univers est l’œuvre de Dieu. Et quatre éléments primordiaux, et hiérarchisés, composent tout ce qui constitue la Création. Parmi ces éléments, le plus valorisé est le feu. Viennent ensuite l’air, puis l’eau et, enfin, la terre.
Cette échelle est mise en correspondance avec la hiérarchie de la société humaine. Cela explique pourquoi les classes dominantes plébiscitent tant la chair (pourtant peu savoureuse) des hérons, des cigognes, des cygnes… Ces animaux sont associés à l’élément « air » et, volant haut dans le ciel, ils sont proches de Dieu, des saints et des anges. En outre, ils dominent les animaux marins et terrestres.
De ce fait, ils correspondent symboliquement aux « dominants » et aux personnes de statut social « élevé ».
La viande est l’un des plus anciens produits consommé par les hommes, les premiers humains tuant et dépeçant des animaux il y a 2,6 millions d’années. Et si la consommation de viande est aujourd’hui un sujet clivant, cet aliment « est au cœur de controverses liées à la morale, à l’écologie, aux questions de genre, aux classes et à la santé depuis le XIVe siècle dans l’hémisphère nord », indiquent les chercheuses.
Actes de Braconnage et Conséquences Légales
Dans une commune du Lot-et-Garonne, deux individus ont ouvert le feu sur des cygnes dans le but de les manger. Deux animaux ont été fatalement touchés. Deux cygnes ont été abattus par arme à feu par des "ressortissants étrangers en déficience alimentaire'", explique La Dépêche.
L’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et la Sepanlog, une association de défense de l’environnement, ont rapidement été prévenus, rapporte La Dépêche. La chasse est en effet interdite en cette période de l’année, d’autant plus que le cygne fait partie des espèces protégées.
L’OFNCS s’est rendu au domicile des individus pour une perquisition. Les deux cygnes se trouvaient dans le congélateur, prêts à être préparés pour un repas.
La Sepanlog a pris la décision de porter plainte contre les chasseurs amateurs. Ils risquent jusqu’à un an de prison et 15.000 euros d’amende pour "destruction, transport d’espèce protégée et chasse en temps prohibés".
Conclusion
En conclusion, la consommation de viande de cygne est un sujet complexe, influencé par des facteurs historiques, culturels, économiques et éthiques. Autrefois symbole de prestige et de pouvoir, elle est aujourd'hui soumise à des réglementations strictes visant à protéger ces espèces.
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