Sandrine Rousseau et la Polémique du Barbecue : Analyse d'un Débat Clivant

Inconnue du grand public il y a encore un an, Sandrine Rousseau s’est installée avec fracas dans le paysage politique français.

Celle qui revendique « un projet de renversement de la domination au sens large » divise. Ses propos font régulièrement l’objet de critiques et d’attaques sur les réseaux sociaux.

La Déclaration Polémique sur le Barbecue

À la fin du mois d’août, Sandrine Rousseau a provoqué un tollé en associant le barbecue au virilisme, en marge des universités d’été d’Europe écologie les Verts. Plus précisément, la députée de Paris a déclaré vouloir « changer de mentalité pour que manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité ».

Elle évoquait alors les petits gestes du quotidien à réaliser pour lutter contre le réchauffement climatique, comme celui de consommer moins de viande. Ce jour-là, je voulais surtout expliquer que nous nous représentons le barbecue comme un symbole de virilité et qu’il faut changer cette mentalité. Ce n’était pas une attaque envers les hommes.

Réactions et Soutiens

Une sortie qui a provoqué une levée de boucliers, de l’extrême droite à l’extrême gauche, puisque le communiste Fabien Roussel a joint sa voix au concert des critiques. Des réactions éruptives - et pour la plupart hostiles - qui ont eu un immense écho sur les réseaux sociaux.

Certains, au contraire, ont pris des accents dramatiques. Comme l'intellectuelle, essayiste et journaliste du Figaro, Eugénie Bastié: "Il ne reste en effet peut être plus que le barbecue comme petit rituel résiduel d’une virilité impitoyablement pulvérisée partout dans la culture, et même ça elles veulent leur enlever".

Pourtant, ses propos ont été pointés du doigt pour avoir favorisé un sentiment de stigmatisation. "Oui les hommes consomment plus de viande", affirme Sandrine Rousseau. "Certains hommes m'ont soutenu à fond dans cette affaire d'ailleurs en me disant 'oui, vous avez raison' parce que ce ne sont pas tous les hommes, c'est certains qui en font une question d'identité", poursuit-elle.

Ainsi, sur notre plateau ce lundi, la députée insoumise élue en Seine-Saint-Denis, Clémentine Autain a repris la réflexion. "La sociologie nous explique qu’il y a une différence très forte entre les sexes" dans le rapport à la viande, a-t-elle fait valoir, avant d'ajouter:"Les femmes mangent deux fois moins de viande rouge que les hommes. Les personnes décidant de devenir vegan ou végétariens sont majoritairement des femmes".

Le secrétaire national d’EELV Julien Bayou a soutenu mardi les propos de la députée Sandrine Rousseau sur le barbecue « symbole de virilité », tandis que le leader communiste Fabien Roussel s’est offusqué qu’on parle « du sexe des escalopes ».

Lundi, la députée LFI Clémentine Autain a déjà pris le parti de Sandrine Rousseau : « Les femmes mangent deux fois moins de viande rouge que les hommes, (…) donc il y a une différence des sexes dans la façon dont nous consommons de la viande.

Selon les données fournies au HuffPost par Visibrain (plateforme de veille numérique), sa sortie a généré plus 327 279 tweets, dont 100 400 publiés le 30 août, au plus fort de la polémique.

L'Étude de l'IFOP : Nuances et Clivages

Ce jeudi 22 septembre, l’Ifop publie une enquête fouillée sur le sujet soulevé par l’écoféministe. Menée avec « Darwin nutrition » sur un échantillon de 2033 hommes représentatifs de la population masculine française du 5 au 7 septembre 2022, celle-ci tend à confirmer le constat fait par Sandrine Rousseau. Mais avec plusieurs nuances. Explications.

Premier constat : 78 % des hommes en couple s’occupent plus souvent du barbecue que leur moitié. À ce sujet, l’Ifop observe une forme de clivage géographique : 48 % des hommes ruraux en couple sont « exclusivement en charge de la gestion du barbecue », contre 42 % des résidants de communautés urbaines de province, et 26 % de l’agglomération parisienne.

Autre chiffre intéressant, 46 % des hommes partagent l’idée selon laquelle ils s’occupent mieux du barbecue que les femmes. Un constat partagé par 66 % des « gros consommateurs de bœuf » (c’est-à-dire ceux qui revendiquent une consommation quotidienne). Et parmi les hommes qui jugent que la braise, la bidoche et la fumée, c’est quand même mieux quand c’est bibi qui s’en charge, 89 % adhèrent à des clichés « hypersexistes ».

Car les hommes interrogés sont parfaitement conscients de cette représentation des choses, et veulent majoritairement la combattre. Ainsi, 62 % approuvent l’idée « de déviriliser la consommation de viande cuite au barbecue ». Ce qui correspond exactement à la phrase prononcée par Sandrine Rousseau.

Une adhésion au point de vue de la députée écolo que l’on observe d’ailleurs dans l’ensemble du spectre politique, de l’extrême droite à l’extrême gauche, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Ainsi, 59 % des hommes interrogés se disant « très à droite » partagent ce souhait, comme 53 % de ceux se disant seulement « à droite ». Chez ceux « très à gauche », l’adhésion à l’idée de Sandrine Rousseau grimpe à 75 %.

De fait, les 18 % de Français qui se revendiquent comme « très viandards » sont majoritairement « très à droite », le parti politique le plus représenté dans cette catégorie étant Reconquête !, suivi du Rassemblement national et des Républicains. La viande rouge est, pour les plus droitards, incontestablement un marqueur de virilité.

Même podium chez ceux qui disent manger de la viande « sans jamais se soucier de la fréquence ». À l’inverse, ce sont les écolos qui sont les plus nombreux parmi ceux qui affirment « en manger le moins possible », ce qui traduit donc une cohérence avec leur appréciation des enjeux environnementaux.

Ainsi, les électeurs d’Éric Zemmour sont les plus représentés (et de loin) parmi les 42 % des sondés qui apprécient « beaucoup » la côte de bœuf grillée (63 %). « La viande rouge est, pour les plus droitards, incontestablement un marqueur de virilité, avec une volonté d’envoyer bouler le politiquement correct de l’alimentation », poursuit le spécialiste, qui remarque que dans l’ensemble du spectre politique, les plus nombreux à juger adéquat le terme dénigrant « homme soja » pour qualifier les végétariens sont les électeurs de Reconquête !.

En outre, 43 % des hommes qui s’auto-qualifient comme « très patriotes » se définissent comme « très viandards ».

Pas étonnant donc de retrouver les représentants de ces courants parmi les adversaires les plus zélés de Sandrine Rousseau sur les réseaux sociaux. Quitte à paraître plus nombreux que ce qu’ils sont vraiment.

« La grande majorité de la population masculine partage ce qu’elle dit sur le barbecue et la viande. Ce que l’étude souligne aussi, c’est le hiatus entre ce qui se passe sur les réseaux sociaux et l’état de l’opinion sur le sujet », observe François Kraus.

Ce qui m’a surprise, c’est toute la violence que cela a déclenché. Bien sûr que je veux bouger les lignes et faire réagir mais pourquoi une telle violence ?

Ce qui est fou, c’est que je ne suis jamais vraiment attaquée sur le fond. Jamais on est venu me dire : « Si, il faut qu’on continue à manger autant de viande ».

Tableau Récapitulatif de l'Étude IFOP

Critère Pourcentage Observations
Hommes en couple s'occupant du barbecue 78% Prédominance masculine dans la gestion du barbecue
Hommes ruraux exclusivement en charge du barbecue 48% Clivage géographique, plus marqué en zone rurale
Hommes pensant mieux s'occuper du barbecue que les femmes 46% Constat partagé par les gros consommateurs de bœuf
Hommes approuvant l'idée de "déviriliser" la consommation de viande 62% Adhésion transpartisane à l'idée de Sandrine Rousseau
"Très viandards" politiquement "très à droite" 18% Marqueur politique lié à la consommation de viande

L'Écoféminisme : Contexte et Fondements

Derrière son apparente légèreté, ce sujet - les hommes et le barbecue - pose de réelles questions de fond : celle du lien entre la viande et le réchauffement climatique, et celle du décalage dans la consommation de viande des femmes et des hommes.

Mais, plus généralement, et pour saisir la portée de ce débat, il faut peut-être retourner à l’origine d’une telle position, qui est profondément ancrée dans un mouvement récent : l’écoféminisme. Sandrine Rousseau s’est toujours revendiquée de ce mouvement.

L’écoféminisme est plus un mouvement de pensée qu’un courant pratique. Ce n’est pas tant des solutions à la crise environnementale qu’il offre, que la possibilité de repenser la manière dont certains grands problèmes dans ce monde sont plus liés qu’on ne le croit, et d’affirmer que les femmes ont un grand rôle à jouer dans la lutte pour le climat.

Ce concept, à l’origine, devait permettre « d’explorer la nature des connexions entre les dominations injustifiées sur les femmes et la nature » et, plus généralement, montrer que le patriarcat et le capitalisme oppressent tout autant la nature que les femmes.

« La thèse fondamentale de l’écoféminisme, c’est de soutenir qu’il y a des liens indissociables entre domination des femmes et domination de la nature, ou entre capitalisme écocide et patriarcat. Que ce sont les deux facettes de la même médaille, du même modèle de civilisation qui s’est imposé historiquement », explique auprès de Slate la professeure de philosophie spécialiste du sujet Jeanne Burgart Goutal.

Si le concept a jailli d’un esprit français, le mouvement, lui, est né aux États-Unis et au Royaume-Uni dans les années 70-80, notamment à travers de la menace d’une guerre nucléaire. L’Amérique de la fin des années 70 est agitée par plusieurs mouvements sociaux et c’est dans ce contexte que naît une convergence des luttes entre les féministes et ceux chez qui émerge une conscience environnementale.

En 1980, une action clé de ce courant pacifiste, antinucléaire, féministe, voit le jour quand 2000 femmes entourent le Pentagone et s’enchaînent à ces grilles. Certaines, déguisées en sorcières, s’amusaient même à jeter des sorts.

Climat et Droits des Femmes

L’un des concepts forts de l’écoféminisme est celui du « reclaim », qu’on peut définir comme un mouvement de réinvention (de l’histoire, de la nature) et de réappropriation (de ce qui a longtemps été associé uniquement aux femmes).

Il faut savoir, avant toute chose, que globalement, les femmes sont plus vulnérables aux conséquences du réchauffement climatique que les hommes. « Sécheresses, désertification, inondations sont aussi autant de menaces sur les activités agricoles dont les femmes ont majoritairement la charge, alors même qu’elles produisent dans certains pays jusqu’à 80 % de l’alimentation. Quand une catastrophe naturelle frappe une région, le risque de décès est 14 fois plus élevé pour les femmes », selon l’ONU.

Le reclaim, c’est donc d’une part se réapproprier la place des femmes dans le monde. D’autre part, il s’agit de la tentative de se réapproprier des activités qualifiées de féminines et bien trop souvent dénigrées, comme le soin apporté aux enfants, au corps, à l’alimentation, le rapport aux plantes ou à la sensibilité.

Ce pan de l’écoféminisme n’a pas fait l’unanimité, loin de là, certaines féministes souhaitant au contraire s’extraire d’un tel lien avec la nature et notamment avec la capacité à enfanter, qui, seule, ne les définit pas.

Problèmes et Conséquences

Faire reposer l’avenir de la planète sur les épaules des femmes, n’est-ce pas alourdir leur charge mentale ? La journaliste Nora Bouazzouni, autrice de Faiminisme, s’interroge sur Slate sur la compatibilité entre féminisme et écologie.

Elle rappelle qu’en plus d’être les premières victimes du réchauffement climatique, elles sont aussi celles qui, au sein des foyers, ont le plus de charge mentale. Une charge mentale à laquelle s’ajoute, de par la conscience écologique, une « charge morale ».

On retrouve, semble-t-il, cette même charge concernant la consommation de viande. D’après l’enquête INCA 3 de l’ANSES, la consommation médiane de viande (hors volaille) est de 43 grammes par jour pour un homme contre 27 pour une femme. Et de 23,2 grammes par jour de charcuterie pour un homme, contre 12,9 pour une femme.

« Dans le monde, l’écrasante majorité des personnes qui adoptent des régimes végétariens, végétaliens et véganes sont des femmes », rappelle également Nora Bouazzouni dans un article de Reporterre. Elles représentent en moyenne 70 % des végétariens.

Par ailleurs, le lien entre viande (et plus particulièrement l’élevage industriel) et dérèglement climatique n’est plus à prouver. Selon une étude britannique publiée en 2021 dans la revue Plos One, une alimentation sans viande émet 59 % moins de gaz à effet de serre.

Avec de telles déclarations et en venant percuter de plein fouet nos habitudes, Sandrine Rousseau, n’apporte peut-être pas de solutions directes à ces profonds problèmes, mais vient rappeler que le politique, c’est aussi, pour reprendre des mots de Jeanne Burgart Goutal, « inventer un possible à partir d’une situation où plus rien ne paraît possible ».

L’économiste de 50 ans, finaliste malheureuse de la Primaire écologiste pour la présidentielle de 2022, est la cible d’attaques récurrentes. Prônant une écologie « nécessairement radicale, sociale et écoféministe », elle revendique de porter un projet « de renversement de la domination au sens large ».

J’ai l’impression qu’on n’a jamais autant parlé de viande, du rôle que cela a sur le climat et de ses représentations. C’est-à-dire se poser la question : qui en mange ? Je pense que pour la première fois, j’interroge le système d’une façon différente. Pas juste le système économique, mais le système de domination sociale. Et ça, les gens ne veulent pas l’entendre.

D’ailleurs, lorsque j’ai employé ce mot : « radical » pour la première fois lors de la Primaire écologique, on m’a dit que c’était « hyperdangereux » d’employer ce terme. À l’époque, certains éditorialistes écrivaient que « j’étais dangereuse pour la nation ».

Je pense que j’interroge le système comme il ne l’a jamais été auparavant. Du coup, le premier réflexe va être de protéger ce système en s’attaquant à celui qui l’interroge.

Ce qui m’étonne, c’est que ça continue. C’est non-stop. Je pensais que cela passerait, mais visiblement non.

Mes adversaires veulent que je sorte du champ politique parce que ma parole leur est insupportable. Ils ne savent pas comment me contrer et ils utilisent l’arme du ridicule et de la folie.

Sandrine Rousseau ne mange pas de viande, elle mange de l’homme (au sens métaphorique bien sûr). Surtout de l’homme pas-déconstruit comme le chasseur. Les barbecues, sont donc, selon elle, une affaire d’hommes. Faire griller des côtelettes serait une affirmation de virilité.

Finalement, la polémique autour des propos de Sandrine Rousseau sur le barbecue révèle des enjeux profonds liés à la consommation de viande, à la virilité et à l'écoféminisme. L'étude de l'IFOP apporte des nuances importantes, montrant une division de l'opinion publique, mais aussi une adhésion surprenante à certaines idées de la députée écologiste.

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