Élevé et consommé au Proche-Orient pendant l’Antiquité, le cochon est devenu le plus intouchable des animaux. C’est ainsi que le Talmud désigne le porc, proscrit par la Torah (Lévitique, 11, 7 et Deutéronome, 14, 8). Bien qu’il fasse partie d’une longue liste d’interdits alimentaires, les juifs semblent le considérer comme le plus impur des animaux impurs puisqu’il ne mérite même pas qu’on prononce son nom. Le même traitement de défaveur lui est réservé dans l’islam, où sa chair est la seule à être nommément désignée comme impropre à la consommation dans plusieurs sourates du Coran.
Dans l'Islam, la consommation de porc est interdite en raison des enseignements du Coran. Le porc est considéré comme impur et son ingestion est prohibée par les textes religieux. Allah stipule ici que consommer du cochon est un acte impur. Le sang et la chair de cet animal sont donc considérés comme haram, c'est-à-dire interdits.
Pour les Juifs, cette interdiction est fondée sur deux passages de l’Ancien Testament :
- Livre du Lévitique 11:7-8 « Vous ne mangerez pas le porc, qui a la corne fendue et le pied fourchu, mais qui ne rumine pas : vous le regarderez comme impur. Vous ne mangerez pas de leur chair, et vous ne toucherez pas leurs corps morts : vous les regarderez comme impurs. »
- Livre du Deutéronome 14:8 : « Vous ne mangerez pas le porc, qui a la corne fendue, mais qui ne rumine pas : vous le regarderez comme impur.
Origines historiques et culturelles de l'interdiction
Pourtant, dans la région qui a vu naître le judaïsme puis se développer l’islam, le cochon était depuis longtemps consommé et apprécié. Les sources historiques montrent que l’élevage porcin était couramment pratiqué dans tout le Proche-Orient ancien (Mésopotamie, Levant, Anatolie, Iran). Sa présence est ainsi attestée à partir du 7e millénaire avant J.-C. par les ossements retrouvés sur de nombreux sites archéologiques de la région, mais aussi dans les textes (lexiques, livres de comptabilité, contrats, procès…) qui le mentionnent dès les débuts de l’écriture, vers la fin du 4e millénaire.
Le porc est aussi représenté par les artistes, le plus souvent sous sa forme sauvage (sanglier) dans des scènes de chasse, par exemple pour orner des sceaux cylindriques (rouleaux servant à imprimer des frises sur des tablettes d’argile). Outre l’économie, les arts et la religion (certaines sources évoquent l’usage de graisse de porc lors des cérémonies religieuses et des offrandes de porcelets pour le culte funéraire), l’animal trouve sa place dans la pharmacopée de l’époque.
À titre d’exemple, des textes médicaux du 1er millénaire avant J-C. prescrivent, en cas d’accouchement difficile, l’ingestion de viande de porc, à laquelle on prête certainement des vertus fécondes (une truie peut produire entre 200 à 300 porcelets en une douzaine d’années). De même, les estomacs paresseux sont invités à consommer des soies de cochon et les maladies respiratoires se soignent avec du bouillon de viande de porc.
Interprétations et justifications de l'interdiction
Pour le médecin et philosophe juif Maïmonide, dont la pensée faisait autorité dans l’Andalousie du 12e siècle, la raison d’une telle interdiction ne fait aucun doute: les mœurs du cochon, qui se vautre dans la fange et se nourrit d’ordures, quand il ne s’agit pas de ses propres excréments, font de lui l’animal impur par excellence. L’exégète s’inscrit dans la logique de l’Ancien Testament, qui évoque plusieurs fois ce fâcheux penchant pour les immondices.
À cela, la médecine moderne ajoutera, quelques siècles plus tard, que la viande de porc se conserve mal dans les pays chauds et que, plus que tout autre, elle véhicule parasites et maladies comme le ténia, la listériose ou la trichinose. Dire que la viande de porc se conserve mal est “plutôt une croyance populaire, sans valeur religieuse ou scientifique convaincante”, affirme pour sa part le docteur vétérinaire français Yahya Deffous, qui souligne que “des procédés de conservation très performants, comme la salaison et le séchage, existaient déjà dans l’Antiquité”.
S’il admet que le porc est bien porteur de bactéries et parasites, au même titre que d’autres viandes (bœuf) ou produits de la mer, la question de l’hygiène reste pour lui ”une réponse trop simpliste pour mériter un interdit divin”. D’après l’historien français Michel Pastoureau, spécialiste des animaux, des couleurs, des images et des symboles, “toute société a besoin de faire porter sur certains animaux des interdits de différentes natures, notamment alimentaires”. La question étant de savoir pourquoi.
Une des hypothèses réside dans le conflit entre sédentaires et nomades. A l’époque antique, les groupes de pasteurs méprisent le mode de vie réglé et besogneux des fermiers sédentaires, auxquels ils reprochent leur manque de spiritualité et d’ardeur au combat. Cette haine se serait cristallisée sur le porc, symbole du mode de vie sédentaire puisqu’il est incapable de suivre les nomades dans leurs déplacements. Or les premiers Hébreux sont justement des tribus nomades.
Les anthropologues s’accordent néanmoins sur le fait que l’interdit alimentaire dans un groupe humain relève de la nécessité de se distinguer des autres. De même, une religion nouvelle a besoin de marquer sa différence. Selon le principe que chaque chose doit être à sa place, les animaux impurs seraient donc ceux qui échappent à ce schéma, comme l’a mis en évidence l’anthropologue britannique Mary Douglas. Il en va ainsi du porc, qui ne rumine pas contrairement aux autres animaux aux sabots fendus comme lui.
Animal à part, le cochon l’est aussi par rapport au reste du bétail. L’élevage du porc pour sa seule viande relève donc du luxe pour le paysan de l’Antiquité, d’autant que cet animal vorace ampute une partie de la nourriture de l’homme, sans compter qu’il nécessite beaucoup d’eau, une denrée rare au Proche-Orient. En bref, il coûte davantage qu’il ne rapporte.
Pour l’anthropologue nord-américain Marvin Harris, qui développe cette thèse utilitariste, “les civilisations ont tendance à imposer des sanctions religieuses pour la consommation de viande lorsque le rapport entre les bénéfices communautaires et les coûts inhérents à l’usage d’une espèce particulière se détériore”. Concernant plus particulièrement le porc, il précise : “Les restrictions les plus sévères apparaissent habituellement lorsqu’une espèce précieuse sur le plan nutritionnel ne devient pas seulement plus coûteuse, mais risque de bouleverser l’écosystème.
Pour Michel Pastoureau, l’interdit qui frappe le porc s’explique surtout par son étroit cousinage avec l’homme. Si les analyses ADN permettent aujourd’hui d’établir avec certitude ce lien de parenté, les Anciens ne l’ignoraient pas pour autant. “Cette proximité biologique était déjà bien connue des médecines grecques et arabes. Dans l’Europe du Moyen-Age, les écoles de médecine enseignaient l’anatomie humaine en disséquant des cochons.
De nos jours encore, beaucoup d’expériences sont menées sur des cochons pour comprendre l’être humain (le singe est certes un peu plus proche génétiquement, mais c’est une espèce protégée). Et dans l’industrie pharmaceutique, l’animal le plus utilisé est le porc dont les organes, certaines glandes et le sang entrent dans la composition de nombreux médicaments. Similitude ultime, la viande de porc aurait le même goût que la chair humaine selon certains témoignages, comme ceux des “rescapés des Andes”, ces victimes d’un crash aérien en 1972 contraintes de manger leurs congénères pour survivre.
Conséquences et implications
Il est crucial de comprendre que pour un musulman, la viande doit être halal, c’est-à-dire licite selon les lois islamiques. Le processus de préparation de la viande halal exige que l'animal soit abattu selon un rite particulier, où le nom d'Allah est prononcé. Outre la dimension religieuse, l'interdiction de consommer du porc chez les musulmans est également justifiée par des motifs spirituels et hygiéniques. Dans l'islam, chaque règle a une signification spirituelle qui aide les fidèles dans leur quête de pureté et de piété.
Historiquement, l'islam et d'autres religions comme le judaïsme, qui proscrit également la consommation de porc, ont intégré des pratiques alimentaires qui favorisaient l'hygiène et la santé. Il est également intéressant de noter que, dans certaines régions et époques, le porc était porteur de maladies ou difficile à élever de manière saine. Ces facteurs ont consolidé l'idée de son impureté et ont servi à justifier son interdiction.
L'interdiction de consommer du porc a également des répercussions culturelles et sociales significatives. La consommation de viande halal est ainsi devenue un marqueur identitaire fort, particulièrement dans les sociétés où les musulmans sont en minorité. De plus, cette pratique alimentaire influence les interactions sociales et peut parfois poser des défis, notamment dans des contextes multiculturels.
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Comparaison avec d'autres religions
Pour mieux appréhender cette interdiction, il est pertinent de comparer l'islam avec d'autres religions qui partagent des restrictions alimentaires similaires. Le judaïsme, par exemple, interdit également la consommation de porc dans ses lois alimentaires. Dans les deux religions, ces restrictions sont perçues comme un moyen de se rapprocher de Dieu et de vivre en accord avec ses commandements.
La consommation du porc est même devenue, au fil du temps, une dimension importante de l’identité chrétienne par opposition aux autres religions. À l’époque moderne, lorsque les chrétiens d’origine juive ou musulmane furent soupçonnés d'être restés secrètement fidèles à leur religion antérieure, l’Inquisition fit même de l'interdit concernant la consommation du porc un critère pour repérer les déviances.