Insultes antisémites : l'emploi du terme "porc" et son contexte historique

L'Assemblée nationale française a été le théâtre d'un incident notable où l'insulte "porc" a été proférée, ravivant des débats sur l'antisémitisme et l'utilisation de l'animalisation comme arme rhétorique. Cet événement met en lumière une histoire complexe et chargée de sens, où le porc est depuis longtemps associé à la dégradation et à l'exclusion.

Un incident à l'Assemblée Nationale

Un incident s'est produit dans les couloirs de l'Assemblée Nationale, impliquant David Guiraud et Meyer Habib. David Guiraud a lancé "qu'est-ce que tu fous ici, barre-toi" à son homologue, qui lui a d'abord répondu : "On n'a pas élevé les cochons ensemble". S'en est suivie une discussion extrêmement tendue entre les deux députés.

Très violent incident dans les couloirs de l'Assemblée, quand l'Insoumis David Guiraud et Meyer Habib ont failli en venir aux mains : "T'es un porc, barre-toi de là ! Tu es dans la boue du génocide palestinien". Meyer Habib annonce sur BFM TV qu'il va porter plainte contre David Guiraud : "Traiter de porc un juif est la plus vieille insulte antisémite".

Le député LR des Français de l'étranger venait de l'apostropher, juste après que le député Insoumis Sébastien Delogu eut brandi dans l'hémicycle un drapeau palestinien. « Porc ! », l’insulte proférée à l’Assemblée nationale par le député insoumis David Guiraud à l'encontre du député LR Meyer Habib est devenue virale.

L'animalisation comme outil de mise à l'écart

La virulence de l’algarade, mobilisée depuis l’antiquité, tient à la volonté d’arracher l’Autre à la condition humaine, explique l'historien Jean-Marc Albert. L’Assemblée nationale vient d’enrichir son bestiaire de jurons. Aux noms d’oiseaux succèdent désormais les insultes porcines. La joute peu oratoire à laquelle se sont livrés deux députés a choqué l’opinion.

Si la justice n’a pas encore tranché la nature antisémite de l’invective, le recours à l’apostrophe zoomorphique est un outil éprouvé de mise à l’écart de l’adversaire. L’animalisation de l’autre n’est pas propre au suidé. Âne, punaise, et autres cafards enrichissent depuis des lustres le langage injurieux. Mais peu d'animaux comme le cochon ont été investis d’un telle charge sensible mêlant fascination et détestation. La troublante similitude organique du porc avec l’homme interroge, davantage que son altérité, l’unicité de la condition humaine.

Identifier l’autre au porc ne relève pas seulement d’un dénigrement dégradant mais d’une volonté de fracturer le corps intime et symbolique de sa victime pour le retrancher de l’humanité commune. Tout conspire contre le porc, impur, vorace, contagieux, lubrique et tyrannique. Sauvage, il est redouté pour sa férocité.

Le porc : une figure polysémique et historique

Certains vocables de la caricature sont polysémiques, et changent de signification en quelques années. C’est pourquoi, nous nous proposons, pour conclure cette approche, d’aborder la figure déjà entrevue du porc dans la caricature des trois dernières décennies du xixe siècle. Ce choix est motivé par plusieurs raisons.

D’abord, le vocable du porc procède de l’animalisation partielle ou complète et constitue à ce titre une fracture violente du corps humain et de ses normes, tant dans la caricature politique antibonapartiste et antirépublicaine que dans le discours antisémite. Ensuite, le recours au porc est fondé sur une tradition pluriséculaire vivace, qui sert de base à l’imagerie satirique, durant la période qui nous intéresse. Ce vocable du « cochon » comme procédé zoomorphique, mérite donc qu’on en étudie les dimensions, les mécanismes, les mutations et les survivances, pour percevoir le glissement symbolique de l’animal, de la caricature traditionnelle jusqu’à l’imagerie antisémite.

Depuis les temps médiévaux, dans l’ensemble du bestiaire animal ou monstrueux, le porc est une figure permanente, toujours mobilisée, tant dans les textes et les fables que dans les pamphlets et les images. Très tôt, vers le xiiie siècle, en Europe centrale, le porc est une insulte utilisée dans les textes. Rabaissé au rang de la bête médiocre, vile, vorace, brutale et méchante, fréquemment impliqué dans les procès d’animaux au Moyen Âge, le porc est aussi l’animal le plus proche de l’homme, d’un point de vue biologique.

Il est un objet d’étude en anatomie quand la dissection humaine est encore interdite. On pourrait donc s’interroger, en regard de cette situation, sur les raisons qui incitent à choisir des noms d’animaux familiers comme injures. Claude Lévi-Strauss et Edmund Leach ont apporté quelques éléments de réponses. Le premier a démontré que les noms propres et la nécessité de la dénomination familière sont sensiblement apparus au même moment que les noms d’espèces (animales, végétales...), dans un souci de classification. Il s’agit donc d’une manifestation de la conscience collective, au sein d’une société humaine donnée. Le second a émis l’hypothèse captivante selon laquelle, le choix de noms d’animaux familiers comme insultes aurait été motivé par une volonté de rejet, d’exclusion et de mise à l’écart.

Le porc dans la caricature politique

Avec la Révolution française, les caricatures s’attaquant à Louis XVI ont dédié électivement le porc à la personne du roi, alors que des interdits religieux pèsent encore sur l’animal dans la lignée des plus anciennes traditions bibliques. Mais il est, au xviiie siècle, l’animal familier par excellence, présent dans toutes les fermes et vivant à la lisière de l’humanité - la porcherie étant toujours située non loin des habitations alors que sa fréquentation est dévalorisante. Bien que souvent indispensable à la vie des communautés humaines, le cochon reste déprécié, voire exclu et considéré comme un animal dont il faut se méfier.

Le choix de ce signe iconique pour figurer le souverain est donc un double sacrilège. Car il s’agit d’une part, d’une animalisation qui dénigre le corps du roi et d’autre part, d’une dégradation supplémentaire dans l’échelle des espèces animales. Un siècle après cet avènement inédit du roi-porc, quand s’écroule le Second Empire, cette figure opère un retour, appliquée cette fois à Napoléon III.

Pour Louis XVI comme pour ce dernier, la dimension sacrificielle liée à l’animal n’est certainement pas sans fonder ce choix : le porc domestique est égorgé durant l’hiver, au cours de véritables fêtes villageoises. Le roi et l’empereur étant, dans leurs corpus respectifs de caricatures, les seuls êtres humains animalisés en cochons, on peut en déduire que ce vocable condense une signification symbolique particulière. En effet, le destin du porc est la tuée, qui passe par l’égorgement. Enfin, et ceci n’est certainement pas un détail mineur, la tuée du cochon est une pratique proprement populaire, par laquelle le peuple se nourrit et se régénère, puisqu’il mange la viande après que la tuée ait été une fête.

Dès lors que le souverain devient porc, son destin paraît scellé : sa mort s’inscrit dans une logique implacable. Une fois le monarque tué - guillotiné dans la réalité, ou du moins symboliquement dans l’image satirique - le peuple ne craint plus la famine et se régénère en prenant le pouvoir à sa place. La mort du cochon est un rite de passage, par lequel les forces de mort de la bête (et du monarque) engendrent les forces de vie du peuple.

Dans l’ensemble des images satiriques produites en 1870 et 1871, Napoléon III est la seule personnalité à être associée à cet animal, même si, dans La Ménagerie impériale de Paul Hadol, par exemple, la princesse Mathilde est représentée en truie. Remarquons toutefois qu’il ne s’agit pas là véritablement du cochon mais de sa femelle utilisée pour qualifier une personnalité appartenant à l’entourage proche de Napoléon III. Par ailleurs, le porc est rappelé, dans cette même série, mais par une simple allusion doublée d’un jeu typographique comme suit : - PORC-épic », pour railler Cassagnac.

Mais il ne s’agit déjà plus du même animal. Un grand nombre de caricatures transforment le corps de l’empereur en cochon, lui octroyant pattes et queue vrillée, mais en épargnant son visage. D’autres, plus rares, métamorphosent complètement le personnage, en s’attaquant également à son corps et à ses traits, pour le doter d’oreilles tombantes et d’un groin. Enfin, quelques charges confrontent l’empereur à des animaux. Cette observation, qui confirme le rôle privilégié du bestiaire, dans la caricature contre Napoléon III, illustre une certaine réserve : l’empereur n’a jamais un corps humain et une tête d’animal et n’est représenté comme animal entier que dans deux charges.

Alfred Le Petit, le montre accoudé au balcon des Tuileries, regardant Paris. Représenté de dos, le groin en l’air, et le visage presqu’invisible - on n’en perçoit dans l’obscurité que le nez et les moustaches longues, fines et vrillées - l’empereur n’est pas plus identifiable par la légende qui ne comporte qu’un point d’interrogation gras permettant d’échapper à la censure. De même, Faustin, dans son Musée-homme ou le jardin des bêtes, montre Napoléon III « l’animal des cloaques [...] noyé dans la fange ». L’empereur y est représenté de face, ventripotent et marchant sur ses pattes postérieures. Sa tête est celle d’un porc, résumée à un groin et à de larges oreilles lui cachant les yeux, sans qu’aucune trace humaine n’y subsiste. La seule indication donnée est dans le bicorne dont l’animal est coiffé.

Parallèlement, l’environnement dans lequel l’étrange animal évolue comporte quelques allusions permettant une identification. Il marche dans une ruelle immonde et fangeuse - la rue Tiquetonne - éclairée par une lanterne du 2 décembre et se complaît dans la boue et le sang du caniveau central, qui rappellent le coup d’État, de même que son tablier de boucher ensanglanté. Nous sommes ici en présence d’une image du monde inversé où le porc est devenu boucher. Mais, la transgression suprême qui, par la métamorphose de la tête - siège de la conscience et de la pensée humaine - aurait totalement bestialisé l’empereur, ne s’est que timidement produite et sans être globale. En revanche, le code visuel et symbolique porc-empereur s’est rapidement développé.

Dans une charge de Faustin, Napoléon III enchaîné trône sur un tonneau de choucroute que des cochons viennent flairer. L’allusion à sa traîtrise est ici évidente, stigmatisée par ce plat traditionnellement considéré comme typiquement allemand, composé de viande de porc. Beaucoup plus virulente est la charge du caricaturiste De La Tremblaye, qui montre un étal de charcuterie à l’enseigne de La Couenne impériale. En plein Siège de Paris, où le peuple souffre de la famine et mange du rat - animal ô combien répugnant et nuisible ! - une réclame garantit : « Débit d’un porc arrivant du marché de Sedan et d’autres animaux de la race porcine engraissés dans les châteaux impériaux. »

L’essentiel de la marchandise se compose de têtes où l’animalisation s’effectue, non par le dessin, mais par la dénomination des produits proposés à la vente : Hure d’Auteuil (Pierre Bonaparte), Galantine de dinde (Impératrice), Galantine Demidof (princesse Mathilde), Andouille (Jérôme Bonaparte), tandis que la tête de Napoléon III est (déjà) vendue. Les têtes d’Émile Ollivier, Rouher et quelques autres ministres sont, quant à elles, disponibles dans un grand baquet à déchets et abats soldés à bas prix. Enfin, des jambons fumés, du lard, des boudins, des saucisses et des pieds de cochon à la Lorraine complètent l’étalage de ce charcutier qui accepte les envois à l’étranger. En pleine famine, cette charge prend évidemment un caractère d’autant plus féroce.

Plus qu’une tuée, cette image implique le débit de l’animal complet - qui signifie ici le régime et les institutions du Second Empire - et confinerait à l’invitation au cannibalisme, si la bête proposée n’était pas immonde de bêtise, de méchanceté et de saleté. L’étalage débordant de victuailles, en cette période de disette, en est la preuve flagrante. Il s’agit d’un retour (inconscient ?) à l’iconographie médiévale où les bons porcs sont rares - ils se nourrissent des déchets de la ferme ; ils peuvent être méchants, et doivent être alors abattus par mesure de défense.

Le porc et l'antisémitisme

Avec l’éclosion de l’antisémitisme social, dès les années 1880, la figure du cochon opère son grand retour dans l’imagerie satirique, dans le cadre d’un discours exclusivement antijudaïque. Claudine Fabre-Vassas, dans un ouvrage aussi singulier que son titre et son objet, a étudié les rapports entre les rites traditionnels et les croyances chrétiennes liés au porc et le développement d’un antisémitisme chrétien populaire ancien. Selon une légende européenne, lors de sa visite sur terre pour annoncer la nouvelle Loi, le Christ métamorphosa des enfants qu’une mère lui avait cachés. Comme elle était de confession juive - et que la mère est responsable de l’éducation religieuse des enfants - les petits juifs sont des porcs. C’est pour cette raison que les juifs refusent de manger la viande de cet animal, par crainte d’un cannibalisme. Or, comme le démontre l’auteur, à la même époque s’affirme la nécessité d’assimiler le juif à la bête qu’il juge immonde.

Dès lors, se multiplient, dans de nombreux terroirs de France et des pays voisins, des récits où le juif et le porc sont confondus par des analogies très diverses recoupant souvent des critères de races, entre porcs (et juifs) à oreilles hautes ou basses. Parfois, la distinction est plus radicale encore. Ainsi, dans les Pyrénées, le porc aux grandes oreilles est la race autochtone, tandis que le porc aux petites oreilles est d’origine étrangère ! Déjà se forge une pratique de la discrimination, récurrente dans l’image où le juif a les oreilles petites et effilées, marquées d’une connotation diabolique.

Les affiches de Lenepveu, publiées vers 1899-1900, sous le titre du Musée des Horreurs, en offrent de nombreux exemples où, par extension, les animaux retenus ont souvent des oreilles de ce type - l’âne, l’ours, la hyène, le caïman, le singe, le lièvre, le loup ou le renard... Ce signe de reconnaissance, selon FabreVassas, est fixé en Europe dès le xiiie siècle et constitue le ferment de cet imaginaire, où le cochon et le juif sont roux - comme Judas -, où ils ont le palais et le derrière noirs, où ils sentent mauvais.

La métamorphose du juif et son assimilation au porc se posent comme une révélation de son intime nature. La fracture physique de l’organisme des juifs se trouve ainsi poussée jusqu’à d’extrêmes limites, visant à exclure le juif de l’humanité, par sa puanteur. Il s’agit vraisemblablement d’un des traits les plus constants et les plus universels de l’antijudaïsme. Le juif pue car, comme le porc, il vit dans l’ordure de la porcherie et se nourrit à même l’auge. Il en possède les maladies qui affectent son allure. Nombreux sont les caricaturistes antisémites qui se complaisent à montrer le juif courbé, marchant la tête baissée, et le regard bas, en signe de fourberie. Ces symptômes sont aussi ceux de la ladrerie du porc, face à laquelle l’éleveur n’a pas d’autre alternative que de supprimer la bête malade et contagieuse.

L’assimilation du juif et du porc véhicule un autre angle d’attaque, qui semble resurgir. En effet, dans les rares gravures de l’Ancien Régime où le cochon apparaît, il est associé à la figure de l’homme d’argent et du banquier. Il joue le rôle du financier dans la comédie animale. L’origine de cette animalisation demeure obscure. Mais on peut tout de même y déceler quelques motivations évidentes, liées à l’adage : « dans le cochon, tout est bon ». Derrière cette formule se cache la nature grosse et grasse de l’animal, où tous les morceaux sont comestibles. Or, le gras est synonyme de richesse et d’abondance, impliquant l’idée de profit pour son propriétaire et d’enrichissement pour le charcutier.

La récupération de cette symbolique, dans le cadre d’un discours antisémite, n’est donc pas surprenante, dans la mesure où le juif spéculateur, financier et banquier, est en tout cas, toujours accusé de grossir, de s’enrichir et de profiter sur le dos d’autrui qu’il exploite sans scrupule. Le scandale de Panama, lancé par La Libre Parole de Drumont, assurera un grand succès à cette figure. C’est ce à quoi le caricaturiste Léon Roze fait allusion dans une charge visant Joseph Reinach, dont la tête grasse est présentée sur une assiette, avec l’étiquette : « BOULE DE JUIF À VENDRE. » Le jeu de mot avec la boule de suif renvoie, entre autres, à cette matière grasse de mauvaise qualité, tirée du porc et réservée à des usages domestiques.

Plus violente encore est la pratique de la castration du porc, communément appelée baptême des cochons. Cette dernière dénomination populaire de l’acte est évidemment l’objet d’une connotation religieuse péjorative qui cite et raille la circoncision, considérée comme l’équivalent hébraïque du baptême catholique. Au-delà de cette analogie, l’expression joue avec l’idée d’une castration déplacée faisant des juifs des individus ( ?) châtrés ou à châtrer. L’explication de cette confusion volontaire se trouve certainement dans le statut exemplaire de la circoncision comme figure religieuse d’exception, objet de curiosité et de fascination morbide et comme source d’allusions lourdes.

Avec l’affaire Dreyfus, au moment où l’imagerie antisémite flambe littéralement, se multiplient les charges se référant à ce rite religieux. Deux affiches du Musée des Horreurs en traitent. L’une (n° 5) annonce l’autre (n° 7) à paraître, sous le titre « Kabosch d’âne (Célèbre coupeur de queues de cochons) ». Cette affiche représente le grand rabbin Zadoc Kahn sectionnant à l’aide d’une paire...

Conclusion

L'utilisation du terme "porc" comme insulte antisémite est enracinée dans une longue histoire de dénigrement et d'exclusion. Comprendre ce contexte est essentiel pour saisir la gravité de son emploi et pour lutter contre toutes les formes d'antisémitisme.

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