Le chāshū / 叉焼 / チャーシュー est indissociable des rāmen. C’est la garniture la plus typique des soupes de nouilles japonaises, mais aussi un élément fondamental de leur recette. Le chāshū, c’est le porc braisé en tranches que l’on retrouve toujours ou presque sur les bols de rāmen. Selon les régions et les cuisiniers, le chāshū se présente de différentes manières et sa texture est plus ou moins ferme ou fondante. Après quelques considérations culturelles, je vais vous livrer ici la recette de sa version emblématique, roulée et incroyablement tendre, qui demande très peu d’efforts et de matériel.
Origines et Évolution du Chāshū
Et comme les rāmen, le chāshū vient de Chine, où on le connaît sous le nom de char siu / 叉燒, littéralement « broche rôtie ». On l’appelle ainsi car la viande de porc est d’abord embrochée puis rôtie dans un four ou au-dessus d’une flamme. De char siu à chāshū, il n’y a qu’un pas, pourrait-on penser, mais non, les Japonais ont mis leur grain de sel dans le choix de la viande, sa technique de cuisson et la recette de la sauce, donnant un résultat très différent de ce que l’on peut trouver en Chine. La recette s’est exportée dans toute l’Asie du Sud-Est où elle a été reprise plus ou moins à la lettre.
Quant à la viande, il s’agit traditionnellement d’épaule de porc désossée et détaillée en longues bandes. On peut également utiliser des morceaux plus gras, comme la poitrine de l’animal, mais c’est à l’origine une viande plutôt maigre qui est choisie, et la préparation rappelle, du point de vue de la texture, notre filet mignon. Car le chāshū n’est pas épicé, et il est souvent bien plus gras, un gras totalement assumé, maîtrisé et exploité pour obtenir une viande incroyablement fondante et juteuse.
Juste un mot là-dessus, puisqu’on en parle : braiser et rôtir, ce n’est pas du tout la même chose. Rôtir implique un feu vif. La viande est saisie à l’extérieur, voire carrément croustillante, tout en restant tendre à l’intérieur. Braiser implique une cuisson longue et douce dans un récipient fermé, avec du jus. Le char sui rôti est donc bien plus sec que le chāshū braisé. Et le moelleux incomparable du chāshū est renforcé lorsque celui-ci est roulé, gardant tout son jus en son coeur.
La Technique de Préparation du Chāshū Roulé
Autre détail qui a son importance : on n’utilise pas de broche pour préparer le chāshū. On ne pique même pas la viande pour la manipuler, afin là encore de garder tout son moelleux. Grâce à toutes ces précautions, la viande obtenue se tiendra impeccablement, formant un rouleau parfait, et sera moelleuse au point de céder d’un simple coup de baguettes.
C’est important car au Japon, on ne se sert jamais d’un couteau à table. Tous les aliments sont coupés à l’avance en petits morceaux afin d’être saisis facilement avec des baguettes et mangés en une seule bouchée. Mais le chāshū est si tendre qu’il n’a pas besoin d’être détaillé. En effet la dimension visuelle est primordiale dans la cuisine japonaise.
Ainsi roulé, le chāshū présente le même dessin de spirale que le tourbillon de Naruto, un motif récurrent dans la culture japonaise en général et dans sa cuisine en particulier. En voyant un bol de rāmen garni de chāshū, les Japonais ne vont pas se dire : « Oh, le tourbillon de Naruto ! », mais pour un oeil extérieur, la présence de la spirale sur les bols de nouilles est flagrante.
La Recette du Chāshū : Ingrédients et Préparation
Faire du vrai chāshū roulé à la japonaise, ce n’est pas très compliqué. La recette demande peu d’ustensiles, peu d’ingrédients, et peu de travail. En revanche, il faudra savoir être patient, infiniment patient. Car la recette demande deux jours, c’est pour cela qu’on commence préparer le chāshū la veille quand on veut faire des rāmen. Je vous rassure tout de suite, quand je dis deux jours, ce ne sont pas deux jours en cuisine, on n’est pas des bêtes, mais un jour de préparation à proprement parler et un jour de repos. Prévoyez du temps donc, mais ne vous inquiétez pas pour le reste.
La sauce soja, le sake et le mirin se trouvent en bouteilles de 500 ml ou d’un litre dans la plupart des épiceries asiatiques (et pas seulement japonaises), les prix peuvent varier grandement d’un commerce à l’autre. Moi qui en utilise énormément, je les achète en gros conditionnement et je m’en tire pour environ 1,5 euro pour un litre de sauce soja, et 5 euros pour un litre de sake ou de mirin. La ciboule se trouve fraîche ou déshydratée dans les épiceries spécialisées et ne coûte souvent pas bien cher, quant au reste, il est facilement disponible partout en France.
Le roulage est facile, très facile, surtout quand on passe sa vie à rouler des maki, des omelettes coréennes et d’autres trucs, on finit par avoir le coup de main. Mais il faut tout de même émettre un avertissement aux âmes sensibles et cuisiniers inexpérimentés : le contact de la peau et de la chair crues de l’animal peut rebuter certains. Bon, la méthode de roulage est simple : on saisit le rectangle par un de ses côtés courts, la peau vers l’extérieur, et on roule petit à petit la chair en serrant le plus possible. Je vous conseille d’avoir recours à un assistant pour ensuite nouer de la ficelle autour du boudin ainsi formé pendant que vous le tenez fermement. Placez 4 ou 5 tours de ficelle à distance régulière, profitez d’avoir quatre mains pour faire des noeuds bien serrés, et votre rouleau tiendra parfaitement en place.
Il faut ensuite préparer la sauce. Mélangez l’eau, le sucre, le mirin, la sauce soja et le sake dans une petite casserole. Ajoutez le gingembre, la ciboule et l’échalote non pelés et tranchés grossièrement, ainsi que les gousses d’ail légèrement cassées, et faites chauffer jusqu’au point d’ébullition.
Si ce n’est pas le cas, trouvez un récipient de petite taille mais assez profond. Il doit en fait avoir les dimensions de votre rouleau de poitrine, avec un diamètre et une profondeur juste supérieurs à la longueur et la hauteur de votre porc. En bref, le rouleau doit y loger en entier, sans être compressé et sans toucher les bords du récipient qui sera couvert. Quand vous aurez trouvé le plat qu’il vous faut, et le couvercle qui va avec, faites chauffer votre four à 135 degrés. Mettez la viande, la sauce et les légumes grossièrement coupés dans votre plat. La viande ne sera pas couverte, c’est normal. Quand le four est chaud, enfournez tout ça et couvrez en laissant le couvercle légèrement entrouvert.
La cuisson va s’organiser comme suit : toutes les heures environ, il faut sortir la plat du four, retourner la viande et l’enfourner à nouveau, de manière à ce que la cuisson soit homogène. L’alternance de chaleur sèche et humide va donner son incroyable moelleux à la viande. Vous devez répéter cette opération à 135 degrés - ou 140 si votre four est faiblard - au moins quatre fois, soit 4 heures de cuisson.
Deux Approches pour un Chāshū Parfait
J’ai tenté deux approches pour retrouver l’exact chāshū que je mangeais cet automne à Ōsaka, dans un délicieux petit rāmenya non loin d’Ebisuchō-eki (en photo dans cet article sur les rāmen). Celui-ci était incroyablement fondant. Il était très doux mais très parfumé, et son truc en plus, c’étaient ses bords bruns, très foncés, qui avaient l’air grillé mais ne croustillaient pas.
Pour la première tentative, j’ai poursuivi la cuisson un peu moins de 3 heures à 100 degrés après les 4 premières heures à 135 degrés, en retournant la viande toutes les heures cette fois encore. Le chāshū obtenu était très tendre, mais pas fondant, sa peau se tenait encore légèrement, ce qui l’a rendu très facile à couper en tranches.
Deuxième essai donc, plus extrême, avec une cuisson à 100 degrés durant 4 heures et demi, en retournant la viande une seule fois à mi-cuisson. Là, j’ai atteint le nirvana du chāshū, en retrouvant exactement le goût et la texture d’Ōsaka. Émotion. Peut-être que le bonheur se situe à mi-chemin entre ces deux versions.
Le lendemain matin, mettez le plat entier, couvert, au réfrigérateur pendant au moins une demi-journée, afin de faciliter le tranchage. La graisse rendue par le porc, qui se trouvait dans la sauce, va se figer en prenant froid.
Retirez également le gingembre, la ciboule, l’ail et l’échalote de la sauce. Ils sont complètement confits et peuvent être mangés avec du riz blanc tout simple, c’est délicieux.
Placez votre chāshū réfrigéré sur une planche à découper, armez-vous d’un long couteau bien aiguisé, et détaillez des tranches fines, mais consistantes quand même, dans les 2 à 3 millimètres d’épaisseur. Coupez les ficelles au fur et à mesure que vous avancez.
Ces tranches de viande peuvent se conserver très longtemps au congélateur. Quand on fait des rāmen, le chāshū est utilisé tel quel. Pas besoin de le réchauffer, on dépose simplement les tranches sur la soupe de nouilles brûlante qui va se charger de les chauffer et de les attendrir.
Quand on a super envie de goûter pour voir si c’est bon avant de se lancer dans le bouillon des rāmen, on peut simplement réchauffer une tranche de chāshū une minute dans son jus de cuisson. Sur un petit bol de riz (avec une cuillerée à soupe de jus de cuisson pour arroser), c’est merveilleux.
Je vous laisse donc tenter cette première partie de la recette traditionnelle des rāmen au tonkotsu. La prochaine étape, c’est le fameux tonkotsu, le bouillon de porc crémeux typique de Hakata, dont vous trouverez la recette ici.
En attendant, bon chāshū, et dernier conseil d’ami : aérez à fond votre cuisine tout au long de la cuisson du porc, et fermez la porte pour épargner le reste de votre chez vous. Le goût a beau être très doux, l’odeur est très forte.
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