Olivia Ruiz et "Les Crêpes aux Champignons": Une Analyse

Devenue, en une petite décennie, une incontournable de la chanson française, avec 4 Victoires de la Musique à son actif, la native de Carcassonne nous offre une jolie parenthèse jazz et une apparition exceptionnelle sur la scène du Festival, accompagnée des 17 musiciens du Red Star Orchestra.

Le Parcours d'une Artiste

Il en fallait pour tourner la page de La femme chocolat. Brièvement numéro un des ventes, près de deux ans dans les charts pour un million d’albums écoulés (grosse performance pour l’époque), sans oublier deux chansons entendues ad nauseam sur les radios, ce disque aurait pu être le début de la fin ainsi que c’est arrivé à tant d’artistes peu calibrés pour tenir la rampe de l’industrie musicale. Mais, première chose, elle a pris son temps plutôt que de saturer l’auditeur en remettant trop vite le couvert. Ensuite, elle a mis à profit ce temps pour faire de nombreuses rencontres musicales ; le nombre de ses participations à des projets d’autres personnes dans ces années-là impressionne. D’autant qu’elle est restée relativement éloignée des coups commerciaux ; de ce côté-là son intégrité est remarquable, tant c’est avant tout par admiration et par goût personnel qu’elle le fait (Allain LEPREST, TETES RAIDES entre autres).

Troisième chose, elle a jeté ses lauriers par la fenêtre en sortant un album destiné au marché espagnol, où elle est une parfaite inconnue (La chica chocolate (2008) - sorte de best-of des deux premiers disques avec quelques chansons adaptées en castillan). On la retrouve donc en 2009 prête à donner une suite à son œuvre, à la hauteur de son nouveau statut - ce dont elle s’acquitte haut la main. Ne faisons pas de faux suspense : Miss Météores a également été un important succès commercial et, surtout, un succès artistique. Olivia RUIZ a clairement deux grandes qualités : elle sait ce qu’elle veut et elle sait très bien s’entourer. On peut en deviner une troisième en mettant en perspective ses albums : elle apprend vite. Elle qui n’avait à peu près rien écrit de son premier effort crée cette fois-ci l’essentiel des textes ainsi que des compositions, tout en prenant en charge une grande partie de la production. Il en résulte un album franchement cohérent, quoi que fort diversifié.

"Miss Météores": Un Album Intime et Collaboratif

Impossible de parler de Miss Météores sans parler de la vie privée de la chanteuse, tant ce disque est intrinsèquement une émanation artistique de son histoire d’amour d’alors. Elle était à la ville avec Mathias Malzieu, le généreux frontman de DIONYSOS. Dans ces années, les deux tourtereaux ont réalisé plusieurs choses ensemble, sous un nom ou un autre. Mais c’est clairement l’album de l’Audoise qui est leur travail le plus abouti. Les deux composent ensemble, réalisent ensemble et trouvent ensemble un ton, un son qui leur ressemble. Ces trois-là ont fait de Miss météores un disque riche instrumentalement parlant.

On y entend des sonorités très différentes, avec de nombreux instruments utilisés. Ukulélé et autres cordes particulières (mandoline par exemple) apportent légèreté et décalage, tandis que les cuivres font monter la température ou qu'une utilisation bien dosée de l’électricité génère des passages puissants. N’oublions pas non plus le travail des chœurs qui amène des notes très variées, versant régulièrement dans l’étrange. Cela donne des ambiances assez marquées et singulières. Presque visuelles tant ces compositions semblent sortir de musiques de films de Dany Elfman (grosse influence ici) ou même de Morricone. Cette patte cinématographique accompagne parfaitement le côté conteuse d’Olivia RUIZ sur ce disque.

Analyse de "Les Crêpes aux Champignons"

Une bonne partie des textes relève en effet de ce genre, par exemple l’excellent "Les crêpes aux champignons" qui est un parfait concentré du ton de l’album : sous un habillage chaleureux et entrainant se cache une vraie noirceur. Votre plat préféré ?…. Non, non, mon Dieu quelle horreur !…. C'est l'histoire d'une meurtrière qui est tellement barge qu'elle essaye de faire revenir son mari avec quelque chose de dégueulasse. Alors est-ce que c'est le mec qui est fou et qui adore ça ou est-ce que c'est la femme qui a perdu tout sens des choses ?

Le nostalgique "Le saule pleureur" est aussi à retenir dans cette catégorie, avec en outre l’intervention de son rappeur de frère (Olivia ayant l’habitude de faire les choses en famille, on retrouvera également son père chanteur sur l’orageux "Quedate"). Cette notion de partage est une composante essentielle de Miss Météores. On a parlé de Mathias Malzieu et de la famille de la chanteuse, ainsi que de ces deux ainés qu’elle admire tant, mais il y a encore deux groupes avec qui elle collabore, sans doute plus représentatifs de la scène dans laquelle elle souhaite s’inscrire.

Il s’agit d’abord de COMING SOON - avec qui elle se fait un petit délire rock décalé ("Don’t call me madam") puis un moment beaucoup plus épuré ("Eight O’clock") - et de LONELY DRIFTER KAREN ("When the night comes") pour un exemple parlant de l’ambiance à la Dany Elfman que j’évoquais (le plus évident étant par ailleurs le complètement barré "Peur du noir"). Ces interventions extérieures amènent leurs touches à cet ouvrage, tout en se fondant dans le ton général ; on sent que la capitaine tient bon la barre. Si le titre de l’album la ramenait de femme à miss, son écoute démontre à quel point Olivia RUIZ a bien grandi, ce qui sera encore plus manifeste à l’étape suivante.

Réception et Diversité Musicale de "Miss Météores"

A la première écoute, le troisième album d’Olivia Ruiz, Miss Météores est un temps soit peu déroutant, bien que très agréable. Il est surprenant d’ailleurs que certains critiques sembleraient presque lui reprocher cette diversité de styles musicaux : d’une part, ce mélange entre (nouvelle) chanson française, rock et musique latine était déjà présent sur ses précédents albums et d’autre part, comment reprocher à un artiste d’avoir eu la délicatesse de ne pas avoir servi à son public un album trop homogène, où tous les titres sont de la même couleur ? Si on retrouve un certain « son » Olivia Ruiz et les ingrédients, si l’on peut dire, qui ont fait son succès, on ne peut sans doute pas l’accuser de s’être répétée. A bien des égards, Miss Météores est fort différent de ses prédécesseurs tout en conservant leur charme si particulier.

Toujours accompagnée de son compagnon, Mathias Malzieu (chanteur de Dionysos) qui signe la plupart des musiques, la demoiselle a également bien su s’entourer en faisant appel à un certain nombre d’artistes qu’elle apprécie, au succès plus confidentiel. Ainsi, le nombre de duos présents sur cet album frappe : outre son père avec lequel elle réalise de nouveau un duo en espagnol, elle chante également avec la chanteuse autrichienne folk Lonely Drifter Karen (« When the Night Comes »), le rappeur Toan (« Le Saule Pleureur »), le groupe Coming Soon (« Don’t Call Me Madam ») ou encore Christian Olivier (« Six Mètres », le bonus track caché en fin d’album), sans compter la participation du groupe anglais The Noisettes.

Outre certains titres qui rappelleront ses précédents opus (« Elle Panique », « Les Crêpes aux champignons », « Spit the Devil », « Le Saule Pleureur » ou « La Mam' »), tous réussis (avec une mention spéciale pour « Les Crêpes aux champignons »), on retrouve plus de variations et de nouveautés dans les titres rock tels que « Mon petit à petit », « When the Night Comes » et « Eight O’Clock ». Le duo avec son papa, « Quedate », s’il peut tout d’abord rappeler leur précédent duo sur La Femme chocolat de par l’espagnol et les influences latines est particulièrement réussi au niveau des arrangements, une guitare électrique, bien plus rock, ainsi que des claviers faisant leur apparition pour aboutir à un titre particulièrement dense.

On est également surpris quand, à la fin du titre « Le Saule Pleureur », Toan vient poser un slam inattendu qui vient achever la chanson en beauté. S’il sera sans doute accueilli avec un peu plus de réserve que La Femme chocolat, Miss Météores n’en demeure pas moins un album très réussi et abouti. Une écoute ne suffit pas à rendre justice aux différents titres mais dès la deuxième écoute, l’album grandit en nous et révèle ses subtilités.

Pas parce-que Olivia Ruiz a vendu plus de 1 million d’albums avec La Femme chocolat et que, par ce simple fait, ce nouvel album aurait été labellisé « incontournable » et que vous allez la voir envahir les médias pour sa promo. Non. Simplement parce-que Olivia Ruiz nous confirme qu’elle a bien les qualités et les tripes d’une véritable artiste à la carrière sans doute encore longue et riche en surprises. La chanson finale « Six Mètres », qu’elle récite avec Christian Olivier, nous montre bien, d’ailleurs, à quel point elle se méfie de la gloire et ses trophées. Elle ne semble donc pas encore prête à se reposer sur ses lauriers.

La Chanson Française : Un Art en Mouvement

Légère ou grave, rock ou électro, poétique ou engagée, la chanson tricolore se décline sur tous les tons. Quel est son héritage ? Son avenir ? Tour d'horizon à l'heure des Victoires de la musique, qui seront célébrées le 6 mars. Tubes d'un jour ou classiques de toujours, les chansons d'en France sont reconnues depuis la création de la Sacem en 1851. Au moins. Protéiforme, la chanson française se démarque des autres (italienne, espagnole, anglo-saxonne...) parce qu'elle évoque des thèmes souvent inattendus. Et le champ des possibles est illimité.

Ces derniers temps, on a entendu la complainte des crêpes aux champignons (Olivia Ruiz), des serments d'amitié (Calogero), un tacle de Patrick Vieira (Vincent Delerm), un coup de gueule contre les VIP (Helmut Fritz), un IRM (Charlotte Gainsbourg) ou la mort d'un père (Marc Lavoine). Une bonne chanson court de fenêtre en fenêtre, fait entendre une voix, une vibration, une langue. Une chanson, c'est un témoignage, une photographie, une histoire qui raconte la France, parle des divorcés, de la condition féminine, de l'air du temps... Elle doit être compréhensible d'une façon immédiate, mais quand elle avance masquée, c'est bien aussi.

Il n'y a pas de grandes chansons sans double sens, sans mystère. Ouverte aux musiques d'ailleurs, la chanson française absorbe les autres rythmes, les digère et leur insuffle son style. "Cette constatation est valable pour tous les artistes français, ils ont compris l'évolution du monde", assure Yves Duteil, qui fut chargé, en 1995, d'une mission de conseil et de proposition pour dynamiser la chanson française. Et, inversement, Brassens imprime à une version espagnole ou Gainsbourg à une version anglaise une tournure d'esprit, une manière, une attitude.

"Ce qui me plaît dans la chanson française, c'est qu'elle n'est pas que française, appuie Serge Hureau, directeur du Hall de la chanson. Elle est d'en France. Elle est aussi celle des première, deuxième ou troisième générations issues de l'immigration". "J'aime l'idée qu'une chanson soit née d'un amoureux de notre pays, quelle que soit sa culture ou la langue qu'il utilise", ajoute Olivia Ruiz.

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