Monsieur Côte de Porc Dévoré Tout: Explication du Roman "Porc Braisé" d'An Yu

J'adore passer au Musée Guimet, principalement pour ses magnifiques collections mais aussi pour les surprises littéraires dont regorgent sa librairie dont je suis partie, lors de ma dernière visite, avec "Porc braisé" d'An Yu ! Avec ce premier roman écrit par une jeune Chinoise, on est carrément sorti de notre zone de confort et on ne le regrette pas.

L'occasion aussi de découvrir un visage inconnu de la société chinoise contemporaine. Autour d'un plat de porc braisé, cuisiné par son père, Jia Jia va essayer de faire le point sur sa vie. Porc braisé est une lecture étrange dans le bon sens du terme, elle sort de l'ordinaire, elle dérive des sentiers battus, elle nous surprend et nous imprègne.

L'Intrigue et l'Atmosphère

Mais je vais un peu vite, revenons-en au récit : lorsqu'elle retrouve le corps inanimé de son mari, Chen Hang, au fond de leur baignoire, la vie de Jia Jia change du tout au tout. Jia Jia pénètre un matin d'automne dans la salle de bains de son riche appartement de Beijing où son mari est en train de prendre un bain. Là, elle le trouve inerte, la tête immergée dans l'eau qui refroidit : mort – suicidé. À côté, posé près du cadavre, un morceau de papier montrant le grossier dessin d'un homme-poisson.

Pour la jeune femme débute alors une période d'errance. Ainsi, Porc Braisé est-il moins un récit qu'une série d'anecdotes perturbantes, bizarres, déroutantes qui, prises une par une, n'ont pas de réelle signification, mais dans une vue d'ensemble contribuent à la description du parcours d'errance vécu par la jeune veuve. C'est une atmosphère qui m'a enveloppée. Une atmosphère étrange, rêveuse, onirique le qualificatif que me vient en tête est « flottante ».

On a découvert un univers à part, une écriture envoûtante, onirique, teintée de fantastique. En toute honnêteté, j'ai été déçue par la faiblesse des dialogues (et je ne relève même pas la comparaison, en quatrième de couverture, avec Haruki Murakami et Wong Kar-wai qui est franchement exagérée), mais je dois reconnaître que l'autrice infuse une ambiance bien particulière à ce roman qui entraîne le lecteur dans une sorte de transe.

Le Personnage de Jia Jia

Elle s'appelle Jia Jia. Un prénom comme un écho. Un prénom qui insiste. Comme s'il était besoin de se répéter pour être entendue. D'ordinaire, Jia Jia n'est pas du genre à se faire remarquer. Mariée à un homme qu'elle n'a jamais aimé et qui le lui rend bien. Mariée pour la forme, sans enfant, sans amour, son travail, sans passion, sans but. Comme beaucoup de femmes chinoises, elle a vécu dans l'ombre de son époux Li Cheng.

Un des aspects qui me paraît assez original est le mari de Jia Jia : ni violent, ni alcoolique, ni manipulateur, il n'en est pas moins étouffant – taiseux, légèrement porté à l'avarice, désapprobateur vis-à-vis du talent artistique de sa femme, il a fini par éteindre toute la fougue de sa jeunesse, la laissant complètement désemparée, une fois livrée à elle-même. Jia Jia était mariée à Chen Hang, plus par arrangement que par amour. Écrasée par les dictâtes de son mari elle a renoncé à sa carrière dans l'art et à son bonheur.

Elle n'a jamais compris son conjoint qui s'éloignait de plus en plus d'elle. La mort de son mari va chambouler toute sa vie et la faire sortir de sa coquille, se révéler enfin comme elle est, et non comme la société et son mari voulaient qu'elle soit. Au fur et à mesure de ma lecture, j'ai découvert une plume envoutante qui a su me captiver, j'ai découvert un personnage principal en quête de réponse et de sens existentiel, j'ai pu faire une pause dans le temps.

La Quête et les Thèmes Abordés

Alors le jour où elle découvre ce dernier mort dans sa baignoire, elle est tentée d'exister. Enfin. Malgré l'hostilité de sa belle-famille, le qu'en-dira-t-on et des siècles de tradition, la jeune veuve s'autorise à vivre pour elle-même. Quelle audace ! Elle se remet à peindre. Prend un amant. Et fait des rêves aquatiques peuplés d'homme poisson. Car en mourant, son mari lui a laissé un drôle de dessin énigmatique : un corps de poisson avec une tête d'homme. Pourquoi est-elle obsédée par ce personnage monstrueux ? Pourquoi l'eau l'attire-t-elle autant ?

Ancienne étudiante en art dont le talent a été lentement mais sûrement étouffé par un mariage asphyxiant – fait d'ennui, de solitude et de silence –, Jia Jia se retrouve à devoir vendre son appartement et réemménager chez sa grand-mère et sa tante, dans sa chambre d'enfance. Perdue, déprimée et sans le sou, avec l'angoisse latente d'avoir perdu son étincelle artistique, la protagoniste est par ailleurs hantée par la figure de l'homme-poisson qui peuple ses rêves et l'emmène, l'espace de quelques heures, dans un monde fait uniquement d'eau, de froid et d'obscurité.

Jia Jia va alors partir sur les traces de son mari en quête de l'homme -poisson. En désespoir de cause, Jia Jia décide finalement de partir au Tibet, lieu du dernier voyage d'affaires de feu son mari – pendant lequel il lui a pour la première fois parlé de l'homme-poisson, aperçu en rêve –, mais aussi lieu du road-trip de jeunesse de ses parents, voyage qui a marqué les débuts de la dépression de sa mère jusqu'à son suicide. Au milieu de ces plateaux oniriques, la jeune femme s'enfoncera de plus en plus profondément dans le monde de l'eau, où sa mère avant elle s'est perdue.

Un roman à clé, le portrait d'une femme qui part à la recherche d'elle-même, jusqu'à faire un voyage au Tibet en quête ses racines. Les relations parents-enfants, la place des femmes, le poids écrasant des conventions... Elle va alors essayer de trouver sa place dans la vie : va t elle reprendre les pinceaux car, avant son mariage, elle souhaitait devenir peintre. Elle va rencontrer un barman et peut être avoir son histoire d'amour ! Puis elle décide de partir en voyage au Tibet, sur les traces du dernier voyage de son mari, qu'il avait fait seul.

Elle va alors vers un peu de spiritualité et découvrir un monde parallèle, celui du monde de l'eau, un monde à côté du nôtre. le portrait d'une jeune chinoise qui essayer de se comprendre, de trouver sa place dans la société et/ou dans un monde parallèle, spirituel. C'est aussi le portrait de personnages secondaires, le barman féru de jazz, sa tante qui tente avec son mari de réussir avec des affaires, qui ne sont pas toujours très claires. En mourant, son mari lui a laissé un étrange dessin d'un homme poisson. Veuve, mais à nouveau libre elle va chercher à continuer sa vie, peut-être même la refaire avec un autre homme, malgré la croyance populaire qu'une femme veuve porte malheur.

Elle se débat dans cette nouvelle vie, entre rencontre, alcool et solitude. Le barman en face de chez elle va peu à peu l'aider à sortir de cet état de choc. Il va la guider dans ses recherches sur la disparition de son mari, la menant dans sa quête de réponse jusqu'au Tibet, dernier voyage en solitaire de Chen Hang. En définitive, Porc braisé est une très belle surprise ! Préparez-vous à plonger dans un moment de grâce, un livre sans nul autre pareil.

Réflexions et Impressions

Vous l'aurez donc sûrement deviné, il n'y a pas beaucoup d'action. C'est un moment de vie proposé au lecteur, un passage à vide, et même une plongée dans la dépression d'une jeune femme qui se retrouve seule, perdue, sans travail et avec un compte en banque qui fond à une vitesse terrifiante. Néanmoins, malgré cette matière très riche, j'ai refermé ce court roman avec une impression déçue d'inachevé.

J'ai eu comme l'impression que la quête de Jia Jia ne menait nulle part, que sa crise n'aboutissait sur rien (pas que cela soit toujours nécessaire – car irréaliste – mais du moins il paraît, ici, ne pas y avoir d'évolution par rapport au point de départ). La dimension fantastique est introduite sans but discernable et abandonnée au lecteur sans plus de précision. Une ambiance type Wong Kar-Wai mais cette fois l'action se déroule au départ dans le Pékin moderne de la classe sociale supérieure, un livré "calme" "posé" une bonne détente.

Je le trouve même souvent poétique. Des mondesparallèles comme l'univers de Murakami. Voilà un livre qui suscite la curiosité, ne savant pas à quoi m'attendre, j'ai plongé dans ce livre pour en ressortir agréablement surprise. Porc braisé, c'est un livre qui a été un peu énigmatique pour moi. Les ambiances sont bien retranscrites et le personnage principal fouillé. La scène de début est assez saisissante, le décès du mari très rapidement décrit de manière explicite, froide, méthodique.

Mais cette obstination pour retrouver trace de l'homme poisson est à la lisière de la poésie, du rêve et de l'obstination. Un bel ouvrage, poétique, a prendre tel qu'il se présente, ne pas chercher à tout comprendre, et se laisser porter. En conclusion, une entrée en matière très positive de mon ressenti ! Une atmosphère surprenante et vraiment originale, une protagoniste touchante mais une intrigue trop déstructurée d'une certaine manière.

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