Liu Xiaobo, dissident chinois et prix Nobel de la paix 2010, est né en 1955 d’une famille d’intellectuels, rééduquée par la Révolution culturelle. Il n’a pas écrit de livre présentant l’essentiel de ses idées, mais s’est exprimé par des articles publiés soit dans la presse de Hong Kong, soit sur le net.
Dans son ouvrage « L’homme qui a défié Pékin », Ed. Arte, 2019, Pierre Hasky revient sur la vie et la mort en prison le 13 juillet 2017 de Liu Xiaobo prix Nobel de la paix 2010. Chacun se souvient de la crispation irritée du Parti qui considéra l’événement comme une offense quand le prix Nobel fut remis à la chaise vide de Liu, enfermé dans les geôles chinoises et absent à la cérémonie.
« Liu Xiaobo est un criminel condamné par la justice chinoise pour avoir violé les lois du pays. » Et d’autre part, l’évolution de la Chine moderne qui, avec « les caractéristiques chinoises » portées par Xi Jinping ont pour l’heure fermé la porte à toute évolution démocratique.
« Xi Jinping et Liu Xiaobo ont beau sortir de la même matrice maoïste, ils suivront des voies séparées et divergentes, leurs destins ne pourraient pas être plus opposés. Xi Jinping est devenu le n°1 du parti et de l’État chinois en 2012, tandis que Liu Xaiobo croupissait déjà en prison condamné à une peine de 11 ans pour subversion.
L'Esprit Critique de Liu Xiaobo
Brillant étudiant, spécialiste des littératures occidentales, « cheval noir » impétueux, il se fait connaître en critiquant les écrivains chinois enchaînés par la tradition dans « la boutique de Confucius ». Il réussit à voyager à l’étranger.
En 1989, à Tian’anmen, il devient un leader de la révolte et, témoin du massacre, il est habité par ce souvenir interdit. Il dénonce depuis, avec un courage inaltérable qui lui vaut de fréquentes privations de liberté, le despotisme et la corruption, s’indigne de la lâcheté de nombreux Chinois, « porcs » satisfaits de leur petit espace de liberté économique.
Avides de richesse, silencieux devant les mensonges officiels qu’ils critiquent en privé ou, pire, menteurs eux-mêmes, ils soulagent leur conscience par un nationalisme agressif. Quelques-uns cependant perpétuent l’esprit de Tian’anmen, la pression populaire se construit, Internet et téléphones aidant.
"La Philosophie du Porc et autres essais"
« La philosophie du porc et autres essais », Liu Xiaobo, Collection Bleu de Chine, Gallimard, traduit par Jean-Philippe Béja. Préface de Vaclav Havel. Les articles qui ont ponctué la vie militante de Liu sont rassemblés par thèmes, avec d’inévitables répétitions : littérature, politique, attitudes des intellectuels…
Les « affaires » incriminées soulignent la brutalité et l’arbitraire arrogant des « mandarins ». Sont aussi repris les articles qui ont servi de pièces d’accusation à son procès, la défense qu’on ne lui a pas laissé prononcer. Enfin le discours prévu pour la remise du prix Nobel auquel il n’a pu se rendre termine ce gros ouvrage. Sa préface est signée par Vaclav Havel et une courte biographie écrite par le traducteur (sans doute ami de l’auteur) l’introduit.
La personnalité charismatique de Liu facilite la plongée dans une pensée étrangère, dans la sinueuse politique gouvernementale et dans une société complexe, « cheminant en boitant » vers la modernité.
Voici un livre incontournable, à lire, méditer et faire connaître autour de soi. Pas seulement parce que, Prix Nobel de la paix en octobre 2010, Liu Xiaobo est toujours en prison, et que nous sommes sans nouvelles de lui ainsi que de son épouse Liu Xia, assignée à résidence.
Décrypter le Cynisme Ambiant
Les textes de ce second recueil de traductions, après La philosophie du porc et autres essais (Gallimard, 2011), nous livrent la réflexion d’un intellectuel chinois décryptant le cynisme ambiant et le désert spirituel dans lesquels s’enfoncent ses compatriotes : contrefaçons de Confucius, canonisation du vieux romancier Pa Kin, mais aussi la « frénésie pornographique » omniprésente, les expulsions foncières, l’instrumentalisation politique des Jeux Olympiques… Seul l’Internet arrive parfois à contrecarrer l’arbitraire politico-financier.
À ces analyses exceptionnellement fouillées succèdent quarante pages de poèmes, à son épouse ou à la mémoire des morts du 4 juin 1989, qui sont autant de cris d’un désarroi immense : « Entre fleurs fraîches et tanks/S’éteint le siècle passé/Reste une obscurité sanglante/ Le commencement du nouveau siècle/ Sans la moindre lueur de vie. »
Mais, il ne s’agit pas seulement du 4 juin ; témoin ce texte rédigé à New York en mars 1989 : « en tant que Chinois, je sais parfaitement que la Chine ne pourra devenir l’espoir du siècle à venir pour l’humanité. » Le détour par la civilisation occidentale s’impose, mais cet occident ne peut être « le destin de l’humanité ». Liu Xiaobo s’attend encore moins à ce que les progrès de la société chinoise puissent régler la question de son existence : « je ne puis compter que sur moi-même, tabler sur la lutte individuelle, pour rivaliser avec le monde.
Cette compilation d'essais est une mine d'informations et d'analyses pointues sur la Chine du 21ème siècle.
Liu Xiaobo est un esprit pénétrant, plein de finesse, vous ne serez pas déçus à la lecture de ce beau florilège des articles de Liu Xiaobo traduits par Ph. Béja. Il est impossible de lire Liu Xiaobo sans être frappé par le courage, l’intégrité, la vérité qui l’habite. Plus important peut-être, jusque dans ses emportements, il reste de l’étoffe des héros pacifiques. Le mouvement non violent de défense des droits ne cherche pas à prendre le pouvoir, mais s’efforce de construire une société humaine où l’on peut vivre dans la dignité.
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