En 1999, deux sœurs d’origine vietnamiennes, Thanh-Van et Kim Tran-Nhut, inventent le mandarin Tân, une sorte de juge Ti se mouvant dans le Vietnam du XVIIe siècle.
A l’inverse des premiers volumes, tout est centré sur le mandarin Tân et il manque les contrepoints de Dinh, en prison, ou du docteur Porc, absent.
Moi, j'ai lu Les travers du docteur Porc qui voit l'arrivée du personnage éponyme, chargé d'administrer les affaires courantes du mandarin Tân tant que celui-ci est parti pour un grand voyage.
Un Titre Décalé et Anachronique
Le titre déjà m'avait interloquée. Le jeu de mots sur les travers de porc m'avait paru décalé, osé, ostensiblement et presque grossièrement anachronique. J'ai accusé un traducteur peu scrupuleux jusqu'à me souvenir que ce roman avait été écrit dès l'origine en français.
Allons bon, voilà qui rompt avec le stéréotype de finesse et de délicatesse que j'attribuais avec autant de condescendance que d'aveuglément aux milliards de femmes asiatiques qu'a compté et que compte encore ce continent… Il faudra faire avec un roman qui revendique la gauloiserie anachronique dans un Viêt-Nam de fiction.
Immersion Poétique et Érotique
Les premiers mots m'ont plongée dans une poésie botanique qui m'a enchantée : « les frondes nervurées de pourpre » des « touffes de fougères frangées », « les panaches argentés [qui] semblaient flotter au-dessus de leurs ombres devenues solides », voilà de quoi me happer.
La suite campe rapidement une situation érotico épineuse. Le jeune Hong, cueilleur de simples pour un apothicaire avide, va rencontrer l'affriolante Mme Camélia et vivre quelques moments de délice avec la belle avant que les choses ne se gâtent sérieusement.
Le Docteur Porc: Un Personnage Monumental
Et puis, le docteur Porc. Son visage d'une beauté surréelle, son corps obèse qu'il fait transporter dans un hamac dans tous les lieux nécessaires à l'élucidation de son enquête, au grand dam de ses porteurs éreintés. Sa gourmandise pour les petits pâtés de viande et autres délices, sa méchanceté sans scrupule, son orgueil à la mesure de son ventre. Le docteur Porc : un monument.
L'enquête n'a pas la finesse machiavélique d'une plume vraiment noire. Ce serait quoi qu'il en soit impossible de tenir le fil d'un suspens efficace avec tous ces personnages hauts en couleurs, ces saillies langagières, ces situations cocasses.
L'exactitude érudite qui permet de découvrir un lieu et une époque inconnus n'empêchera aucunement les gags, les jeux de mots, les clins d'oeil. Pour les autres, ces Travers du docteur Porc sont une curiosité piquante et délicieusement gratuite, le fruit léger d'un métissage entre de multiples traditions littéraires, un petit plaisir de lecture intelligent et sans prétention.
Ce 6° tome du mandarin Tân est plus léger moins dramatique dans les rapports du héros avec le monde , justement peut-être parcequ'il n est pas là , comme me l a fait remarquer une amie Babélionaute ( merci lumia ) en s éloignant il permet a l enquêteur de substitution le docteur Porc de montrer son immense talent sorti de son gros corps ( ou le contraire ) Bref plus d humour dans cet opus , une énigme bien ficelée aux ramifications multiples .
Quel personnage ce docteur Porc ! Peu affable, paresseux comme tout dès lors qu'il s'agit de se déplacer (heureusement pour lui, on est dans le Viêt-Nam impérial du 17e siècle et les porteurs ne manquent pas), âpre au gain, pour ne pas dire avaricieux, et d'une odeur repoussante. Tout pour plaire !
Et pourtant, il va réussir à démêler une affaire criminelle assez tarabiscotée, en l'absence du mandarin Tân, parti on ne sait où en laissant le tribunal impérial vacant. Il espère une récompense sous la forme d'un lingot d'or, ce qui va le motiver pour sortir de sa léthargie habituelle, mais rien ne va se dérouler selon ses plans.
Il s'en sort quand même bien, un peu par hasard il faut le dire, et au grand dam de ceux qui espèrent sa chute, comme le malicieux lettré Dinh, toujours prêt à se moquer de sa fatuité : le docteur Porc fait un peu penser à Hercule Poirot, ce type de héros imbu de lui-même et passablement ridicule, popularisé par Agatha Christie.
Un Aperçu du Vietnam du XVIIe Siècle
Une plongée dans le passé glorieux du Viêt-Nam, un livre rempli de références culinaires et médicinales (bravo pour les notes en fin d'ouvrage, et la franchise de l'auteure lorsqu'elle avoue avoir mêlé imagination et documentation !).
Les soeurs Tran-Nhut en pleine forme dans ce polar très élaboré et qui ne se dévoile que très lentement. De plus les auteurs savent créer un contexte (ici le XVIIème siècle au Vietnam), et nous le font vivre avec un talent indéniable. A lire autant pour le roman policier que pour le dépaysement, et pour ses personnages principaux si bien dessinés.
Pour résumer, une bonne enquête complexe et bien construite, et une excellente immersion dans ce Viêtnam du 17ième siècle portée par l'art culinaire, l'ambiance religieuse et celle parfaitement rendue du climat chaud et humide de ce pays aux nombreux lacs et rivières et aux forêts denses et impénétrables.
On pourrait gloser sur nos vies mondialisées, tenter de remonter les histoires particulières et les flots collectifs qui font les migrations, les itinéraires. Reste que certains parcours suscitent une admiration particulièrement estomaquée.
Les soeurs Thanh-Van et Kim Tran-Nhut sont nées au Viet-Nam. Elles ont vécu aux Etats-Unis, fait leurs études en France et sont retournées en Amérique. Elles sont brillantes, titulaires de diplômes prestigieux dans le domaine des sciences et sont autrices de la série des enquêtes du mandarin Tân, jeune magistrat d'un Viet Nam du 17e siècle. Rien que ça !
Conçu à partir d'une « figure mythique de la famille », un arrière-grand-père maternel, reconnu pour avoir accédé très tôt aux fonctions de mandarin, le mandarin Tân est un personnage qui doit faire face tant aux intrigues matrimoniales de mères en quête d'époux pour leurs filles que de mystérieux cadavres. C'est à la fois plein d'humour et érudit.
Rendre passionnantes, accessibles et drôles des histoires se déroulant dans le Vietnam du XVIIè siècle, voilà ce qu'ont accompli les soeurs Tran-Nhut, et que continue aujourd'hui Thanh-Van en solo.
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