L'influence tentaculaire des lobbies de la viande en France selon Greenpeace

Dans un rapport de 164 pages publié le 25 janvier, Greenpeace dénonce les méthodes de ce que l’ONG écologiste qualifie de lobby de la viande. Certains lobbies de la filière de la viande "agissent de façon tentaculaire dans toutes les sphères de la vie publique et privée", dénonce mardi 25 janvier dans un rapport l'organisation internationale Greenpeace. L'ONG s’est penchée sur quatre en particulier qui utilisent toute la palette des techniques d’influence utilisées dans d’autres secteurs.

L’enquête de Greenpeace se concentre sur quatre organisations centrales du secteur : l’interprofession bovine (Interbev), porcine (Inaporc), de volaille de chair (Anvol) ainsi que la fédération des industriels charcutiers, traiteurs et transformateurs de viandes (FICT). À partir des données de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), Greenpeace a identifié 25 organisations défendant les intérêts de l’élevage qui vont des syndicats agricoles aux organisations interprofessionnelles. Dans le cadre de ce rapport, Greenpeace a identifié 25 organisations professionnelles et interprofessionnelles qui défendent les intérêts des filières viande et forment "un réseau d'influence tentaculaire". Parmi elles, treize sont liées à la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), neuf à l'interprofession porcine (Inaporc) et dix à l'interprofession de la viande et du bétail (Interbev).

Les budgets colossaux dédiés à l'influence

Greenpeace affirme que « le budget annuel de l’interprofession de la viande et du bétail Interbev est compris entre 35 et 45 millions d’euros, dont les deux tiers sont dédiés à des pratiques d’influence (communication, publicité, lobbying, etc.). » Et l’ONG pointe du doigt le fait que : « en 2022, le budget communication de l’interprofession du porc Inaporc avoisinera les 2 millions d’euros.

Ce sont des budgets qui leur permettent d’agir dans de nombreuses sphères de la vie publique et privée. Avec deux soucis principaux donc : contrer toute volonté de diminuer la consommation de viande et empêcher toute réglementation de la production. La FICT fait par exemple un intense lobbying pour empêcher l’interdiction de l’utilisation de nitrites dans la charcuterie, un composé pourtant considéré comme dangereux pour la santé*.

Cibler les jeunes : une stratégie préoccupante

Le rapport de Greenpeace note que de nombreuses campagnes ciblent les jeunes, dont les écoliers, comme l’attestent des témoignages de parents ou de membres du corps enseignant grâce notamment à l’organisation de sorties scolaires ou la diffusion de contenus dans les écoles. L'ONG pointe par ailleurs que des outils pédagogiques sur l’élevage et l’alimentation ont été développés par Interbev en 2006 à destination des enseignants et des élèves, de la primaire au lycée. En 2020, une plateforme de ressources et d’animations gratuites à destination des enseignants a été mise en ligne.

Les enfants sont une cible privilégiée des lobbies de la viande. C’est ce que nous dénonçons. Ces lobbies espèrent empêcher tout questionnement sur nos consommations de viande, ce qui fait des enfants et adolescents une cible si importante. « Mon assiette Ma planète » n’est qu’un exemple. A partir de 2014, Interbev a aussi développé un univers ludo-éducatif « la planète, les hommes, les bêtes », incarné par la famille Jolipré déclinée en de multiples supports, des figurines aux spots TV, en passant par les cahiers d’activité et la BD. Entre 2016 et 2019 , cette campagne « A table avec les Jolipré » a touché un peu plus de 500.000 enfants.

Techniques d'influence et détournement des controverses

L’association écologiste souligne également dans son rapport que les professionnels de la viande savent s’emparer des controverses sur l’impact des produits carnés ou laitiers. Ils arrivent à communiquer dessus auprès du consommateur pour le rassurer sans nécessairement inciter à réduire la consommation. C'est par cette communication que les lobbies entendent "convaincre les consommatrices et consommateurs de viande qui s’inquiètent de leur impact sur la planète et le bien-être animal", constate Greenpeace.

Ce sont finalement les techniques classiques d’influence des mentalités qu’utilisent les lobbies. L’une d’elles est celle du « science washing »**. Ces organisations intègrent et créent de nombreux réseaux scientifiques, sponsorisent des travaux de recherche, ou encore donnent à leurs communications grand public des allures de publications scientifiques. Autre technique : l’appropriation des controverses et le travail sur la sémantique. C’est au cœur de leur stratégie. Ces lobbies se sont par exemple, battus pour imposer une définition de « flexitarien » qui les avantage.

Greenpeace dénonce ainsi la campagne de publicité "Aimez la viande, mangez-en mieux" d’Interbev, en 2020. Elle critique également la brochure "Santé : n’oubliez pas la viande !" distribuée par Interbev en 2016 dans 7 900 salles d’attente de professionnels de santé. Ils ne sont jamais présentés "comme l’une de ses causes".

Un secteur en transition face à des défis économiques et environnementaux

En France, les chiffres de la consommation de viande reculent. Entre 2019 et 2020, la consommation de viande par personnes est passée de 86,0 kg par habitant en 2019 à 84,5 kg par habitant en 2020, soit un recul de 1,7 %. La publication de ce rapport intervient dans un contexte tendu. En effet, une partie du monde agricole se sent visé par les critiques qu’il perçoit comme des campagnes de dénigrement. Les agriculteurs font face à de grandes difficultés économiques. Le modèle de l’agriculture intensive est remis en cause. Or, malgré l’essor du bio et du raisonné, l’agriculture, secteur en transition, peine encore à trouver un modèle qui concilie la viabilité économique et le respect de l’environnement.

L’image d’Épinal de l’élevage en plein-air reste dominante bien que, dans les faits, les élevages intensifs représentent les deux tiers de la production française. Selon l'ONG, cette industrialisation a pour conséquence, par exemple, qu'à peine 1% des exploitations françaises en élevage produisent les deux tiers des porcs, poulets et œufs du territoire. Au niveau mondial, l’élevage est responsable de 19% des émissions de gaz à effet de serre issues des activités humaines.

Recommandations de Greenpeace pour limiter l'influence des lobbies

Pourtant, Greenpeace entend dénoncer les dérives de l’agro-business basé sur l’élevage intensif. Pour limiter l'influence des lobbies, Greenpeace formule plusieurs recommandations et demandes. Greenpeace plaide donc pour l’interdiction des financements publics en faveur des campagnes de promotion en faveur de la consommation de viande, ainsi que pour « l’interdiction de toute intervention des organisations professionnelles dans les écoles ; c’est à l’Etat de prendre en charge la création d’outils pédagogiques de haute qualité et de financer des sorties scolaires dans des fermes pour valoriser les métiers agricoles tout en montrant les limites planétaires. ».

Elle souhaite interdire strictement toute intervention des organisations professionnelles dans les écoles et toute mention de type "Programme national de l’alimentation" ou "Programme national nutrition santé" sur les outils pédagogiques. Greenpeace interpelle aussi les scientifiques pour qu'ils refusent toute participation à des campagnes de communication des représentants d’intérêts privé. Laure Ducros voudrait que le gouvernement français aille aussi plus loin en s’inspirant des Pays-Bas.

Il faudrait déjà interdire l’entrée de représentants d’intérêts privés dans les écoles. Que ce soit sur la viande, le sucre ou autre. L’école ne doit pas être un lieu d’influence des enfants. Il est urgent aussi que l’État donne les moyens aux corps enseignants de faire son travail correctement et d’utiliser les outils pédagogiques les plus neutres scientifiquement sur les élevages. Nous demandons aussi de rendre obligatoire et parfaitement visible la mention des initiateurs de toute communication au service d’intérêts privés et, surtout, de cesser tout octroi de financement public de campagnes de communication en faveur de la consommation de viande.

Tableau récapitulatif des budgets des interprofessions (estimations)

Interprofession Budget annuel total Part du budget dédiée à l'influence
Interbev (viande bovine) 35 à 45 millions d'euros Deux tiers
Inaporc (viande porcine) 9 millions d'euros 50%

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