Le fumage est, avec la salaison et le séchage, une des techniques les plus anciennes de conservation des aliments. En Europe, ce procédé de conservation est utilisé depuis le 2ème millénaire avant J-C pour la viande et le poisson. Les produits fumés peuvent être conservés plus longtemps que les produits frais.
Après deux mois et demi de confinement dus au Covid-19, je retrouve enfin la motivation pour vous parler d’un produit qui a été particulièrement utile à mon organisme pour ne pas tomber dans la dépression la plus totale: la Poitrine Séchée ou Ventrèche. D’ailleurs, je ne me suis pas trompé car j’ai cru entendre qu’un éminent salaisonnier Marseillais proclamait haut et fort que de la poitrine de porc associée à du saucisson sec durant les premiers jours de la maladie permettait de guérir à coup sûr et qu’il n’y avait pas besoin de faire d’études la-dessus pour le comprendre aisément. Cette histoire a fait grand bruit, au point qu’une étude aurait finalement été commanditée: l’essai « discovery » ou « traversdeporc », je ne sais plus exactement. Comme prouver l’évidence n’a que souvent peu d’intérêt, je vais directement vous proposer ma recette de poitrine séchée pour que vous puissiez vous auto-médiquez toute l’année. Il ne faut jamais lésiner sur la prévention.
Méthodes de Fumage
Il existe deux méthodes principales de fumage : à froid et à chaud.
Fumage à Froid
Des deux méthodes, le fumage à froid est la plus couramment pratiquée en France (en particulier pour le saumon fumé). Il consiste à exposer les aliments à de la fumée froide pour les fumer sans les cuire. La température du fumoir est comprise entre 20° et 30°C maximum. C'est le mode de fumage traditionnel utilisé en France pour fumer le saumon, le magret ou le filet mignon. Note : le saumon est très sensible à la chaleur et il faut veiller à ce que la température du fumoir ne dépasse pas les 25°C.
Fumage à Chaud
A l'inverse, le fumage à chaud fume et cuit les aliments simultanément car il est réalisé entre 40° et 100°C (poulet fumé, saucisse fumée, truite fumée). Fumer à chaud consiste à exposer des aliments à de la fumée chaude pour qu'ils soient fumés et cuits en même temps : la température se situe en général entre 40° et 100°C. Le fumage à chaud est généralement utilisé pour le poulet, le maquereau, et la plupart des saucisses qui ne se mangent pas cru. Il faut par conséquent utiliser un fumoir à chaud qui permet de monter en température : fumoir gaz avec brûleur ou fumoir électrique avec résistance chauffante.
Préparation et Salage
Choisir des produits d'une très grande fraîcheur ou des produits frais surgelés. Pour le gibier, s'assurer que la bête ait été correctement abattue.
Le salage réduit l'activité de l'eau de la chair et abaisse sa teneur en humidité, ce qui a pour effet d'allonger la conservation des aliments et d'améliore la propagation des arômes de fumée. Pour le saumon en particulier la salage assure également un certain raffermissement de la chair. Il existe différentes méthodes de salage : le salage au sel sec, le salage par injection et le salage en saumure. En général et dans la mesure du possible, nous recommandons plutôt à un salage à sec avec du sel fin.
Recette de Salage
Avec la Coppa, j’étais parti sur deux méthodes: salage sous-vide et enfouissement.
- Du gros sel: 30 à 50g/kilo. Ici 35g/kilo.
- Du sucre: de 0 à 50% du poids en sel. Moi 10%.
- Du vin blanc: 5g/kilo
- Du poivre: 2g/kilo en général
- D’autres épices: 1g/kilo en moyenne. Je n’ai mis que du poivre.
Si vous utilisez du gros sel de Guérande, humide, il faut savoir qu’il y a un delta d’environ 10% avec le sel sec. Par exemple, on peut considérer que 35g de Guérande saleront comme 32g de sel sec. Ça peut avoir son importance avec le saucisson lorsque l’on navigue aux environs de la dose minimal de sel recommandée.
Étapes de Préparation et de Salage
- J’ai demandé à mon boucher de me préparer deux poitrines de porc désossées de même taille et poids. Une sera destinée à être salée sous-vide et l’autre sera salée par « enfouissement ». Dans les deux cas, la couenne a été laissée pour rester dans le traditionnel: il paraît que ça à aussi une importance dans le gout final et la couenne, à la dégustation, ne pose pas plus de problème que ça pour la retirer. Les cartilages ont également été laissés pour ne pas créer de « trous » dans la viande: le but étant d’obtenir un produit délicieux et esthétique.
- J’ai frotté les deux pièces avec le mélange salant. L’idée c’est que même sur la poitrine par enfouissement, il y ait des épices en première ligne, c’est à dire mis directement sur la viande.
- J’ai mis sous-vide une des deux en prenant bien soin de mettre l’intégralité du mélange salant dans le sac.
- Dans un plat adapté, j’ai recouvert entièrement l’autre de gros sel. Par fainéantise, je ne l’ai pas mis dans un bac percé pour que la saumure s’évacue. Peut-être que j’aurais du même si la durée de salage n’était pas très élevée…? Dans les deux cas, le salage s’effectue au réfrigérateur.
- Pour calculer le temps de salage, je me suis servi de la règle de base du sous-vide soit 1 jour par épaisseur en cm divisé par deux si la pièce est uniforme. Comme ce n’est pas le cas ici car il y a la couenne et la couche de gras qui empêchent la pénétration du sel, l’épaisseur totale sera prise en compte, soit 6 cm donc 6 jours. Le taux de sel étant fixé par avance, il n’y aura pas de sursalage si vous laissez plus longtemps.
- Pour la pièce salée par enfouissement, je me suis servi de ma réflexion sur le temps de salage des viandes que je vous invite à lire. Elle n’est vraisemblablement par parfaite mais à au moins le mérite d’essayer d’y voir plus clair. Du coup, en partant du principe qu’au sel sec, sur une viande parfaitement maigre, la vitesse de pénétration du sel serait de 3cm par jour, nous aurions pour une épaisseur de 6cm deux jours. Mais ici, s’agissant de poitrine de porc, donc d’une viande particulièrement grasse, un jour supplémentaire, soit 3 jours m’a paru judicieux.
- Une fois le salage réalisé, les pièces sont sorties du sel et essuyées pour ensuite être entreposées sur une grille au frigo (environ 2°C idéalement) pour ce qu’on appelle le repos. Il permet au sel de se répartir de manière homogène. C’est une sécurité car si jamais des parties de la viande n’étaient pas correctement salées, cela pourrait poser des problèmes à température de séchoir. Le temps de repos est au minimum équivalent au temps de salage. Dans les deux cas, j’ai pris une semaine de temps.
Séchage et Fumage
Le séchage n'est pas directement lié à la fumaison, les aliments sèchent en restant simplement pendus ou posés dans le fumoir. Plus les aliments sécheront, plus le goût sera intense.
Méthode de Jacky pour le Séchage et le Fumage
Jacky est un amateur averti en fumaison qui aime à partager sa façon de procéder.
- Sélectionnez un produit de qualité : Pour réaliser une excellente poitrine fumée qui a du goût et qui reste bien tendre, Jacky la choisit toujours bien épaisse et avec du gras et surtout bien fraîche. La fraîcheur d'un produit impacte sur la qualité du produit fini et Jacky ne rigole pas sur le sujet. Quand il réalise une fumaison il faut qu'elle soit parfaite et pleine de saveurs.
- Préparation de la poitrine : Le morceau de poitrine posée sur une planche à découper, couenne sur le dessus, il perce un trou dans la partie haute avec un couteau. Attention aux doigts, la couenne est dure et le couteau peut glisser. Jacky, l'habitude aidant, le réalise d'un geste sûr. Le trou réalisé, il y passe un bout de ficelle, ce qui lui permettra de l'accrocher durant les étapes de séchages et de fumages.
- Mise au sel : Dans un contenant assez haut, Jacky dépose la viande sur un épais lit de gros sel puis la recouvre entièrement de sel. Ensuite le tout est mis au frais durant 24 heures. Le sel aura tout le temps d'absorber l'humidité contenue dans la chair. Jacky compte 24 heures par kilo de viande. Les 24 heures écoulées, il suffit de dessaler la poitrine en la passant dans un premier temps sous l'eau puis en la laissant tremper une trentaine de minutes. Ensuite il l'essuie correctement en vérifiant qu'il ne reste aucune trace de sel.
- Assaisonnement : Jacky aime jouer avec les saveurs, trouver des notes différentes, des associations diverses. Cette fois-ci il reste classique, c'est une valeur sûre, en saupoudrant des herbes de Province sur toute la surface de la poitrine.
- Séchage : Il suspend le morceau dans son garde-manger pour qu'il sèche toute la nuit à l'air libre. L'air doit bien circuler dans la pièce et tout autour de la poitrine suspendue afin que le séchage soit homogène. « Un bon séchage permet un bon encrage de la fumée dans la chair ».
- Fumage : Jacky a sa méthode : ne rien brusquer, prendre son temps et ne fumer qu'en hiver sinon « la viande se ferme » lorsque les températures sont plus clémentes, plus chaudes et la pièce fumée aura beaucoup moins de saveurs. « Le fumage diffère selon les conditions climatiques (pression, humidité), ce n'est pas une science exacte, c'est ce qui fait tout son charme ». Pour que les saveurs de la fumaison s'imprègnent lentement, il alterne période de fumaison et de séchage : 1 à 2 jours au fumoir puis 1 à 2 jours de séchage et cela jusqu'à ce qu'il soit satisfait. C'est à la couleur que prend la viande que Jacky sait quand il stoppe les allers et retours entre le fumoir et le garde-manger. Une fois la fumaison finie il laisse maturer la poitrine au frais pour que toutes les notes de fumé imprègnent à cœur la viande et la graisse. Elle n'en sera que meilleure.
Conseil : pour éviter la propagation de l'odeur de la fumaison dans le réfrigérateur ensachez la poitrine sous vide. Cela évitera également que la viande ne s'oxyde et vous pourrez la conserver plus longtemps
Cuisson de la Poitrine de Porc
La poitrine de porc peut être facilement rôtie au four. Avec ce mode de cuisson, vous obtenez une viande tendre, moelleuse et croustillante. Préchauffez le four à 220 degrés. Préparez la viande en entaillant la peau et la couche supérieure de la graisse : avec un couteau bien aiguisé, formez un quadrillage (lignes verticales à 5 cm de distance entre elles et entailles perpendiculaires aux lignes). Assaisonnez (sel/poivre) la poitrine et badigeonnez-la d’huile. Baissez la température du four à 180 degrés et laissez cuire pendant 2 heures/2 heures 30 environ.
Si vous souhaitez faire frire votre poitrine de porc, la cuisson à la poêle est idéale. Pour ce mode de cuisson, vous devez découper la poitrine en tranches de 6 à 12 mm. Après la découpe, faites chauffer votre poêle à feu moyen sans ajouter de matière grasse. Déposez vos tranches quand la poêle est chaude et faites-les dorer en les retournant régulièrement pour bien saisir chaque face (4 à 5 minutes de chaque côté). Assaisonnez la viande et ajoutez si vous le souhaitez de la sauce soja, de la sauce d’huître ou du miel pour caraméliser vos tranches de poitrine. Laissez cuire la poitrine à feu doux entre 2 et 3 minutes jusqu’à ce que la sauce soit épaisse.
La poitrine de porc peut également être cuisinée dans une cocotte (ou une mijoteuse). Commencez par entailler votre morceau de viande en formant un quadrillage. Faites chauffer votre cocotte/mijoteuse sur feu moyen avec un filet d’huile. Déposez votre poitrine et faites-la saisir sur deux faces pendant 1 minute environ. La viande doit brunir et devenir croustillante. Saisissez rapidement les deux autres côtés puis ajoutez une garniture (carottes, pommes de terre, choux de Bruxelles, navets). Déglacez avec un demi-verre de vin blanc ou d’eau, puis cuisez la poitrine de porc à feu moyen pendant 1 heure environ en recouvrant la cocotte. Notre astuce : Pour vérifier la cuisson, utilisez un thermomètre à viande.
Utilisations Culinaires
Souvent utilisée pour parfumer des plats, la poitrine de porc se retrouve cette fois-ci sur le devant de la scène et habillée en plus d'une belle robe ambrée sucrée.
Servez- la en fines tranches pour l'apéritif, ou avec une raclette, des œufs au plat… En morceaux dans des pâtes à la carbonara, une tarte salée, une tartiflette…
Non seulement le lard fumé peut être proposé en entrée ou dans un plat principal, mais il peut également être consommé de plein de manières différentes. Vous vous régalerez en le dégustant en fines tranches sur un œuf au plat, en garniture d’une flammekueche ou tout simplement sur une tartine.
Tableau Récapitulatif des Temps de Fumage
Produit | Préparation | Salage | Préparation | Fumage |
---|---|---|---|---|
Saumon de 1,5kg | En filet, sans arêtes, avec la peau | 33g de sel fin/kg | Essuyer et frotter avec un peu d'huile neutre ou d'olive | 6 à 10h |
Truite | En filet ou entière | 2 à 3h | Essuyer et frotter avec un peu d'huile neutre ou d'olive | 2 à 3h |
½ Truite saumonée | En filet ou entière | 5 à 6h | Essuyer et frotter avec un peu d'huile neutre ou d'olive | 6 à 8h |
Anguille | Entière | 4h | Essuyer et frotter avec un peu d'huile neutre | 4h un peu chaud |
Flétan | En filet avec la peau | 2 à 3h | Essuyer et frotter avec un peu d'huile neutre | 3h |
Porc | Poitrine, longe, saucisses | 24h | Essuyer | 3 x 8h |
Magret de canard 600g | Entier | 6 à 8h | Essuyer | 6 à 8h |
Il faut savoir que le temps de fumage idéal, arrêté une fois pour toute et pour tout le monde, n'existe pas car le fumage est avant tout une histoire de goût et d'expérience (certains apprécient un goût fumé intense, d'autres plus subtile...). Ensuite, les temps de fumage varient aussi forcément suivant le type de fumoir utilisé (grand, petit, isolé, non isolé, inox ou galva, etc), les conditions de fumage (qualité de la sciure et sa combustion, température ambiante et humidité de l'air), les aliments à fumer (leur nature et la méthode de salage influencent aussi la durée de fumage), etc.
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