Élevage de Viande: Techniques et Défis

Les produits animaux ont toujours eu une place privilégiée sur les tables du monde entier, pour celles et ceux qui pouvaient se les offrir. Confortée par les propriétés nutritionnelles qui leur sont reconnues, leur consommation est le premier signe d’un progrès social et elle ne cesse d’augmenter au niveau mondial.

Aujourd’hui, l’élevage représente 40 % de la production agricole mondiale. Face à une demande croissante de produits animaux dans les pays émergents, le paysage de l’élevage mondial a énormément évolué ces dernières années.

Diversité des Systèmes d'Élevage

À l’autre bout de la chaîne, les élevages pour les produire sont multiples, de plein air ou dans des espaces offrant de grandes libertés, en enclos ou en cages. Si les exploitations peuvent comporter plus de 100 000 têtes dans les mégastructures en Chine, au Brésil ou en Inde, il existe encore de petites structures avec quelques animaux seulement, dont le modèle économique est le plus souvent familial, tourné vers l’échelle locale. En France, les exploitations sont d’une taille assez homogène, avec quelques rares grandes structures.

Défis Majeurs de l'Élevage

Quelles que soient leur forme et leur taille, les élevages font face à de nombreux défis.

Prévention des maladies infectieuses

La prévention des maladies infectieuses animales, dont certaines sont transmissibles à l’homme, comme la maladie de la vache folle au début des années 90 ou plus récemment la grippe aviaire, implique la mise en œuvre de mesures qui peuvent aller jusqu’à l’abattage intégral de cheptels. Ces maladies ont transformé les systèmes d’élevage, avec le renforcement des mesures de biosécurité, d’hygiène, et le recours préventif aux antibiotiques lorsque c’est justifié.

L’augmentation de la pression sanitaire a alourdi le quotidien des éleveurs qui doivent désormais répondre à des exigences de contrôle et de traçabilité renforcées (relevés sanitaires et registre d’élevage). Ces contraintes peuvent être accrues par les exigences propres aux cahiers des charges de certains labels ou signes de qualité, par ailleurs vecteurs de valeur ajoutée pour les produits animaux.

Bien-être animal

La prise de conscience de la sensibilité des animaux, portée par des associations engagées, est aujourd’hui documentée par les avancées scientifiques. Elle a conduit à des évolutions de la réglementation, avec une prise en compte croissante du bien-être animal dans les élevages, ainsi qu’à une évolution des conditions d’abattage.

Préoccupations environnementales

Parallèlement s’est opérée une montée en puissance des préoccupations environnementales associées à l’élevage, dans un contexte de changement climatique et de dépassement des limites planétaires. La contribution de l’élevage aux émissions directes ou indirectes de gaz à effet de serre (GES) et les impacts environnementaux associés à la production de l’alimentation des animaux d’élevage (déforestation par exemple) ou à la gestion de leurs effluents (pollution des eaux par les nitrates dans les régions à haute densité d’élevages par exemple) sont autant de points critiques. Pour autant, les chercheurs ont mis en évidence les services environnementaux apportés par les élevages, notamment les systèmes extensifs.

Sans élevage, les prairies, qui ont un rôle clé pour la biodiversité et la séquestration du carbone dans les sols, tendraient à disparaître. La valorisation des produits végétaux non consommables par l’homme (coproduits, résidus de culture), l’utilisation de surfaces peu ou non labourables et la production d’engrais organiques sont autant d’éléments indispensables dans une trajectoire de décarbonation des économies.

Les Éleveurs au Cœur des Défis

Au cœur de ces multiples défis posés à l’élevage se trouvent les éleveuses et éleveurs qui, chaque jour sans exception, veillent à leurs animaux dans des conditions de travail (astreinte, pénibilité) qui sont souvent en décalage avec les aspirations individuelles d’aujourd’hui. Parfois endettés pour s’installer, ils sont soumis à la fluctuation des coûts de production (cours des matières premières pour l’alimentation de leurs animaux, prix de l’énergie…) et des prix de marché qui leur laissent une faible prise sur les prix de vente de leurs produits.

Comme pour tout le secteur agricole français où le nombre de travailleurs permanents agricoles a diminué de 40 % entre 2000 et 2020, le métier souffre d’une baisse d’attractivité importante. Or, la moitié d’entre eux sont susceptibles de partir à la retraite d’ici 10 ans. Cette perspective inquiète. Elle peut être cependant l’opportunité d’accélérer le développement de nouveaux systèmes plus durables.

Aussi, le renouvellement des générations d’éleveurs est l’une des priorités du projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture bientôt en débat au Parlement et du plan gouvernemental « reconquête de notre souveraineté sur l’élevage ».

En s’appuyant sur des connaissances toujours plus fines, la recherche imagine, expérimente et documente en partenariat avec les instituts techniques agricoles de nouveaux systèmes d’élevage combinant, dans une perspective de performance productive et de rentabilité économique, de bien-être des éleveuses et éleveurs et de valorisation de leur travail, les réponses aux contraintes de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique et du bien-être des animaux.

Évolution et Adaptation de l'Élevage Bovin

L’élevage bovin traverse une période de transformation sans précédent. Entre la montée des préoccupations environnementales, les attentes croissantes des consommateurs et les avancées technologiques, le secteur s’adapte pour répondre aux besoins du marché actuel. Le consommateur moderne est de plus en plus exigeant. Il recherche des produits de qualité, traçables et issus de pratiques respectueuses de l’environnement.

Réduction de l’empreinte écologique

L’élevage de bovins est souvent critiqué pour ses émissions de gaz à effet de serre, notamment le méthane. Pour y remédier, des pratiques telles que la modification de l’alimentation des animaux sont mises en place.

Bien-être animal

Les éleveurs investissent dans des infrastructures améliorées pour garantir un environnement plus confortable aux bovins.

Outils de suivi et d’analyse

Les colliers connectés et les capteurs permettent de surveiller en temps réel la santé, la localisation et les performances des animaux.

Reproduction assistée

L’insémination artificielle et les techniques avancées comme la sélection génétique permettent d’améliorer la qualité des cheptels.

Défis Économiques et Climatiques

Les prix de la viande et des produits laitiers sont soumis à de fortes variations en fonction de l’offre et de la demande. Les épisodes de sécheresse ou de pluies excessives affectent directement la disponibilité des pâturages et des cultures fourragères. Les éleveurs locaux doivent rivaliser avec des marchés internationaux où les coûts de production peuvent être plus bas.

Eau et Élevage: Manipuler les Chiffres avec Précaution

Les chiffres doivent être maniés avec précautions. Dans l’idéal, il conviendrait de préciser chaque fois les méthodes et les conditions d’obtention de ces chiffres et d’en relativiser la portée et la signification.

L’eau consommée par l’élevage : que prend-on en compte ?

On trouve très fréquemment le chiffre de 15 000 litres d’eau consommée pour produire 1 kg de viande. Mais ce chiffre, obtenu par la méthode de water footprint (empreinte eau) englobe l’eau bleue (eau réellement consommée par les animaux et l’irrigation des cultures), l’eau grise (eau utilisée pour dépolluer les effluents et les recycler) et l’eau verte (eau de pluie). Or cette méthode a été conçue pour des sites industriels et ne tient pas compte des cycles biologiques.

En réalité 95 % de cette empreinte eau correspond à l’eau de pluie, captée dans les sols et évapotranspirée par les plantes, et qui retourne de fait dans le cycle de l’eau. Ce cycle continuera même s’il n’y a plus d’animaux. La communauté scientifique considère qu’il faut entre 550 à 700 L d’eau pour produire 1 kg de viande de bœuf.

On compare parfois des chiffres non comparables ! C’est le cas quand on affirme que l’élevage rejette plus de GES (14,5 %) que le secteur des transports (14 %) alors que ces deux chiffres sont obtenus par des méthodes différentes. Le calcul pour l’élevage émane de la FAO, sur le modèle des analyses de cycle de vie, qui inclut diverses dimensions de l’élevage. Alors que le calcul pour les transports, qui émane du GIEC (Climate Change 2014 Synthesis Report - IPCC), ne prend en compte que les émissions de GES des véhicules en circulation.

Au total, c'est 86 % de l'alimentation animale qui n'est pas consommable par l'être humain. En effet, plus de 70 % de la ration des ruminants est composée de fourrages (herbe, foin, ensilage, enrubannage) non consommables par l’homme. Ainsi, certains types d'élevage, comme les ruminants à l'herbe ou les élevages qui utilisent beaucoup de coproduits de l'agriculture, sont producteurs nets de protéines. C'est-à-dire qu'ils produisent plus de protéines (d'origine animale) consommables par l'homme qu'ils n'utilisent de protéines végétales consommables par l'homme pour nourrir les animaux.

Bénéfices des Prairies et Stockage de Carbone

L'élevage occupe majoritairement des terres non cultivables (prairies, montagnes, steppes, savane). Plusieurs études conduites avec INRAE démontrent les bénéfices environnementaux des prairies. Leurs sols sont plus riches en biomasse microbienne et en biodiversité que les sols des cultures. Ils stockent plus de carbone, sont 20 fois moins sensibles à l’érosion et filtrent mieux les eaux. Plusieurs projets de recherche européens ont montré que le stockage de carbone des prairies compense l’équivalent de 30 à 80 % des émissions de méthane des ruminants. Des travaux récents du Cirad viennent d’étendre ces résultats aux zones d’élevage subtropicales.

Viande Artificielle In Vitro

La fabrication de viande artificielle in vitro est présentée comme une solution pour limiter le nombre d’animaux abattus et l’utilisation de terres dédiées à l’élevage. Cependant cette voie est encore à l’état exploratoire, avec de nombreuses incertitudes quant à sa faisabilité à grande échelle et à sa balance bénéfices/risques.

Compétitivité et Revenus des Éleveurs Français

Les chiffres ne mentent pas : en matière de compétitivité, de revenu et d’emplois, les secteurs bovins français sont à la traîne en Europe. En introduction, les chercheurs rappellent que l’élevage bovin français suscite de nombreux débats controversés entre consommateurs, pouvoirs publics et acteurs de la filière. Mais plusieurs rapports et publications insistent sur la fragilité de ces productions.

Avec 3,3 milliards d’euros, la France présente le deuxième solde commercial positif de l’UE en produits laitiers, derrière les Pays-Bas. Mais il se dégrade depuis 2015, et ce n’est pas une surprise : contrairement aux autres pays d’Europe du Nord, la France n’a pas saisi l’opportunité d’augmenter sa production après la fin des quotas. Cette dégradation de la balance commerciale est plus particulièrement marquée avec nos partenaires européens : de 1,74 Md€ en 2012, nous arrivons à 0,44 Md€ en 2019.

En viande bovine aussi, les exportations françaises s’érodent, alors que l’Irlande et la Pologne connaissent une expansion vertigineuse. Nos principaux clients restent l’Italie, la Grèce et l’Allemagne, ce qui n’est pas nécessairement porteur pour l’avenir. Quant à nos performances sur les marchés hors de l’Europe, elles sont très faibles.

En produits laitiers, la consommation intérieure représente 21 milliards de litres (310 kg par habitant). Les importations jouent un rôle important puisqu’elles pèsent 29 %. Ce sont les industries agroalimentaires qui importent massivement des produits plus compétitifs : 55 % de leurs achats. Les ménages, eux, sont très fidèles aux produits laitiers français (91 % des achats).

En viande bovine, la consommation nationale est l’une des plus élevées d’Europe et en vingt-cinq ans, elle n’a reculé que de 5 % en volume - une tendance baissière qui devrait se poursuivre dans les années à venir. Aujourd’hui, 45 % de la viande achetée l’est sous une forme hachée.

En bovins lait, depuis trente ans, la productivité du travail s’est accrue de manière très significative, avec un taux de croissance moyen annuel de 2,9 %. La productivité animale (litre de lait/vache) a aussi progressé en moyenne de 1,36 % par an. Pour autant, l’efficience technique, définie comme étant la productivité des consommations intermédiaires et des équipements, augmente de seulement 0,11 % par an sur cette même période.

Le revenu des éleveurs spécialisés dépend énormément des aides. Leur part dans le revenu passe de 50 % sur la période 1988-1992, à près de 200 % sur 2014-2019. Cela induit une très forte sensibilité aux décisions de la Pac. En 2019, le résultat courant avant impôt (RCAI) par UTA non salariée était à peine au-dessus de 15 000 €.

En bovins lait, le revenu annuel des éleveurs est marqué par une forte volatilité depuis quinze ans, avec la sortie progressive des quotas. La part des aides dans le revenu a aussi nettement progressé en presque trente ans : de 10 %, en 1992, à 80 % en 2019.

Il importe aussi de constater que le revenu par UTA (non salariée) des exploitations laitières spécialisées en France est l’un des plus bas d’Europe. « Les producteurs français n’ont ni le prix du lait (après ristournes) élevé des Néerlandais et des Danois, ni le faible coût de production des Irlandais. Contrairement à ses concurrents, la France n’a pas participé à l’augmentation des volumes produits après les quotas. En outre, l’autonomie alimentaire, qui caractérise les systèmes laitiers hexagonaux par rapport au reste de l’Europe, coûte cher en charges de mécanisation et pénalise la rentabilité des exploitations. »

Avec 3,3 Md€, l’élevage bovin regroupe 219 000 emplois directs (chiffres 2010) et les exploitations en bovins lait sont le premier pourvoyeur d’emplois non salariés, devant celles de grandes cultures.

Renouvellement des Générations

Le vieillissement des producteurs, qui avait repris après 2000, et le fort effet « préretraite » semblent se stabiliser. Mais l’âge des producteurs reste élevé : 48 % ont plus de 50 ans. L’attractivité du métier ne s’est pourtant pas dégradée sur la dernière décennie. Ainsi, le flux du nombre d’actifs non salariés entrant dans le secteur bovin lait est relativement stable : entre 2 000 et 2 300 chaque année. Mais ces entrées dans le métier d’éleveur ne suffisent pas à compenser les départs : seuls un sur deux en bovins lait et un sur trois en bovins viande sont remplacés. La restructuration est encore plus forte au niveau des exploitations : une ferme laitière sur trois est reprise par un jeune de moins de 40 ans qui va la relancer.

Les Défis des Filières Animales

Interpellées par la baisse de la consommation de viande, une concurrence mondialisée et l’ouverture potentielle du marché européen à de grands exportateurs, les filières de productions animales françaises réfléchissent aux conditions de leur durabilité. Face à ces changements globaux, elles doivent trouver comment maintenir et renouveler leurs actifs, améliorer leur compétitivité, voire développer leur potentiel de production pour répondre à une demande mondiale croissante, et enfin valoriser leurs produits de haute qualité.

Le défi du renouvellement des générations

Les filières de production de lait et de viande nécessitent en premier lieu des éleveurs - si possible répartis sur l’ensemble du territoire. La question du renouvellement des générations est d’autant plus pressante que leur âge en France est élevé : la moitié des éleveurs à plus de 50 ans.

Les difficultés des éleveurs sont avant tout économiques : le manque de revenu lié au poids des charges de l’exploitation est accru par des tensions mondiales sur le prix des matières premières (céréales, fioul). L’astreinte liée aux animaux et l’isolement peuvent aussi constituer des freins sociaux, de même que l’image négative donnée à l’élevage dans les médias.

À tous les stades de la filière, de multiples postes seront à pourvoir dans les années à venir. L’abattage et la transformation des viandes sont des industries de main d’œuvre. Le coût de cette main d’œuvre représente d’ailleurs 50 % du coût total d’abattage découpe (hors achat de bovins). Par ailleurs, les boucheries sont en constante recherche d’employés et de repreneurs.

Face à ces enjeux, les professionnels ont engagé des programmes de communication et de recrutement qui visent à informer les jeunes sur les métiers et les perspectives offertes. Par exemple, les fédérations professionnelles organisent des événements techniques et ludiques comme les Ovinpiades qui rassemblent les potentiels éleveurs de mouton ou « Boucherie Académie » offrant des stages à des apprentis.

Accroître la compétitivité

Ils doivent accroître la compétitivité en recherchant la création de valeur en France. Cela passe par la lutte, tant bien que mal, contre la concurrence de viandes produites en dehors de l’Europe à moindres garanties sociales et environnementales.

Sur l’ensemble de la filière, afin de sécuriser les revenus des uns et des autres, un système de contractualisation gagnant-gagnant entre éleveurs et abatteurs permettra de donner de la visibilité à la production, de garantir l’approvisionnement de l’aval tout en tenant compte de l’évolution des coûts de production de chacun.

Il s’agit également de renforcer l’image des viandes auprès des consommateurs pour soutenir la consommation et de promouvoir les viandes françaises auprès des collectivités et en restauration hors domicile.

Malgré des tailles de troupeaux plus faibles et des écarts de performances par rapport aux voisins allemands, hollandais ou de l’hémisphère Sud, l’élevage français a l’atout de la diversité. Ses systèmes laitier et viande (naisseurs, naisseurs-engraisseurs, engraisseurs), répartis sur tout le territoire, avec une forte autonomie et valorisant des fourrages divers et adaptés à des conditions pédoclimatiques variées, montrent une meilleure résistance à l’instabilité des cours des matières premières et aux aléas climatiques.

Cette robustesse des systèmes devra encore être renforcée en France pour faire face aux effets du changement climatique (risques de sécheresses), à des prix toujours plus volatils et des concurrents toujours plus offensifs.

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