Analyse du film "Pain et Chocolat"

Pain et Chocolat raconte les difficultés d'un immigré italien à s'établir en Suisse dans les années 70. Le début se révèle prometteur en adoptant un ton tragi-comique équilibré porté à l'écran par un Nino Manfredi initialement convaincant. Cependant, le film bascule progressivement dans le grotesque et le misérabilisme.

Il finit par tomber carrément et au sens littéral du terme dans la bestialité. L'argument qui consisterait à dire qu'il s'agit d'une fable est irrecevable selon moi. Je conçois entièrement l'envie ou la nécessité de dénoncer des conditions de travail inacceptables.

Par contre, la façon de faire nuit au message car elle conforte selon moi le proverbe "tout ce qui est excessif est insignifiant". Malheureusement un ratage à éviter.

En 1975, le prodigieux serial était déjà dans sa phase crépusculaire - dont Parfum de femme constitue un prenant sommet - et l'industrie du cinéma italien, dont la comédie à l'italienne a constitué longtemps la colonne vertébrale financière, était déjà au bord de la grande crise qui allait la balayer.

Neuf ans plus tôt, à Cannes, en 1966, un des plus prodigieux films comiques de l'histoire du cinéma, L'Armée Brancaleone de Monicelli - où le même Vittorio Gassman explose littéralement dans une performance de paillasse étourdissante - était hué unanimement par l'exquis "public" du festival après avoir fracassé des records de fréquentation au box-office italien.

Mais permettez que je cède la parole à Fruttero et Lucentini, qui connaissent le sujet bien mieux que moi. Dans un article, «Années de plomb et années de plumes», paru dans La Stampa et repris dans La Prédominance du crétin, Fruttero et Lucentini rendent hommage à leurs amis Age et Scarpelli qui, à titre de scénaristes du Pigeon (1958), furent parmi les inventeurs de ce nouveau genre comique passé à la postérité sous le nom de comédie à l'italienne.

L'article est écrit pendant le Festival de Venise, en septembre 1981, quand le film Années de plomb de Margarethe Von Trotta remporte le Lion d'Or. « ...si par exemple, cette année, à Venise, Le Pigeon avait été en compétition, est-ce qu'on lui aurait donné le Lion?

Furio Scarpelli qui, avec Age, écrivit le scénario de ce joyau et qui est assis avec nous sur la plage déserte, élude en souriant nos provocations. L'hypothèse ne peut se présenter. On ne peut refaire Le Pigeon. Personne ne s'en rendit compte, évidemment.

Les intellectuels de l'époque, le sourcil froncé, déjà, par l'engagement et le 2 novembre, cherchaient plutôt la truffe «national-populaire» du côté, par exemple, de Luchino Visconti, duc exquis et engagé. Personne ne comprit rien, comme d'habitude.

« Nous-mêmes, nous nous sentions à une distance astronomique du «vrai» cinéma. Des fourmis sur la marche la plus basse de l'escalier de marbre. Nous cuisinions nos farces, nos bouffonneries, nous construisions nos personnages déments, nos folles extrapolations, en pêchant cependant toujours dans ce que nous voyions autour de nous, inconscients, inspirés.

Nous riions, nous nous amusions, que pouvait-on demander de plus? C'étaient des années de plumes. Il nous semblait normal que les critiques, les intellectuels, les hérauts des chefs-d'oeuvre nous regardent de haut en bas, ignorent notre travail.

Et nous arrivons au milieu des années 70. « Il y eut un bref réveil, voilà quelques années. Après avoir déposé leurs trompettes, les hérauts regardaient autour d'eux, perplexes.

Comment ça? Le cinéma italien ne savait plus rire? Où étaient parties l'ironie, la satire, l'insouciance, la bonne humeur? Tout à coup, ces qualités négligeables devinrent importantes, indispensables.

Et alors, en avant la musique ! allons-y avec les rétrospectives et les récupérations ! Il suffit que vingt ou trente ans se soient écoulés pour qu'on daigne lever son chapeau devant un lazzi antique, une facétie tirée d'un champ de fouille.

Et voilà : la «réhabilitation» [sic!!] de la comédie à l'italienne par «les critiques, les intellectuels, les hérauts des chefs-d'oeuvre» n'est survenue qu'après ce bref réveil : quand le genre était mourant et que sa dimension comique occupait désormais une place plus acceptable, c'est-à-dire plus réduite.

Leurs collègues italiens ayant enfin daigné lever leur imprimatur, nos chics amis de Cannes pouvaient désormais faire de même. Quelle doxa? Eh bien, comme le notait fort justement le grand comique Vittorio Gassman : « Il y a toujours eu un soupçon vis-à-vis de ce qui est divertissant : attention, danger, ce qui est divertissant appartient à un genre inférieur.

C'est une grave erreur, une erreur antique de notre culture officielle. » (*) : Depuis que Fruttero et Lucentini ont écrit cet article, deux remakes du Pigeon ont été réalisés : Crackers, une catastrophe signée Louis Malle, qui était bien trop "grand auteur" pour réussir ce genre de film; et Welcome to Collinwood, qui a été, à mon immense plaisir, un échec total.

En effet, on ne peut refaire Le Pigeon ! (**) : « Il y a les films d'auteur et les films d'équipe. Moi, je fais des films d'équipe. » - Dino Risi (Du livre Dino Risi, maître de la comédie italienne, que je ne retrouve pas dans mon fourbi).

Ou bien Ettore Scola, à l'époque où il était encore un spécialiste du genre (qu'il abandonne après Affreux, sales et méchants) : « Pour dénigrer un film, les critiques disent qu'il fait trop de concessions au public. Je ne comprends pas ce langage.

Je dis qu'un film doit faire le minimum de concessions aux critiques et le maximum de concessions au public. » Nino Manfredi est une personnalité à part dans le quintet d’acteurs de génie de la comédie italienne composée de lui-même, Alberto Sordi, Marcelo Mastroianni, Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi.

Il n’est pas dans la fuite en avant et la déconstruction de son image comme Mastroianni, ni dans la petitesse magnifique de Sordi, et encore moins dans la monstruosité matamoresque de Gassman - même si capable de l’égaler dans le contre-emploi génial d'Affreux, sales et méchants (1976).

Non, Nino Manfredi, peut-être de par ses origines provinciales qui freinèrent son début de carrière, ne marque le plus souvent les esprits que dans un registre vulnérable et modeste dont il sait exploiter le comique ou l’émotion.

Ce sont ses magnifiques rôles de migrant dans Pain et chocolat de Franco Brusati (1973), l’inoubliable ouvrier de Nous nous sommes tant aimés (1974) d'Ettore Scola, le religieux bienveillant d'Au nom du pape roi (1977) de Luigi Magni et en plus méconnu, le magnifique sketch où il interprète un travesti de façon très pudique dans Une poule, un train...

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