Dépression et Régime Alimentaire : Ce que les Études Scientifiques Révèlent

La santé mentale, un état de bien-être qui nous permet de faire face au stress et de réaliser notre potentiel, est un aspect essentiel de la santé, souvent négligé. En France, environ 3 millions de personnes souffrent de dépression, une maladie qui touche un Européen sur quatre au cours de sa vie. Les traitements actuels sont inefficaces pour environ un tiers des patients, et le risque de rechute est élevé (50%). Face à ces défis, la recherche explore de nouvelles pistes, notamment le rôle de l'alimentation dans la prévention et le traitement de la dépression.

Le Lien Entre Alimentation et Dépression

Plusieurs experts internationaux ont examiné les connaissances actuelles sur le sujet, y compris Felice Jacka, Joel Doré et Valentina Andreeva. Des chercheurs ont analysé les données de plus de 36 000 personnes concernant le type d’alimentation consommée et la santé mentale des participants. Les résultats, publiés dans la revue scientifique Molecular Psychiatry, ont montré que le type de régime alimentaire pourrait être corrélé, selon sa nature, à un risque de dépression ou au contraire à une protection vis-à-vis de cette maladie. Cette étude expose un lien possible entre l’alimentation et la dépression.

Le Régime Méditerranéen : Une Protection Contre la Dépression ?

Plus précisément, la consommation d’un régime méditerranéen (c’est-à-dire riche en fruits et légumes, poisson et céréales) serait associée à une diminution d’environ un tiers des risques de dépression. Felice Jacka indique que la plupart des données d’observations mondiales rapporte un moindre risque de dépression (de 30 à 35 %) chez les sujets ayant une alimentation riche en végétaux et pauvre en aliments ultra- transformés, en sel et en viande rouge, indépendamment du statut socioéconomique, de l’éducation et du poids des sujets. Le régime méditerranéen est en particulier très étudié dans ce domaine.

Dans une étude publiée en 2018 dans la revue Molecular psychiatry, Tasnime Akbaraly et ses collègues ont épluché les données relatives au suivi de 36 556 adultes. Les résultats parlent d’eux-mêmes : ceux qui adhèrent le plus au régime méditerranéen ont 30 % de risque en moins de voir survenir un syndrome dépressif. De plus, une revue de treize études, publiée dans l’édition de février 2025 du journal Nutrition Reviews, a montré que le régime méditerranéen pourrait diminuer les risques de dépression, d’anxiété et de trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) chez les enfants et les adolescents.

Aliments à Privilégier et à Éviter

Une étude observationnelle transversale réalisée à partir d’un auto-questionnaire anonyme en ligne, diffusé dans la population adulte en France, au Canada et en Allemagne, révèle que l’alimentation intuitive pure, le « healthy diet » et le régime flexitarien sont associés à moins de dépression. Ne pas suivre de régime est également associé à moins de dépression. Le régime sans soja, le régime Dukan, le régime cétogénique, l’alimentation émotionnelle pure, le régime sans gluten, le régime végétalien, le jeûne religieux et le jeûne intermittent sont associés à plus de dépression. Les aliments retenus comme ayant le plus d’importance et d’impact sur la dépression sont la junk-food, les fruits, les sodas sucrés et les huiles (huiles d’olive, de colza et de soja).

En décortiquant l’alimentation de volontaires tout en suivant leur santé mentale, les chercheurs ont noté qu’une bonne alimentation est associée à moins de risque de symptômes dépressifs. « À l’inverse manger gras, sucré et privilégier les aliments industriels augmente de 60 % le risque de symptômes dépressifs », précise la chercheuse.

Le Rôle de l'Inflammation et du Microbiote Intestinal

Il existe différentes pistes qui pourraient expliquer ces résultats. Tout d’abord une alimentation dite déséquilibrée pourrait induire une inflammation chronique au sein de l’organisme. Cette inflammation serait susceptible d’affecter le cerveau, à travers entre autres un phénomène appelé stress oxydatif, et agir sur la santé mentale. De plus, le régime alimentaire a un rôle primordial dans le fonctionnement et la composition du microbiote intestinal. Or de plus en plus de travaux de recherche révèlent un lien entre le microbiote et la santé du cerveau.

L’étude publiée dans Molecular psychiatry a en effet montré qu’un régime alimentaire pro-inflammatoire - riche en acides gras saturés, sucre et produits raffinés - était associé à un plus fort risque de dépression. « L’inflammation chronique potentiellement induite par ce type d’alimentation pourrait être directement impliquée dans la survenue de la dépression. Des résultats qui soutiennent l’hypothèse selon laquelle éviter les aliments pro-inflammatoires contribue à prévenir les symptômes dépressifs », explique la chercheuse.

L’axe intestin-cerveau et le microbiome exercent une grande influence sur ces procédés. « Le microbiome est important pour la santé mentale. L’intestin produit 90 % de la sérotonine dans le corps », explique Daniel Amen, psychiatre fondateur des cliniques Amen, des cliniques psychiatriques aux États-Unis, auteur du livre Change Your Brain Every Day, qui n’a pas été traduit en français.

Dans une étude récente (Barwon Infant Study), son équipe a montré que les femmes qui avaient une alimentation équilibrée et variée durant leur grossesse présentaient une plus grande diversité bactérienne et que les enfants avaient de meilleurs résultats de santé mentale à l’âge de 2 ans.

Neurotransmetteurs et Nutriments

Valentina Andreeva rappelle que le cerveau est un grand consommateur d’énergie et que le glucose est son principal substrat. Elle évoque trois neurotransmetteurs importants : (1) La sérotonine, produite en grande majorité par l’intestin et qui joue un rôle majeur dans le rythme circadien et la régulation de l’humeur ; (2) La dopamine, qui est synthétisée dans le tronc cérébral et joue un rôle essentiel dans la motricité, le système digestif la motivation et le plaisir ; (3) L’adrénaline, qui est sécrétée par le système nerveux central en réponse à un état de stress ou en vue d’une activité physique. La dopamine est le précurseur de l’adrénaline.

Les nutriments les plus étudiés sont les acides gras polyinsaturés, les phospholipides, les vitamines du groupe B, les antioxydants et les régimes méditerranéens. Les facteurs de risque d’origine nutritionnelles étudiés sont les aliments ultra-transformés et les sucres.

Les dernières données sur les acides gras insaturés indiquent qu’une consommation plus élevée de poisson est associée à un risque réduit de 22 % de dépression et un risque réduit de 26 % de la maladie d’Alzheimer. Une étude récente montre que la consommation d’œufs, riches en phospholipides réduit le risque de symptômes dépressifs chez les sujets âgés sur six ans. Les vitamines du groupe B, qui jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement du système nerveux ont été associées à une meilleure gestion du stress.

Aliments Riches en Phytonutriments

Naturellement présents dans les plantes, les phytonutriments (aussi appelés substances phytochimiques) jouent un rôle essentiel dans la croissance des plantes et agissent comme mécanisme de défense contre les risques environnementaux qui les entourent. Il existe des centaines de phytonutriments connus, présents dans les fruits, les légumes et les herbes que nous consommons.

  • Les polyphénols : présents dans les céréales complètes, les légumineuses, les légumes, les fruits et les huiles. Ils peuvent être utilisés pour prévenir les maladies cardiovasculaires, inflammatoires et neurodégénératives.
  • Les caroténoïdes : abondants dans les légumes comme les carottes, les patates douces, la citrouille, les tomates…etc Ils sont reconnus pour leur puissant pouvoir antioxydant.
  • Les composés phénoliques : se trouvent dans les noix, les céréales complètes et les baies. Ils ont des propriétés à la fois antioxydantes et anti-inflammatoires

Recommandations et Perspectives

Valentina Andreeva conclut qu’une bonne santé mentale est associée à des aliments avec des propriétés anti-inflammatoires, favorisant la réduction du stress oxydatif, agissant favorablement sur le microbiote intestinal ou la synthèse des neurotransmetteurs, améliorant l’axe hyp. Les aliments ne doivent pas être vus comme les seuls moyens de traiter la dépression, l’anxiété ou les autres troubles de la santé mentale, mais plutôt comme des moyens d’améliorer l’humeur. Ce sont des traitements additionnels, explique la postdoctorante.

Au vu de ces liens, Tasnime Akbaraly milite pour donner à l’alimentation la place qu’elle mérite dans la prise en charge des troubles dépressifs. « Les psychiatres devraient se saisir de la question de la nutrition, soutient Tasnime Akbaraly. C’est un outil supplémentaire dans l’arsenal thérapeutique à disposition des médecins, qui permet au patient d’être acteur de sa thérapie, et qui est complètement dépourvu d’effet secondaire négatif. Qu’est-ce qu’on attend ? »

Cependant, des essais cliniques supplémentaires doivent être menés afin d’évaluer l’impact direct des différents régimes alimentaires sur la survenue de dépression mais également sur la sévérité des éventuels épisodes dépressifs. De plus, l’alimentation fait partie d’un ensemble de facteurs et il est probable que ce soit la combinaison de plusieurs facteurs qui entre en jeu.

Il est nécessaire de développer des stratégies de prévention pour limiter la progression des troubles dépressifs majeurs. La psychonutrition est une discipline qui mériterait d’être intégrée dans la formation initiale des professionnels de la santé.

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