Crise Alimentaire en Ukraine : Causes et Conséquences

La guerre en Ukraine pose une menace sérieuse sur la sécurité alimentaire mondiale. En agressant l’Ukraine, la Russie a porté un coup sévère à la sécurité alimentaire de millions de personnes.

Causes de la Crise

L’Ukraine et la Russie sont des acteurs importants des exportations alimentaires mondiales. Les deux pays sont des producteurs et exportateurs majeurs de denrées telles que le blé (environ 30 % des exportations mondiales), l’orge (environ 32%), le maïs (environ 17%) mais aussi des produits à base de tournesol comme les grains, les huiles ou les tourteaux (plus de 50%).

Dès que la crise a éclaté, les exportations en provenance de ces deux pays ont drastiquement diminué, provoquant un tarissement des denrées disponibles et surtout, par effet d’anticipation, un emballement des marchés agricoles mondiaux. Cette hausse soudaine liée à la situation en Ukraine intervient alors même que les prix alimentaires mondiaux étaient déjà très élevés, avec une augmentation des prix du blé de 80% entre avril 2020 et décembre 2021.

En outre, 13 pays à faible ou moyen revenu dépendent directement des importations russes et ukrainiennes de produits alimentaires et d’engrais pour nourrir leurs populations, dont certaines sont déjà confrontées à des conditions proches de la famine.

La Russie et l'Ukraine ont des positions dominantes sur les marchés mondiaux d’engrais et d’énergies fossiles, ce qui justifie les craintes pour la sécurité alimentaire mondiale. Elles figurent toutes deux en 2021 au rang des trois premiers exportateurs mondiaux de blé, d'orge, de maïs, de colza et d'huile de colza, de graines de tournesol et d'huile de tournesol. Le déroulement des combats a eu un impact significatif sur la production agricole ukrainienne : en 2022, la récolte de blé a baissé de 20 % par rapport à l’année précédente, tandis que celles de tournesol et de maïs ont chuté de 40 %.

En conséquence, l’indice des prix de la FAO, entre 2019 et le mois de mars 2022, a atteint de nouveaux records : le prix des céréales au niveau mondial a augmenté de 48 %, ceux du gasoil de 85 % (pour les machines agricoles) et ceux des intrants (engrais et phytosanitaires) de 35 % ; dépassant considérablement les niveaux de 1970 (chocs pétroliers), 2008 (émeutes de la faim) et 2011 (printemps arabe).

La perturbation des chaînes d'approvisionnement et les craintes de pénurie ont poussé certains grands pays producteurs de grain, comme l'Inde et la Chine, à réduire leurs exportations vers le reste du monde pour augmenter outre mesure leurs réserves de stocks.

Facteurs Aggravants

  • Conséquences de la pandémie de Covid-19
  • Impacts du changement climatique
  • Conflits locaux

Avant la crise ukrainienne, plusieurs pays se trouvaient déjà dans une situation de grande précarité, du fait de fragilités sécuritaires, économiques ou climatiques, et notamment des effets de la pandémie de la Covid-19, qui a conduit à une augmentation de près de + 120 millions du nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde.

Cette situation est extrêmement pénalisante pour certains pays d’Afrique, du Proche ou du Moyen-Orient qui sont fortement dépendants des exportations agricoles de la Russie et/ou de l’Ukraine pour les céréales, les huiles végétales ou encore les engrais. Pour l’ensemble des pays, cela bouleverse les chaînes d’approvisionnement mondiales.

Conséquences de la Crise

Alors que plus de 161 millions de personnes dans 42 pays souffrent déjà d’une faim aiguë, cette situation aggrave des crises déjà dévastatrices en raison d’une multitude de facteurs : conséquences de la pandémie de Covid-19, impacts du changement climatique ou encore conflits locaux.

Pour les personnes vivant dans des pays qui dépendent des exportations de blé, et pour l’ensemble du système alimentaire mondial, cette situation est potentiellement catastrophique. Ce niveau insoutenable des prix du marché a de grandes chances d’intensifier les crises de la faim dans les pays de la Corne de l’Afrique (Ethiopie, Somalie, Kenya), du Moyen-Orient (Yémen, Syrie) ou encore dans le Sahel (Mali, Burkina Faso).

Fin 2021, 193 millions de personnes étaient confrontées à une situation de crise alimentaire, dans 53 pays ou territoires.

Initiatives et Réponses à la Crise

Il faut d’urgence soutenir les populations exposées et transformer nos systèmes alimentaires. Il faut que tous les Etats déploient des mesures de protection sociale pour soutenir leur population, et en priorité les plus vulnérables.

La Commission européenne a adopté un budget humanitaire initial pour 2022 de 1,5 milliard d’euros, dont près de 554 millions d’euros alloués à l’Afrique subsaharienne. Ce budget intervient en réponse à des besoins alimentaires et nutritionnels ainsi qu’à d’autres besoins fondamentaux des populations vulnérables dans les pays en conflit. Cet engagement européen sera poursuivi et renforcé, notamment sous l’impulsion de la France, en tant que présidence du Conseil de l’UE.

Le 24 mars, la France, en sa qualité de présidente du Conseil de l’Union européenne, a présenté l’initiative FARM pour la sécurité alimentaire des pays les plus vulnérables. L’aide française en matière de sécurité alimentaire a pour objectif notamment de renforcer l’action des organisations internationales, en premier lieu le Programme alimentaire mondial.

En avril 2022, une session extraordinaire du Conseil de la FAO a été convoquée à la demande d’une quarantaine d’États membres dont les 27 pays de l’UE. Elle vise à suivre étroitement les implications de la guerre sur la sécurité alimentaire mondiale et présenter des plans à court, moyen et long terme pour répondre à ces défis.

En mai 2022, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères est intervenu à la Conférence régionale de la FAO pour l’Europe. Il a appelé à une réponse de solidarité alimentaire pour appuyer le secteur agricole ukrainien et les pays les plus exposés aux conséquences de la guerre.

La France finance en particulier, à hauteur de 2 millions d’euros un projet de la FAO qui vise spécifiquement à soutenir le secteur agricole ukrainien fragilisé par la guerre. Ces actions ne nous dispensent pas répondre de manière opérationnelle aux besoins immédiats des agriculteurs ukrainiens. Il s’agit du gasoil non routier, des engrais, des produits phytosanitaires et des semences, tous indispensables aux futurs travaux agricoles - notamment aux semis de printemps et aux futures moissons.

La France travaille en lien étroit avec le PAM pour définir un mécanisme de solidarité qui pourrait jouer un rôle « tampon » en cas d’aggravation de la crise. Ce mécanisme permettrait au PAM et/ou aux pays les plus fragiles de s’approvisionner à des prix inférieurs à ceux du marché.

La situation en France

La disponibilité des denrées alimentaires en France est relativement peu affectée par la guerre en Ukraine. Notre sécurité alimentaire, c’est-à-dire notre capacité à disposer d’une nourriture en quantité disponible (volumes) et accessible (prix), repose sur une production nationale conséquente et des mécanismes d’échanges intra-européens efficaces. En outre, les importations agricoles russo-ukrainiennes pèsent moins de 4 % de nos imports totaux de produits agro-alimentaires, ce qui nous protège relativement bien des ruptures des chaînes d’approvisionnement.

En revanche, notre dépendance aux engrais et énergies fossiles importés pousse les prix vers le haut. Cette vulnérabilité, mise en exergue par la guerre et les poussées inflationnistes, fragilise les producteurs : les coûts à la production ont augmenté de 30 % en janvier 2023 par rapport à l’année 2022.

Cette hausse des charges (énergies fossiles et engrais) pour le producteur se répercute ensuite sur les prix à la consommation. Les niveaux d’inflation alimentaire atteignent à l’été 2023 + 25 %, un niveau remarquablement haut et qui contraint de nombreux ménages à rogner leurs dépenses alimentaires.

En termes de commerce agricole bilatéral (France-Ukraine et France-Russie), la guerre ne met pas en péril notre approvisionnement alimentaire. Pour cause, la France est concurrente de ces deux pays sur la production et l’exportation de céréales, particulièrement du blé. Les importations russes représentent moins de 1 % du total importé en France (en volumes) : principalement du colza (40 000 tonnes), du soja (28 000 tonnes) et du poisson (11 000 tonnes) et la part des importations ukrainiennes - un peu plus conséquente - représente 3 % de nos importations totales (en volumes). L'Ukraine est en effet notre premier fournisseur de tournesol (650 000 tonnes) et notre deuxième fournisseur de colza (420 000 tonnes), après le Canada.

Solutions et Perspectives

La France est persuadée de l’intérêt d’une feuille de route opérationnelle, afin d’amplifier notre impact et d’assurer la redevabilité de notre action. C’est l’objectif de FARM, que nous voulons décliner avec nos partenaires régionaux, notamment à l’échelle du continent africain, afin de répondre aux besoins identifiés localement.

Oxfam a déjà mis en lumière le fait que les crises de la faim sont liées à l’impossibilité pour les populations d’accéder à de la nourriture, et non pas à un problème de quantité.

Il faut transformer les systèmes alimentaires, garantir la sécurité alimentaire dans les politiques commerciales et développer une protection sociale universelle.

Dans la continuité des engagements pris lors du dernier Sommet Union européenne-Union africaine l’ambition est de travailler avec les partenaires africains au développement de filières clés telles que les protéines végétales ainsi qu’à la mise en œuvre accélérée de la Grande Muraille Verte.

Initiative FARM : Trois Piliers

  1. Un plan d’urgence de libération de stocks en cas de crise, pour éviter toute situation de pénurie et modérer les hausses de prix. Un engagement multilatéral à ne pas imposer de restrictions à l’export des matières premières agricoles. Un suivi transparent des obstacles au commerce des produits agricoles, et des prix sur les marchés.
  2. Un pilier de solidarité, pour se préparer dès l’été 2022 aux premiers effets de la guerre en Ukraine, et à une baisse potentiellement durable des volumes exportés par l’Ukraine, dont dépendent de nombreux pays d’Afrique et du Moyen-Orient ainsi que le PAM pour ses opérations.
  3. Accroître les investissements dans les systèmes de production durables et résilients, engager un travail de fond sur les habitudes alimentaires en vue de réduire les dépendances aux exports, renforcer l’intégration des marchés locaux et régionaux, lutter contre les pertes et le gaspillage alimentaires.

Tableau: Impact sur les Prix des Matières Premières Agricoles

Matière Première Prix en Septembre 2021 Prix en Septembre 2022 Augmentation
Blé (tonne) 240 € 330 € 70 %
Colza (tonne) 470 € 615 € 30 %

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