La consommation d’eau très élevée pour la production de viande, surtout bovine, est régulièrement soulignée par les médias. Les produits de l’élevage, et tout particulièrement la viande, font l’objet de polémiques voire d’attaques mettant en cause les impacts de l’activité d’élevage sur l’environnement et sa concurrence avec les ressources alimentaires humaines.
La préservation de la ressource en eau devenant un des enjeux majeurs pour les années à venir, de nombreuses initiatives visent à mettre au point des méthodologies afin d’apprécier les impacts des activités humaines sur l’eau d’un point de vue quantitatif et qualitatif.
Afin de mieux comprendre les messages et chiffres traitant de l’impact de l’élevage sur la ressource en eau, une analyse critique des méthodologies d’empreinte eau, ainsi que des évaluations pour la production et l’abattage des viandes bovines et ovines françaises ont été réalisée.
Au niveau mondial, le secteur agricole est considéré comme le plus grand consommateur d'eau. La production de viande en consomme une grande partie : selon une étude relayée par Water Footprint Network, environ 30 % de l'eau utilisée dans le monde sert à la production de produits d'origine animale.
L'eau et l'élevage : des chiffres à nuancer
En fait, les chiffres annoncés, le plus souvent 15 000 L par kg de viande bovine, incluent entre autres l’eau de pluie nécessaire pour la croissance des plantes consommées par les animaux, dite eau verte, et une quantité virtuelle d’eau proportionnelle au degré de pollution des eaux, dite eau grise.
Les chiffres actuellement diffusés dans les médias sur les quantités d’eau mobilisées pour produire un kg de viande sont très variables et peuvent parfois sembler aberrants (jusqu'à 15000 litres / kg). C’est pourquoi une analyse critique des méthodologies diffusées ou en cours de mise au point a été effectuée.
Dans la production de viande et d'autres produits d'origine animale, la plus grande partie de l'eau est utilisée pour la culture des aliments destinés aux animaux d'élevage. La culture d'aliments pour animaux, tels que les céréales et le soja, occupe plus de 83 % des terres agricoles du monde - et consomme une grande partie de l'eau utilisée, selon la revue spécialisée Science.
Parmi tous les produits d'origine animale, la viande de bœuf est celle qui consomme le plus d'eau. La production d'un kilo de viande de bœuf nécessite jusqu'à 15 300 litres.
Le calcul de l’eau de surface ou souterraine réellement consommée par les élevages, dite eau bleue, indique des consommations beaucoup plus faibles (en moyenne de 550 L par kg de viande bovine selon la méthode du Water Footprint Network, de l’ordre de 600 à 700 L par kg de viande bovine par analyse du cycle de vie), et encore moins en termes d’impact.
Les chiffres fréquemment cités d’une consommation de 1 500 litres d’eau pour produire un steak (ou 15 000 litres d’eau par kg de bœuf) sont issus de la méthode Waterfootprint ou « empreinte eau virtuelle » appliquée aux bovins.
- « L’eau bleue », qui représente 3 à 4 % des 1 500 litres évoqués correspond à l’eau réellement consommée. Il s’agit du volume d’eau douce capté dans les eaux de surfaces et nappes phréatiques. Pour la filière bovine, cela correspond principalement à l’eau d’abreuvement des animaux, l’eau d’irrigation des cultures fourragères qui nourrissent les animaux et l’eau nécessaire à la transformation de la viande.
- « L’eau grise », qui représente 3 % des 1 500 litres évoqués.
- « L’eau verte », qui représente 94 % des 1 500 litres évoqués. Il s’agit du volume d’eau de pluie stocké dans le sol sous forme d’humidité et qui s’évapore des plantes et du sol des surfaces cultivées ou surfaces de prairies qui alimentent les troupeaux. Ce volume d’eau correspond principalement à l’eau de pluie réceptionnée par les surfaces d’élevage.
En France, les fermes d’élevage produisent sur l’exploitation 90 % de l’alimentation destinée à leurs troupeaux. Ce sont donc 13 millions d’hectares de prairies, 2 millions d’hectares de maïs et 1,5 millions d’hectares de céréales qui réceptionnent naturellement l’eau du ciel.
On trouve très fréquemment le chiffre de 15 000 litres d’eau consommée pour produire 1 kg de viande. Mais ce chiffre, obtenu par la méthode de water footprint (empreinte eau) englobe l’eau bleue (eau réellement consommée par les animaux et l’irrigation des cultures), l’eau grise (eau utilisée pour dépolluer les effluents et les recycler) et l’eau verte (eau de pluie). Or cette méthode a été conçue pour des sites industriels et ne tient pas compte des cycles biologiques.
En réalité 95 % de cette empreinte eau correspond à l’eau de pluie, captée dans les sols et évapotranspirée par les plantes, et qui retourne de fait dans le cycle de l’eau. Ce cycle continuera même s’il n’y a plus d’animaux. La communauté scientifique considère qu’il faut entre 550 à 700 L d’eau pour produire 1 kg de viande de bœuf (1).
Avec la sécheresse actuelle, l’élevage herbivore est confronté à sa consommation d’eau, de façon d’autant plus cruciale que la ressource se fait rare. Comme pour bien d’autres activités, l’eau est indispensable à l’élevage. En effet, l’eau est nécessaire à la croissance des plantes fourragères et des prairies, à l’abreuvement des animaux (une vache consomme entre 50 et 100 litres d’eau par jour et même 150 litres lorsqu’il fait très chaud), au nettoyage des équipements, notamment des installations de traite (salles de traite, robots, tanks à lait : autour d’1,5 litre par litre de lait ).
D’autre part, les évaluations réalisées par l’Institut de l’Elevage, à partir de méthodologies reconnues au niveau international (cadre ISO), montrent que l’empreinte eau des produits laitiers et carnés est de l’ordre d’1 à 3 litres d’eau par litre de lait et de 30 à 50 litres d’eau par kilo de viande vive (à la sortie de l’élevage). Ces valeurs sont nettement inférieures aux valeurs fantaisistes reprises par certains médias (150 litres d’eau par litre de lait et 15 000 litres d’eau par kg de viande). En fait, ces chiffres excessifs intègrent toute l’eau de pluie qui tombe sur les surfaces valorisées par les troupeaux, alors qu’elle n’est pas déviée de son circuit naturel. Pourtant, une irrigation raisonnée serait la bienvenue en élevage, afin de sécuriser la production fourragère dans un contexte de changement climatique.
Comparaison avec d'autres aliments
L'eau est une ressource vitale pour l'humanité et comme le mettent en évidence les chiffres du Water Footprint Network, tous les aliments ne sont pas égaux face à la consommation d'eau. Comme le montrent ces chiffres, qui prennent en compte l'eau de pluie consommée par les plantes, l'arrosage/consommation directe et le volume d'eau polluée durant la production (engrais, pesticides, lavage...), si les produits d'origine animale sont généralement les plus gourmands en eau, d'autres, comme le chocolat, ont aussi une empreinte hydrique élevée.
Il faut en effet 15 415 litres d'eau pour produire un kilo de viande de bœuf, et 17 196 litres pour un kilo de chocolat. Toutefois, ces chiffres sont à mettre en perspective avec les niveaux de consommation des denrées alimentaires mentionnées. Ainsi, les Français consomment chaque année environ 23 kg de viande de bœuf par personne, contre un peu plus de 4 kg de chocolat.
L'empreinte hydrique d'un gramme de protéine de viande de bœuf est également environ 6 fois plus importante que celle d'un gramme de protéine de légumineuses. À l'inverse, les fruits et légumes ont en moyenne une empreinte hydrique bien moins élevée. Il faudrait ainsi environ 822 litres d'eau pour produire un kilo de pommes, 237 litres pour un kilo de laitue, et seulement 214 pour un kilo de tomates.
Tableau comparatif de la consommation d'eau par aliment (litres/kg)
Aliment | Consommation d'eau (litres/kg) |
---|---|
Viande de bœuf | 15 415 |
Chocolat | 17 196 |
Pommes | 822 |
Laitue | 237 |
Tomates | 214 |
L'élevage : plus qu'un consommateur, un acteur de l'environnement
Certains types d'élevage, comme les ruminants à l'herbe ou les élevages qui utilisent beaucoup de coproduits de l'agriculture, sont producteurs nets de protéines. C'est-à -dire qu'ils produisent plus de protéines (d'origine animale) consommables par l'homme qu'ils n'utilisent de protéines végétales consommables par l'homme pour nourrir les animaux.
L'élevage occupe majoritairement des terres non cultivables (prairies, montagnes, steppes, savane). Plusieurs études conduites avec INRAE démontrent les bénéfices environnementaux des prairies. Leurs sols sont plus riches en biomasse microbienne et en biodiversité que les sols des cultures. Ils stockent plus de carbone, sont 20 fois moins sensibles à l’érosion et filtrent mieux les eaux. Plusieurs projets de recherche européens ont montré que le stockage de carbone des prairies compense l’équivalent de 30 à 80 % des émissions de méthane des ruminants (6).
Il faut manier les chiffres avec précautions. Dans l’idéal, il conviendrait de préciser chaque fois les méthodes et les conditions d’obtention de ces chiffres et d’en relativiser la portée et la signification.
On compare parfois des chiffres non comparables ! C’est le cas quand on affirme que l’élevage rejette plus de GES (14,5 %) que le secteur des transports (14 %) alors que ces deux chiffres sont obtenus par des méthodes différentes.
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