À l’heure où le troisième rapport du GIEC nous conjure de changer nos modes de vie, Bill Gates a une idée précise de ce que devrait être le futur de notre alimentation. Pour parvenir à réduire nos émissions de gaz à effet de serre, le fondateur de Microsoft préconise l’innovation et le passage à la viande synthétique.
L'engagement de Bill Gates envers la viande végétale
En septembre 2023, Bill Gates avait expliqué avoir décidé de soutenir les start-ups spécialisées dans la production de viande végétale en raison de leur intérêt "pour le climat" : "J'ai le sentiment que l'avenir passe par [la production de viande végétale]... et je veux être la personne qui plante cette graine".
Le 14 février 2021, dans un entretien accordé à la MIT Technology Review, le milliardaire se confiait à l’occasion de la sortie de son nouveau livre, How to Avoid a Climate Disaster. Son ouvrage porte sur les innovations technologiques nécessaires à la réduction des émissions dans des secteurs clés tels que l’acier, le ciment ou encore l’agriculture aux États-Unis.
À titre personnel, l’entrepreneur a investi massivement dans les sociétés Beyond Meat, Carbon Engineering, Impossible Foods, Memphis Meats et Pivot Bio.
La viande synthétique : une solution pour réduire les émissions de GES ?
Pour parvenir à réduire les émissions de GES liées à l’élevage, Bill Gates préconise d’utiliser moins d’engrais. Il explique que la société Pivot Bio, dont il est l’investisseur principal, a développé un engrais à partir de semences capables de convertir l’azote du sol en composés utiles à la pousse des plantes.
Une fois ingéré par le bétail, cet engrais permettrait de réduire de 20 % les émissions de méthane produites par les animaux.
« Malheureusement, ces bactéries, qui produisent du méthane dans le système digestif du bétail, sont nécessaires pour décomposer l’herbe. Je ne sais pas s’il y aura une approche naturelle. Je crains qu’il ne faille recourir aux protéines synthétiques au moins pour le bœuf. »
La viande synthétique représente seulement 1 % de la viande dans le monde, rappelle Bill Gates. Mais, pour l’heure, le monde agricole n’est pas près d’abandonner l’élevage. L’idée de remplacer l’élevage par l’innovation dans le domaine de la viande synthétique est encore aujourd’hui très impopulaire à cause de « l’amour culturel du hamburger ».
Pour autant, le milliardaire n’en démord pas : « Je pense que tous les pays riches devraient passer au bœuf synthétique à 100 %. On peut s’habituer à la différence de goût, et on prétend que le goût sera encore meilleur avec le temps », déclare le patron de Microsoft.
L'innovation comme moteur du changement
Pour Bill Gates, il faut « une politique gouvernementale de grande envergure ». Entre autres propositions, il préconise une taxe carbone élevée, à 300 dollars la tonne, des normes pour rendre l’électricité propre, des subventions importantes allouées à la recherche et développement (R&D) dans le secteur énergétique.
Il faudrait donc des innovations technologiques considérables pour parvenir à endiguer le réchauffement climatique. En tout, juste pour les États-Unis, ces investissements en énergie propre souhaités par Bill Gates représenteraient 35 milliards de dollars. Rien que ça.
Créée en juin dernier, son initiative intitulée Catalyst souhaitait impulser le développement de nouvelles solutions énergétiques pour lutter contre le changement climatique. Le projet s’attachait notamment à accélérer le développement de l’hydrogène vert. Plusieurs organismes, publics et privés, parmi lesquels la Banque européenne d’investissement et le ministère américain de l’Énergie, y ont investi.
Memphis Meats : une entreprise pionnière dans la production de viande propre
Bill Gates et Richard Branson se sont joints à un groupe d’investisseurs dans le financement de Memphis Meats pour un montant de 17 millions de dollars. Memphis Meats est l’entreprise de viande “propre” basée à San Francisco qui a déjà produit de la viande de bœuf, de poulet et de canard directement depuis des cellules souches, sans avoir besoin d’élever et de tuer des animaux.
Plus tôt cette année, Memphis Meat a introduit sur le marché la première volaille propre, après l’avoir annoncée l’année dernière.
L’entreprise a, à ce jour, récolté 22 millions de dollars. “Je crois que dans près de 30 ans nous n’aurons plus besoin de tuer un animal et que toute viande sera soit propre soit végétale, tout en ayant le même goût et en étant un aliment bien plus sain pour tous.”
Memphis Meats cherche à répondre à la demande des consommateurs qui veulent une viande bio et moins dépendante du schéma “nourriture, eau et terre”. L’entreprise se déclare capable de produire sa viande avec seulement 1% de terre et 1% d’eau, en comparaison aux besoins des producteurs traditionnels de viande.
“Nous allons mettre de la viande dans les assiettes d’une manière plus durable, plus rentable et plus délicieuse,” note Uma Valeti, cofondateur et PDG de Memphis Meats. “Le monde entier aime la viande… Cependant, la façon dont la viande conventionnelle est produite aujourd’hui met en péril l’environnement, le bien-être animal et la santé humaine.
Memphis Meats est en compétition indirecte avec de nombreuses autres startup du secteur, comme les producteurs de produits végétaux Impossible Foods et Beyond Meats (Bill Gates a également participé au financement de ce dernier).
Le processus de fabrication de la viande de culture
Déjà six ans que Mark Post, professeur hollandais en physiologie, présentait lors d’une dégustation aux airs de show américain, son premier « steak in vitro ». L’utopie alimentaire d’un bœuf sans bœuf devenait alors réalité, matérialisée sous la forme d’un drôle d’amas de fibres musculaires coloré au jus de betterave, conçu en laboratoire à partir de cellules animales.
À la suite de sa première présentation remarquée, le professeur Mark Post a co-créé Mosa Meat : cette start-up néerlandaise dédiée à la viande de culture affirme aujourd’hui être en phase d’industrialisation et ambitionne de produire des hamburgers en laboratoire pour un coût unitaire de près de 10 euros ; la première mise en vente grand public est prévue pour 2021.
Comment parvient-on à un tel résultat sans tuer d’animaux ? Chez Mosa Meat, la fabrication comprend trois grandes phases : le processus commence par un prélèvement de cellules souches sur le muscle d’un animal - une vache, par exemple, si l’objectif est de fabriquer du bœuf. Les cellules souches étant celles qui, dans le corps, créent un nouveau tissu musculaire lorsque le muscle est blessé.
Les cellules sont placées dans un environnement propice à leur prolifération puis se différencient en cellules musculaires lorsque l’on arrête notamment de leur fournir des nutriments. Placés dans un gel, ces myotubes prennent progressivement du volume pour devenir un petit morceau de tissu musculaire. Les processus de fabrication peuvent varier selon les entreprises, mais aussi selon le type de viande (bœuf, poulet et porc principalement). On compte en moyenne 44 jours pour ce processus.
Les défis et les controverses liés à la viande artificielle
Richard Branson affirme que d’ici une trentaine d’années on ne tuera plus d’animaux pour leur viande. La viande de culture serait ainsi l’unique futur de la viande. Les acteurs du secteur de la viande traditionnelle ne s’y trompent pas : Bell Food Group, l’un des principaux producteurs européens de viande, et les géants américains Tyson Foods et Cargill, ont tous investi des millions dans des start-up de la viande de culture.
Cette industrie n’est pourtant pas tout à fait au point, puisqu’elle exige d’abord un passage à l’échelle du processus de production : aucune des start-up n’affirme aujourd’hui posséder les solutions aux défis posés.
Un autre défi concerne la capacité à produire de véritables pièces de boucher et pas seulement de la viande hachée. Enfin, les cellules souches posent aussi problème, car elles ne se reproduisent pas indéfiniment.
L’un des principaux ? La cause environnementale. Le steak de culture constituerait une alternative beaucoup moins polluante. Selon Mosa Meat, un échantillon de cellules prélevé sur une vache permettrait ainsi de produire 80 000 pièces de viande. De fait, la production de viande telle que nous la connaissons aujourd’hui est l’une des activités humaines les plus polluantes et captatrices de ressources.
Les bienfaits environnementaux de cette alternative sont pourtant loin de faire l’unanimité. Comment peut-on raisonnablement estimer la consommation électrique des usines géantes de viande de culture alors qu’il n’en existe aucune aujourd’hui et que le processus de production à l’échelle est inconnu ? Certains des résultats de cette étude ont depuis été revus à la baisse.
De son côté, le Forum économique mondial (forum de Davos) a affirmé début 2019 que les émissions de la viande de culture ne seraient qu’environ 7 % moindre que celles de la production de bœuf actuelle.
Pourtant, la « propreté » de la viande artificielle est largement remise en question. Le fameux sérum nutritif évoqué précédemment est composé de facteurs de croissance, de nutriments énergétiques, d’acides aminés, d’hormones ainsi que d’antibiotiques et d’antifongiques. L’industrialisation de la production pourrait par ailleurs impliquer une entrée d’agents pathogènes comme la listeria.
Des scientifiques notent en effet que les protocoles nécessaires à la production de volumes commerciaux seraient supérieurs à ceux nécessités dans l’industrie pharmaceutique.
Conclusion
Une question demeure : dans le contexte d’une augmentation de la population mondiale et de l’urgence climatique, comment satisfaire l’appétence, qui ne faiblit pas, de l’homme pour la viande ?
Cependant, elle ne cache pas son ambition de rendre obsolète l’industrie de la viande traditionnelle et de s’emparer ainsi d’un marché mondial de 180 milliards d’euros annuels.
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