Conséquence du scandale Weinstein aux Etats-Unis, la parole des femmes se libère aussi en France. Le mot-dièse "#BalanceTonPorc" en est un symbole, en écho à #MyHarveyWeinstein.
Le Contexte : Scandale Weinstein et Répercussions en France
Le scandale Harvey Weinstein avait pris il y a quelques jours une dimension française avec les accusations de Léa Seydoux, Judith Godrèche, Emma de Caunes et Florence Darel, s'ajoutant à la longue liste des victimes américaines. Les quatre actrices ont dit avoir été harcelées ou agressées par le célèbre producteur hollywoodien. Mais ce mouvement de libération de la parole féminine dépasse largement le seul monde du cinéma.
Un relais français à #MyHarveyWeinstein, lancé le 5 octobre dernier par l'écrivaine canadienne Anne T. Donahue.
Genèse du Hashtag #BalanceTonPorc
Journaliste spécialisée dans les médias, Sandra Muller a initié le hastag "balancetonporc" vendredi soir. Elle même raconte les propos d'un rédacteur en chef, dont elle révèle l'identité : "Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit".
Un très grand nombre de journalistes s'expriment, comme Giulia Foïs, de Radio France : "Un red chef, grande radio, petit couloir, m'attrapant par la gorge, "un jour je vais te baiser que tu le veuilles ou non". C'était il y a 20 ans. Giulia Foïs en avait déjà parlé à l'époque et cela n'avait eu aucune conséquence.
L'important pour la journaliste, comme pour l'association Osez le féminisme, est de montrer l'ampleur du phénomène, que le harcèlement sexuel touche toutes les femmes, quelque soit leur âge, quelque soit leur milieu professionnel.
En France, une femme sur cinq est officiellement victime de harcèlement sexuel au travail, soit près de trois millions.
Hasard du calendrier, la secrétaire d'Etat Marlène Schiappa annonce ce lundi un projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles à horizon 2018. Elle devrait pénaliser notamment le harcèlement de rue et rallonger le délai de "prescription des crimes sexuels" (actuellement fixé à 20 ans).
Une Parole qui se Libère
"Honnêtement, il y a quelque chose de radicalement nouveau qui est en train de se dessiner", a commenté Michèle Riot-Sarcey, historienne du féminisme, de la liberté. "C'est la première fois qu'il y a une réaction aussi intense, alors bien sûr cela prendre des proportions un peu problématiques, surtout que les réseaux sociaux personne ne les contrôle. Mais c'est la première fois qu'il y a cette réaction massive de femmes qui décident de surmonter le tabou de l'humiliation, l'extrême tension qu'elles ont vécu pendant des années. Et puis elles nomment parfois."
Ce qui me paraît le plus important c'est que les femmes osent prendre la parole. Se taire ne convient plus sur un thème extrêmement difficile.
Céline Piques, de l'association Osez le féminisme, évoque une "deuxième étape, pour laquelle on se bat nous, les féministes, c'est le volet judiciaire et policier" : Il faut rappeler qu'aujourd'hui, neuf femmes sur dix ne portent pas plainte. C'est un drame. Quand elles portent plainte, elles ont des difficultés à voir la justice prononcer une condamnation envers les violeurs. Il y a des choses à faire au niveau de la justice, comme la formation du personnel judiciaire et policier.
Près de 94 % des femmes qui ont dénoncé leur patron ou leur employeur pour des faits de harcèlement ont perdu leur travail. Les conséquences aujourd'hui sont payées par les victimes et peu par les coupables.
Un hashtag qui permet à quelques femmes, des dizaines, des centaines, des milliers, de balancer leur porc, ou leurs porcs. Elles dénoncent des actes plus ou moins directs, plus ou moins limites, plus ou moins agressifs, plus ou moins vulgaires. Des agressions sexuelles. Des humiliations. Dans la rue, au travail, à l’école, à la fac.
Réactions et Conséquences
Face à ce déferlement, que dire, que penser? A ce moment-là, il est difficile d’être un homme.
En lançant parfois une blague salace, parce que je ne résiste jamais à un bon mot, et qui s’avérait déplacée. Ou bien en me murant dans le silence lâche, ou même le sourire honteux et facile, lorsque fusaient une remarque sexiste, une insulte, une proposition limite. De ces petites lâchetés, qui nous accompagnent tout au long de la vie, je suis comptable moi aussi. Et coupable. Mon silence a favorisé des comportements de porcs. Le vôtre aussi.
Il y a eu des tweets innombrables. Et très peu de noms. Très peu. Une parole qui se libère, mais pas une dénonciation.
Procès en Diffamation : Sandra Muller vs Eric Brion
Ce mercredi, le premier #BalanceTonPorc de l'histoire a été disséqué devant la 17e chambre civile du tribunal de grande instance de Paris et le moins que l'on puisse dire, c'est que ce procès en diffamation était attendu. Par le plaignant bien sûr, Eric Brion, qui patientait depuis «un an et demi pour pouvoir enfin laver son honneur.» Par la femme poursuivie, Sandra Muller, créatrice de ce hashtag mondialement connu et «fière d'avoir contribué à la libération de ce cri de colère collectif».
L'objet du procès est donc ce tweet litigieux, posté par la journaliste Sandra Muller le 13 octobre 2017 depuis New York et dans lequel il est écrit «Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit. Eric Brion, ex-patron de Equidia.
Les faits évoqués dans ledit tweet remontent au printemps 2012, lors d'une soirée festive en marge du Marché international des programmes (MIPTV) organisé à Cannes. A cette époque, Eric Brion est directeur général de la chaîne télévision Equidia. Sandra Muller est journaliste indépendante et directrice de publication de la Lettre de l'audiovisuel.
«Vous voyez du harcèlement sexuel dans le cadre du travail, vous, dans ce récit ? Elle est où, la répétition des faits ? Elle est où, la subordination hiérarchique ? Nulle part. Le tweet est diffamatoire, puisqu'il impute une infraction pénale qui n'est pas vraie. En définitive, ce n'était que de la drague lourde», a soutenu maître Bénoit, l'un des avocats d'Eric Brion, dans une plaidoirie 100% juridique.
«Comment Madame Muller pourrait-elle être condamnée pour diffamation alors qu'Eric Brion lui-même a reconnu avoir prononcé ces propos déplacés ? Comment condamner un tweet qui ne dit que la vérité ?» Avant de répondre à la partie adverse : «Dire "tu as des gros seins", ce sont des propos dégradants, qui sont vécus comme une agression ou une offense. Si ce hashtag a eu du succès, c'est parce que des milliers de femmes se sont reconnues et en ont assez d'être considérées comme des objets de plaisir à disposition.»
«Elle a donné le courage, elle a donné le point d'appui, elle a ouvert le chemin, a poursuivi François Baroin, le second avocat de la prévenue. Soit vous condamnez Madame Muller et ce sera le bâillon supplémentaire. Soit vous déboutez Monsieur Brion de ses folles revendications et vous serez sur le chemin de l'évolution de la société.»
Réflexions Masculines et Alliances
Plusieurs commentateurs ont d'ailleurs vite reçu la leçon. «En tant qu'homme, tu as au départ une réaction de déni», souligne l'un d'eux. Au Figaro, ce dernier confirme, un peu provocant: «Il faut parfois mettre sous le nez des hommes ce genre de combat, un peu comme un chien a qui on met son nez dans sa crotte.» Car «on a tendance parfois à dénigrer ou à penser que c'est pas grave», ce qui exige «un gros effort d'empathie parce que justement, c'est grave».
Une question cruciale revient dans plusieurs messages: comment ne pas rester spectateur, sans pour autant voler la parole aux femmes? «On peut soutenir mais jamais mener le combat à la place», relève un internaute.
Le fait que les hommes puissent s'emparer du sujet apparaît de plus en plus comme l'un des enjeux de la lutte contre le harcèlement sexuel. «Les hommes peuvent se conforter dans l'idée que ça n'existe pas, car ils ne sont pas victimes de manière massive. C'est donc important de se soucier de ce qu'ils peuvent faire. C'est très sain, car cela leur évite de réagir d'une mauvaise manière.»
Bilan et Portée du Mouvement
Les femmes n'ont pas manqué de répondre à l'appel de Sandra Muller et le hashtag #balancetonporc aurait été utilisé plus de 50 000 fois. Un véritable effet boule de neige. Les témoignages en ont surpris plus d'un, les hommes comme les femmes, mais pas de la même manière.
Si nombreuses personnalités ont participé au mouvement, Sandra Muller a été confortée dans l'idée que toutes les femmes et tous les secteurs étaient concernés.
Actuellement, le hashtag est encore utilisé. Sandra Muller gagne la bataille.
Décision de la Cour d'Appel
Ce mercredi, la cour d'appel a rendu sa décision dans l'affaire « Balance ton porc » et infirmé le jugement rendu le 25 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de Paris « en toutes ses dispositions ». Sandra Muller n'est donc pas condamnée pour diffamation.
Dans son arrêt, la cour explique que les propos tenus par la journaliste sont bien reconnus diffamatoires. « Ce qui est, en revanche, retenu sur cette diffamation, c'est que Sandra Muller n'a jamais imputé à Éric Brion un harcèlement sexuel au travail, mais simplement un comportement inapproprié », précise Me Nicolas Bénoit, l'avocat d'Éric Brion, au Point.
« La morale entre dans le droit »La cour reconnaît donc la « bonne foi » de Mme Muller, mais change toutefois de jurisprudence en la matière.
Du côté de Sandra Muller, on se félicite de cette décision en appel. « C'est évidemment un immense soulagement pour Sandra Muller et pour nous après un combat judiciaire long et difficile. La cour d'appel a estimé que la libération de la parole était un débat d'intérêt général et que madame Muller disposait d'une base factuelle suffisante. La justice s'est grandie aujourd'hui par cette décision courageuse et historique.
L'Affaire Eric Brion : Un Tournant Personnel
Premier accusé du mouvement Balance ton porc, Eric Brion raconte dans un livre sa chute vertigineuse. Il explique comment cette affaire a changé son rapport aux femmes et s'adresse à ses deux enfants. Il pèse chacun de ses mots. Eric Brion a éprouvé leur pouvoir.
Eric Brion se proclame féministe, pro-MeToo, et refuse qu'on lui en dénie le droit parce qu'il a été "goujat un soir". Mais dans la tourmente, sans doute a-t-il saisi que quelque chose se passait qui lui échappait. Il a voulu comprendre, dit-il.
"Je suis très heureuse pour toi, mais c'est une mauvaise nouvelle pour le combat des femmes", a réagi sa fille aînée à l'annonce du jugement. Etudiante au Canada et féministe convaincue, elle l'a éclairé au cours de rudes discussions, notamment sur les codes actuels de la séduction.
Il appelle ses filles à ne pas laisser le combat "aux mains des fanatiques". Les hommes doivent prendre part au débat, insiste Eric Brion. Il voudrait rapprocher les uns et les autres. Faire de son expérience le terreau d'un dialogue, comme pour mieux en effacer l'opprobre.
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