Balance ton porc : un combat et une marque

L’expression Balance ton porc, créée par Sandra Muller le 13 octobre 2017, trouve sa source dans l’affaire Weinstein. L’objectif est de combattre le harcèlement sexuel.

L'origine du mouvement Balance ton porc

Cet automne, Sandra Muller, journaliste, poste le tweet « #balancetonporc !! toi aussi raconte en donnant le nom et les détails d’un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends. » Elle fait ainsi écho aux dénonciations qui ont éclaté autour de Harvey Weinstein, producteur de cinéma, appelé « le porc » à Cannes. De nombreuses personnes s’approprient Balance ton porc et le hashtag associé pour dénoncer des agressions sexuelles subies.

Dans le sillage du raz-de-marée provoqué par l'affaire Harvey Weinstein, la journaliste publie quatre « posts » sur le réseau social et dans l'un d'eux figure le hashtag #BalanceTonPorc, qui se répand alors comme une traînée de poudre. Derrière le mot-dièse, Sandra Muller écrit : « Toi aussi raconte en donnant le nom et les détails d'un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends. » Quelques heures plus tard, elle publie ce message : « Tu as de gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit. Éric Brion, ex-patron de Equidia #BalanceTonPorc. »

La question de la marque Balance ton porc

Toutefois, l’une d’entre elles s’en empare plus que les autres. Héloïse Nahmani a déposé le 3 novembre 2017 la marque française Balance ton porc ! Le signe désigne une gamme très large (et hétéroclite) de produits et services, notamment des lessives, lubrifiants, produits de l’imprimerie, sacs, vêtements, jouets et des services d’organisation de conférences ou encore de location de noms de domaine. Une poule aux œufs d’or en somme. Sandra Muller initie une action via son avocat pour empêcher l’enregistrement d’une telle marque. Son but est de protéger l’esprit du mouvement.

En novembre dernier, Balance ton porc ! devient un dépôt de marque française. Héloïse Nahmani en est la titulaire. Interviewée par Franceinfo, elle explique alors qu’elle souhaite « éviter que ça tombe entre de mauvaises mains » et « faire un journal ou quelque chose qui fasse que Balance ton porc soit un peu plus voyant. » Ces propos déconcertent au regard des produits et services visés par la marque, sans doute choisis afin de « verrouiller » le nom au maximum.

La journaliste agit alors pour récupérer la marque Balance ton porc ! Elle souhaite en effet conserver cette expression. Son objectif est également de protéger l’esprit du mouvement. De plus, avec son association We Work Safe, elle combat les violences sexuelles, en défendant les femmes victimes. Il n’y a par conséquent aucune visée commerciale sous cette expression.

Suite aux démarches de Sandra Muller et des échanges concernant la cession de la marque, Héloïse Nahmani a retiré son dépôt, le 22 mars 2018. En outre, We Work Safe, l’association créée par Sandra Muller, annonçait avoir déposé une marque. Or, la marque « #balancetonporc » a bien été déposée, le 23 mars 2018, au nom de… Sandra Muller, et non de l’association. Elle considère que les administrateurs ne respectent pas l’esprit de Balance ton porc, car ils demandent que les agresseurs présumés ne soient pas nommés. Elle leur fait donc part de son désaccord.

Les noms de domaine balancetonporc.fr et balancetonporc.com posent aussi problème à Sandra Muller. Elle regrette en effet que ces sites diffusent des témoignages anonymes. Toutefois, avec un dépôt de marque postérieur au premier usage de ces noms de domaine, il est peu probable qu’elle ait un moyen d’action à l’encontre de ces sites.

La question de la protection des hashtags par le droit des marques se heurte à la nature même de ces expressions, qui sont faites pour être utilisées massivement sur Internet pour faire référence au même sujet. Rappelons que le dépôt d’une marque permet d’obtenir un monopole d’exploitation sur un nom ou sur une expression, et que son utilisation au quotidien dans le langage courant peut entraîner sa dégénérescence. Une telle marque est donc très difficile à défendre, ce qui retire une grande partie de son intérêt.

Procès en diffamation et décision de la cour d'appel

Sandra Muller gagne la bataille. Ce mercredi, la cour d'appel a rendu sa décision dans l'affaire « Balance ton porc » et infirmé le jugement rendu le 25 septembre 2019 par le tribunal de grande instance de Paris « en toutes ses dispositions ». Sandra Muller n'est donc pas condamnée pour diffamation.

Dans son arrêt, la cour explique que les propos tenus par la journaliste sont bien reconnus diffamatoires. « Ce qui est, en revanche, retenu sur cette diffamation, c'est que Sandra Muller n'a jamais imputé à Éric Brion un harcèlement sexuel au travail, mais simplement un comportement inapproprié », précise Me Nicolas Bénoit, l'avocat d'Éric Brion, au Point. Il ajoute : « La cour a interprété ce tweet à l'aune d'autres tweets antérieurs à l'appel à la délation et la définition de #BalanceTonPorc, ils ont dit que c'était diffamatoire parce que c'étaient des propos répréhensibles... mais pas pénalement répréhensibles. Il faut donc noter que la cour reconnaît qu'il n'y a jamais eu de harcèlement sexuel au travail, et c'est une chose importante. »

La cour reconnaît donc la « bonne foi » de Mme Muller, mais change toutefois de jurisprudence en la matière. « Elle considère que des éléments postérieurs, et notamment la communication postérieure d'Éric Brion, pouvaient être pris en compte par le tribunal, et c'est la première fois que ça arrive », note Me Bénoit. La cour considère en effet qu'Éric Brion a reconnu avoir eu un « comportement déplacé ».

« C'est évidemment un immense soulagement pour Sandra Muller et pour nous après un combat judiciaire long et difficile. La cour d'appel a estimé que la libération de la parole était un débat d'intérêt général et que madame Muller disposait d'une base factuelle suffisante. La justice s'est grandie aujourd'hui par cette décision courageuse et historique.

Les arguments de la défense et de l'accusation

Sur le réseau social, le hashtag devient viral. S'il ne nie pas avoir prononcé cette phrase graveleuse lors d'une soirée cannoise en 2012, l'ancien patron d'Equidia réfute vigoureusement les termes de « harcèlement sexuel » et entend prouver que les messages de Sandra Muller manquent d'un élément crucial : du contexte. Sandra Muller omet, par exemple, de dire qu'elle n'a jamais travaillé avec Éric Brion, sous sa hiérarchie ou même à ses côtés. Elle ne précise pas non plus qu'Éric Brion n'a jamais réitéré ses avances.

Dans son jugement rendu le 25 septembre 2019, le tribunal estimera d'ailleurs que la preuve de harcèlement sexuel tel que défini par le Code pénal n'est pas rapportée « en l'absence de répétition des faits et l'absence de chantage ».

Lors de l'audience, la défense de Sandra Muller a demandé que le terme de « harcèlement » soit compris dans son acception courante et non dans un sens juridique. « Quand le tribunal nous dit “Je vais prendre au pied de la lettre la teneur des tweets”, il applique une grille de lecture qui ne correspond pas à la réalité et au ressenti de Sandra Muller », a plaidé Me Francis Szpiner, conseil de Mme Muller, en référence au premier jugement.

En 2019, le tribunal avait en effet écrit : « Dans le contexte de l'affaire Weinstein et compte tenu de l'emploi des mots “toi aussi” et des termes très forts de “porc” et de “balance”, qui appellent à une dénonciation, ainsi que des faits criminels et délictuels reprochés au magnat du cinéma, le tweet de Sandra Muller ne peut être compris, contrairement à ce que soutient la défense, comme évoquant un harcèlement au sens commun et non juridique. »

« Dire qu'elle a dépassé les limites raisonnables de la liberté d'expression m'apparaît aussi être un abus. Sandra Muller a ressenti ces mots comme une agression. Elle rapporte ce qu'elle a vécu comme un harcèlement et elle est dans son droit », a également fait valoir Me Szpiner en janvier, ajoutant qu'en écrivant ses tweets, sa cliente n'avait pas consulté de Code pénal. « On a ici une femme victime, pas une juriste », a martelé l'avocat.

La défense d'Éric Brion, elle, s'est attachée au droit, fustigeant le fait que « la dictature de l'émotion ait primé le droit ». « Dès le départ, Mme Muller a voulu donner de la portée à son tweet, en accolant le hashtag #BalanceTonPorc à ses accusations. Sur les propos poursuivis, nous sommes bien en présence d'une diffamation publique. On nous dit aujourd'hui que Mme Muller n'avait pas de Code pénal entre les mains au moment de rédiger son tweet, qu'elle aurait pris le mot “harcèlement” au sens commun du terme.

Alors que les soutiens de Sandra Muller insistent sur le caractère essentiel de cette libération de la parole, Me Burguburu dit ceci à la cour : « On vous demande de distinguer le premier tweet [“Toi aussi raconte” en donnant le nom et les détails un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot, NDLR], qui est évidemment d'intérêt général du deuxième (“Tu as de gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit. Éric Brion, ex-patron de Equidia #BalanceTonBorc”), dont le but est d'humilier quelqu'un. » Et l'avocate de répéter : « On ne peut pas dire n'importe quoi sous couvert de défendre une cause, aussi noble soit-elle.

Les suites et l'impact du mouvement

En mars 2021, la Cour d'appel avait relaxé Sandra Muller . Une décision qui a été confirmée mercredi par la Cour de Cassation. L'instance juridique a donné raison à la Cour d'appel, estimant que les propos de Sandra Muller reposaient bien "sur une base factuelle suffisante" pour leur reconnaître "le bénéfice de la bonne foi".

Le hashtag qu'elle a créé le 13 octobre 2017 dans un tweet appelant les femmes à dénoncer leurs harceleurs a provoqué un raz-de-marée les mois qui ont suivi, en pleine affaire Weinstein. Sandra Muller affirme, dans "Ça fait du bien", sur Europe 1, qu'elle n'y était "pas préparé". "Il n'y avait pas de désir de faire le buzz parce que j’habite aux États-Unis. Si j'avais voulu faire le buzz, cela aurait plutôt été là-bas. Mais, la France m'a rattrapée et finalement ça a explosé un peu partout dans le monde", explique-t-elle, en affirmant avoir été surprise quand le Time magazine l'a sacrée "Personnalité de l'année".

"J'ai reçu pratiquement un million de réponses dans 85 pays. J'ai donné des interviews notamment en Colombie où vous ne bougez pas parce que c'est un peu dangereux pour les femmes", constate Sandra Mullet, qui dit être "d'origine asiatique et indienne". "L'avantage, c'est que je peux répondre à tout le monde en connaissance de cause.

Plus de deux ans après le début du mouvement, le phénomène "Balance ton porc" continue et Sandra Muller en subit encore les conséquences. "Contrairement à ce que l'on croit j'ai appris à avoir beaucoup de sang froid. J'étais un peu explosive il y a deux ans et j'ai appris à me calmer", admet-elle.

Depuis, la journaliste affirme recevoir toujours des messages, dont "énormément d'insultes".

Tous les jours, elle envoie des messages aux personnes qui la sollicitent. "Je ne me vois pas dire à quelqu'un qui vient me demander de l'aide que je ne veux pas lui répondre. Cela me prend 30% de ma journée à peu près mais je réponds très vite", raconte-t-elle. Mais Sandra Muller cherche aussi à se protéger. J'ai assez de problèmes comme ça", précise-t-elle.

Selon elle, l'effet "Balance ton porc" est loin de s'éteindre car les hommes sont aussi concernés par le harcèlement sexuel. "La prochaine étape viendra quand les hommes arriveront à parler de ce qui leur arrive.

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