#BalanceTonPorc: La libération de la parole face au harcèlement sexuel en France

En pleine affaire Harvey Weinstein, une vague de témoignages a déferlé sur les réseaux sociaux, en France, incitant les femmes à briser l'omerta et à raconter le harcèlement sexuel et même les agressions sexuelles dont elles ont été victimes dans leur travail.

L'émergence du hashtag #BalanceTonPorc

Vendredi, Sandra Muller, journaliste de La Lettre de l'audiovisuel et très active sur les réseaux sociaux, publie deux tweets appelant les femmes à dénoncer leurs agresseurs sexuels. Son initiative assortie d'un hashtag percutant - #BalanceTonPorc - devient virale.

L'appel d'une journaliste à dénoncer le harcèlement a été massivement relayé et commenté. #balancetonporc !! toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot.

Si Sandra Muller n'hésite pas à donner un nom en relatant des propos tenus par un ancien patron («Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit»), la plupart des internautes racontent leur expérience sans citer nommément leur agresseur présumé.

Elle-même décrit sur le réseau social ce qu'elle a subi d'un ancien responsable de chaîne : «Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit.»

Son appel a vite été entendu puisque, à leur tour, nombreuses sont celles à avoir pris la parole inondant la Toile de leurs témoignages.

L'ampleur du phénomène

Au moins 50.000 messages ont été publiés avec le hashtag depuis vendredi soir. Selon la plateforme d'analyse des réseaux sociaux Visibrain, qui a dressé un bilan ce lundi, 159 278 messages contenant le hashtag ont été publiés, et près de 59 000 internautes se sont mobilisés en trois jours.

Ce dimanche, à 13H00, le hashtag #balancetonporc cumulait 26.900 tweets. Figurant depuis minuit dans le top 10 des hashtags les plus populaires, il était passé numéro un à 6H00 du matin.

Sur le même thème "Qui manque de tenue dans la rue ?" : la campagne est lancée pour la Semaine de lutte contre le harcèlement de rue.

Diversité des témoignages

Les femmes racontent comment elles ont été harcelées dans leur travail par un photographe, un journaliste, un rédacteur en chef, un directeur... Les mots rapportés sont brutaux:

  • «Un red chef, grande radio, petit couloir, m'attrapant par la gorge: “un jour, je vais te baiser, que tu le veuilles ou non”».
  • «Grande radio, grand chef qui qq années avant avait tenté de me violer, me dit “J'ai pourtant toujours été sympa avec toi”».
  • «1er stage de journalisme à Paris, j'avais 18 ans. Le red chef m'embrasse de force.
  • Animateur-prod tele dont je refusais les avances "tu ne bosseras plus jamais petite pute!

Si beaucoup de femmes sont issues des médias et notamment de l'audiovisuel, de la politique et même de l'édition, tous les milieux sont concernées. Plus largement, ces femmes internautes décrivent le harcèlement sexuel à tous les niveaux d'une entreprise et quel que soit le secteur.

Parmi elles, la députée En Marche Aurore Bergé : "En déplacement, change les billets d'avion pour mieux me coller, m'appelle la nuit dans ma chambre" raconte la parlementaire.

Les récits de journalistes femmes sont nombreux. "Ça se voit que tu m'attires ? Comment ça tu dis non ? Si je m'accroche ta vie va devenir un enfer, réfléchis. Je suis ton N+4" écrit une journaliste politique de BFMTV.

Ou une autre : "Tu voudrais faire de la télé ? J'ai une garçonnière...". Exemple avec ce récit glaçant d'une aide à domicile envoyée par son entreprise chez un client harceleur. "Ce n'est pas parce que vous êtes vieux et seul que ça vous autorise à agresser une jeune fille" écrit-elle.

Dans l'incroyable litanie des témoignages chariés par #BalanceTonPorc, se mêlent propositions impensables et véritables agressions. «Repas de fin de chantier, trente personnes, trois hommes me saisissent, m'entravent et me caressent en chantant. Tout le monde rit», témoigne cette femme.

Une autre raconte : «J'avais 12 ans, il devait en avoir 60, et il a soulevé mon tee-shirt pour embrasser mon ventre. J'étais pétrifiée».

Réactions et conséquences

Giulia Foïs a témoigné dimanche sur France Culture de son expérience. Elle assure que «vu certaines réactions à [son] tweet depuis 24h, traitée de mytho, de lâche, [elle est] à deux doigts de le regretter.

Des personnalités connues du grand public ont également témoigné. Les messages de soutien à cette initiative ont rapidement afflué, notamment de la part de journalistes ou responsables dans les médias, tels Laurent Bazin, Olivier Bénis, Laurence Boccoloni, Mouloud Achour...

Certaines sont toutefois prises à partie par des internautes pour refuser de donner le nom de leur harceleur ou de leur agresseur. C'est le cas de l'actrice et chroniqueuse Julia Molkhou, qui explique ne pas vouloir participer à «cette chasse aux sorciers».

«Ne pas donner le nom de cet homme là reste [mon] droit» indique-t-elle.

Sandra Muller ne semble pas vouloir s'arrêter là. Ce dimanche matin, elle a tweeté à 09h45 un expéditif: «#BalanceTaTruie».

Le contexte de l'affaire Weinstein

Après le scandale Harvey Weinstein aux États-Unis et le choc des témoignages d'actrices victimes du producteur, d'autres femmes, anonymes ou pas, racontent le harcèlement sexuel qu'elles ont subi dans leur vie professionnelle.

Par ailleurs, l'affaire Weinstein continue de défrayer la chronique. Dernière accusation en date : celle de l'actrice britannique Lysette Anthony, qui raconte avoir été violée dans les années 80 par le producteur. Samedi, ce dernier a été exclu par l'Académie des arts et des sciences du cinéma, en charge notamment de la remise des Oscars.

Dans le JDD, ce dimanche, Isabelle Adjani s'indigne : «Je pense que cette histoire, l'impunité et le silence qui entourent encore le harcèlement sexuel, malgré l'évolution de la loi qui le réprime de plus en plus sévèrement, expriment profondément une inégalité radicale qui perdure entre les femmes et les hommes : celle du choix et de la maîtrise de sa sexualité.

Laissons savoir à ces messieurs les harceleurs que les actrices, tout comme les ouvrières, les agricultrices ou les ingénieures, les commerciales ou les institutrices, les mamans ou les putains, sont toutes libres de baiser, libres d'avorter.

Perspectives et actions futures

Sandra Muller, à l'origine du mouvement #BalanceTonPorc, souhaite lancer une fondation de soutien aux victimes de violences sexuelles. Les Assises nationales de la citoyenneté, organisées par Ouest-France, sont l’occasion de questionner ce qui fait aujourd’hui le vivre ensemble.

L’une des thématiques abordées sera celle du vivre ensemble entre femmes et hommes.

Les chiffres clés du harcèlement sexuel en France

En France, une femme sur cinq est officiellement victime de harcèlement sexuel au travail*, soit près de trois millions.

Il faut rappeler qu'aujourd'hui, neuf femmes sur dix ne portent pas plainte. Près de 94 % des femmes qui ont dénoncé leur patron ou leur employeur pour des faits de harcèlement ont perdu leur travail.

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