Éric Brion, le premier homme visé en France par le hashtag #BalanceTonPorc en 2017, pour des propos sexuels qu’il avait tenus à une journaliste, a été fait chevalier de l’ordre national du Mérite le 2 avril dernier. C’est la ministre du Travail et de l’Emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, qui a agrafé la croix bleue au revers de sa veste.
Contexte de la Décoration
L’ordre national du Mérite a été institué en 1963 par le général de Gaulle en remplacement d’une douzaine d’autres décorations. Il vise à distinguer les mérites, civils ou militaires, rendus à la Nation française. Il faut avoir exercé pendant au moins 10 ans dans la fonction publique ou dans le privé, et être proposé à un ministère par un préfet, une association, une personnalité politique ou un regroupement de 50 personnes. L’ordre national du Mérite est troisième dans la hiérarchie des décorations, derrière la médaille militaire et l’ordre national de la Légion d’honneur.
Mercredi, Astrid Panosyan-Bouvet, visiblement émue - « c’est ma première décoration », a-t-elle dit -, a chaleureusement accueilli Éric Brion en son ministère, puis, après avoir envisagé à quel revers l’agrafer, lui a remis sa médaille de chevalier, « au nom du président de la République et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés ».
L'Affaire #BalanceTonPorc
Aujourd’hui délégué général de l’ACCES, l’Association des éditeurs de chaînes de télévision conventionnées en France, qu’il a présidée de 2004 à 2008, Brion a été pris dans la déferlante MeToo, ce mouvement de libération de la parole des femmes face aux violences sexuelles et sexistes. Un tsunami par le nombre de femmes concernées, quel que soit leur âge, leur situation professionnelle, et qui a fait prendre conscience à certains de la montagne de réflexions, des gestes ou d’agressions, que pouvait subir une femme dans son quotidien, en France, au XXIe siècle.
Le 13 octobre 2017, Sandra Muller, directrice éditoriale de La Lettre de l’audiovisuel, poste un premier message sur X, appelant à « #balancetonporc !! toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends ». Les témoignages pleuvent. Quelques heures plus tard, s’appliquant l’appel à elle-même, elle rapporte les propos que lui avait tenus Éric Brion lors d’un événement professionnel en 2012, alors qu’il dirigeait la chaîne Equidia : « Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit ». Une tempête de reproches avait suivi.
En décembre de la même année, Éric Brion signait dans le Monde une tribune d’excuses publiques à la journaliste. Il confirmait avoir « tenu des propos déplacés envers Sandra Muller, lors d’un cocktail très arrosé très tard dans une soirée », qualifiant son comportement de « goujaterie ». Il regrettait « l’amalgame entre drague lourde et harcèlement sexuel au boulot » qui le mettait alors sur le même plan que le prédateur Harvey Weinstein.
Suites Judiciaires
Sandra Muller pensait l’affaire close, il l’attaque en diffamation en janvier 2018, estimant avoir perdu beaucoup, socialement comme dans son travail. Il gagne en première instance, mais perd en appel et en cassation, les juges estimant que l’initiative de la journaliste avait contribué à « un débat d’intérêt général sur la dénonciation de comportements à connotation sexuelle non consentis de certains hommes vis-à-vis des femmes ».
À Mediapart, qui a appelé le cabinet d’Astrid Panosyan-Bouvet pour justifier cette décoration, il a été répondu que la distinction avait été accordée en novembre 2013, quatre ans avant #Balancetonporc, sous l’égide de François Hollande et de sa ministre de la Culture Aurélie Filippetti. « Ce n’était pas un choix personnel de ma part car je ne connais pas Éric Brion », a assuré à Mediapart Aurélie Filippetti, pensant que le Mérite avait été demandé pour Éric Brion « comme cela se fait communément » à la fin d’un mandat. C’est en effet un décret du 14 novembre 2013 qui lui accorde le grade de chevalier, le plus bas dans la hiérarchie du Mérite, en tant que « directeur du pôle télévision et multimédia d’une société, 19 ans de service ».
« J’ai attendu douze ans pour me la faire remettre, et rassembler mes amis et ma famille », a répondu Éric Brion au site d’investigation, s’interrogeant dans sa réponse sur la nécessité de consacrer un article au sujet. Il a été fait chevalier de l’ordre national du Mérite. «Un moment d’une immense émotion», écrit l’ancien directeur de la chaîne Equidia, félicité par des personnalités de la télévision.
Réactions et Justifications
Interrogé par le média d’investigation, le cabinet de la ministre du Travail met en avant l’«engagement professionnel» d’Eric Brion au sein de différentes chaînes de télévision, notamment «comme dirigeant chez Equidia», mais aussi son «engagement plus large pour la filière comme fondateur de l’Association des chaînes du câble et du satellite [devenue l’Association des chaînes conventionnées éditrices de services (Acces), ndlr], qu’il a présidé de 2004 à 2008». Les propos qu’il a tenus à l’égard de Sandra Muller ont-ils, à un moment, dissuadé la ministre de lui remettre l’ordre national du Mérite ? «Non», répond simplement son cabinet.
Cette décoration aurait été décidée en novembre 2013, «par le président de la République François Hollande, sur proposition de la ministre de la Culture Aurélie Filippetti», affirme le cabinet de la ministre. Soit quatre ans avant que ne soient révélée l’affaire. Ce devait être, comme cela se fait communément, une forme de gratification symbolique à la fin d’un mandat. En tout cas, ce n’était pas un choix personnel de ma part, car je ne connais pas Eric Brion.» De son côté, Brion élude : «J’ai attendu douze ans pour me la faire remettre. Et rassembler mes amis et ma famille. Est-ce que cela mérite un article ? Pas sûr.»
Impact de #BalanceTonPorc
Eric Brion est a été le premier visé par le hashtag #BalanceTonPorc, en octobre 2017, en pleine onde de choc #MeToo. Quelques heures plus tôt, la journaliste avait lancé le mouvement en appelant les internautes à raconter leur agression ou harcèlement sexuel. En un an, près d’un million de tweets étaient publiés sous le hashtag #BalanceTonPorc et 18 millions sur #MeToo, a comptabilisé la cour d’appel de Paris en 2021.
Eric Brion a reconnu avoir prononcé ces propos, concédant avoir été «lourdingue», «couillon» et avoir «mal agi», démentant toutefois tout «harcèlement sexuel», faisant valoir qu’il n’avait pas réitéré ses paroles et qu’il s’était excusé. L’année suivante, la Cour de cassation, plus haute juridiction de France, a débouté définitivement l’ex-patron de la chaîne Equidia, rappelle Mediapart.
Sollicitée jeudi au sujet de la décoration d’Eric Brion, la journaliste, qui vit à New York, s’est dite «choquée». L'avocate a salué une décision « courageuse et historique ». J’ai porté un sujet d’intérêt général sur une base factuelle suffisante pour reconnaître ma bonne foi. Cette décision est pour moi un soulagement et utile à la cause des femmes. C’est un jour historique pour la cause des femmes, des victimes et pour la France.
Genèse du Hashtag
Tout commence par deux tweets publiés à quelques minutes d'intervalle le 13 octobre 2017. Sandra Muller invite d'abord les internautes à dénoncer les harceleurs sur les réseaux sociaux : « #balancetonporc !! Toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlent (sic) sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends ». Quelques minutes plus tard, un second message accuse nommément et cite des mots très crus qu'elle attribue à Eric Brion : « Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit.
Mais Eric Brion riposte sur le plan judiciaire et porte plainte pour diffamation. Dans un entretien donné au Point en septembre 2019, il raconte avoir perdu son travail et s'être séparé de sa compagne au lendemain de la publication de ce tweet. Et il donne sa version des faits : « C'est faux, je n'ai jamais tenu ces propos tels qu'ils ont été rapportés. En plus, j'ai été accusé, au-delà des mots qui m'ont été attribués, de harcèlement sexuel à caractère professionnel par une personne avec laquelle je n'ai jamais travaillé. Cette discussion a eu lieu une fois, un soir ».
Mais ce 31 mars, le procès en appel a débouté la plainte d'Eric Brion. On imagine que les mots du hashtag ont été inspirés par la tribune d'Antoine de Caunes à la radio la semaine dernière, qui dénonçait "ce gros porc puant d'Harvey Weinstein". Résultat ? Ainsi, les dénonciations d'expériences malheureuses ont fusé et fusent toujours sur les réseaux sociaux. Les femmes n'ont pas manqué de répondre à l'appel de Sandra Muller et le hashtag #balancetonporc aurait été utilisé plus de 50 000 fois. Un véritable effet boule de neige. Les témoignages en ont surpris plus d'un, les hommes comme les femmes, mais pas de la même manière.
#balancetonporc a sans doute permis aux hommes de constater qu'il y avait un réel problème dans notre société, le tout illustré avec des faits concrets, de vraies histoires du quotidien. Si nombreuses personnalités ont participé au mouvement, Sandra Muller a été confortée dans l'idée que toutes les femmes et tous les secteurs étaient concernés. Généralement, les femmes qui osent parler ne sont pas soutenues, ou réduites au silence car il s'agit souvent de risquer de perdre son travail ou sa réputation.
Interrogée par plusieurs de nos confrères, Sandra Muller a confié que tout est parti d'une blague. Le hashtag lui serait venu d'un coup, elle le trouvait parlant. "Avec un ton humoristique, on peut faire passer certains messages", disait-elle à Europe 1. La journaliste a bien évidemment été motivée dans la création de ce hashtag par le fait qu'elle aussi, a connu une situation de harcèlement sexuel au travail : "Un dirigeant français de chaîne de télévision : '"Tu as de gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit (...) On en a parlé, il a continué l'année dernière et a dit que j'étais en colère et rancunière. Je vis aux États-Unis, à New York, et les lois contre le harcèlement y sont assez strictes. On ne plaisante pas avec ça. Et de poursuivre : "Si les actrices d'Hollywood sont capables de parler, alors il est temps qu'on crève l’abcès aussi en France".
À la radio, elle déclarait : "Contrairement à ce qu'on croit, ce n'est pas parce que les tweets sont anonymes que les gens ne sont pas intelligents et n'ont pas un avis. Il y a très peu de tweets orduriers, violents, chacun donne son opinion". En revanche, elle se défend de toute délation. Peu de noms ont filtré, les femmes ont juste raconté leur histoire sans dévoiler quelconque identité. La journaliste a affirmé au Parisien que parler est la première étape, que ce n'est que le début : "Je n'appelle pas à la délation, mais à la dénonciation (...) Bien sûr qu'on peut porter plainte devant la justice et qu'il faut porter plainte. Mais nous savons bien que c'est très souvent extrêmement difficile, voire impossible pour des victimes qui ne peuvent se permettre de perdre un emploi dans le cas du harcèlement au travail".
Actuellement, le hashtag est encore utilisé. Le 5 octobre 2017, les journalistes Jodi Kantor et Megan Twohey révélaient dans le New York Times, le plus grand scandale sexuel qu’ait connu Hollywood : l’affaire Weinstein. Depuis, un grand nombre de personnalités ont été accusées de harcèlement voire d’agression sexuelle. En France, c’est à travers le hashtag #BalanceTonPorc, créé par la journaliste Sandra Muller, que les langues se délient.
Tableau Récapitulatif des Événements Clés
Date | Événement |
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2012 | Propos d'Éric Brion à Sandra Muller |
14 novembre 2013 | Décret accordant à Éric Brion le grade de chevalier de l'ordre national du Mérite |
13 octobre 2017 | Sandra Muller lance le hashtag #BalanceTonPorc |
Décembre 2017 | Éric Brion publie des excuses publiques |
Janvier 2018 | Éric Brion attaque Sandra Muller en diffamation |
2 avril | Remise de la décoration à Éric Brion par Astrid Panosyan-Bouvet |
TAG: #Porc