Alimentation Pour Tous : Définition et Enjeux

Tandis que s’élèvent de plus en plus de voix citoyennes et institutionnelles appelant à une transformation de la façon dont on produit et consomme la nourriture, la pandémie et la crise économique qu’elle engendre aggravent la situation de milliers de foyers, dont les finances ne permettent pas d’accéder à une alimentation saine et de qualité, voire à une alimentation en quantité suffisante.

En 2018, 5,5 millions de personnes avaient recours à l’aide alimentaire (chèques alimentaires, paniers mis à disposition dans les centres d’action sociale, épiceries sociales et solidaires…) pour se nourrir, et selon les organisations qui la mettent en œuvre, ce chiffre a bondi en 2020.

Il est pourtant crucial que le mouvement de transition vers une alimentation plus durable et plus saine ne mette pas de côté la frange la plus précaire de la population, et permette à tous l’accès à une nourriture de qualité et en quantité suffisante. Il s’agit d’un enjeu majeur des politiques publiques, à la fois sur les plans socio-économique, sanitaire, agricole et environnemental.

Qu'est-ce qu'une alimentation de qualité ?

Par « alimentation de qualité », le Labo de l’ESS entend une alimentation équitable, saine et gustative, porteuse de lien social et respectueuse de l’environnement.

L'Aide Alimentaire : Un Levier Essentiel

Le système de l’aide alimentaire, plus qu’une réponse conjoncturelle, est aujourd’hui le levier majeur de lutte contre la précarité alimentaire. Si l’action des structures nationales (Banques alimentaires, Les Restos du Cœur, Le Secours Populaire, La Croix-Rouge, …) est essentielle à des millions de Français, les études menées auprès de bénéficiaires soulèvent des insatisfactions concernant la qualité gustative, nutritionnelle et la fraîcheur des produits distribués.

Selon le Labo de l’ESS, plutôt qu’y apporter « une réponse palliative à contretemps », lutter contre la précarité alimentaire suppose d’adopter une approche systémique faisant une place centrale à « l’enjeu d’un accès universel à une alimentation de qualité ».

Initiatives et Solutions de l'Économie Sociale et Solidaire (ESS)

Enjeu de justice sociale autant que de santé publique, l’accès à une alimentation de qualité est pris en main par les pouvoirs publics, via la mesure “Paniers Fraîcheurs” à laquelle seront alloués 30 millions d’euros dans le cadre du Plan France Relance. Certaines structures de l’ESS interviennent directement auprès des grands acteurs de l’aide alimentaire, pour faciliter leur approvisionnement en produits de qualité.

Le Réseau Cocagne, qui regroupe plus de 110 jardins d’insertion en France a mis en place le programme Paniers Solidaires (dans le cadre du Programme National pour l’Alimentation), qui permet aux familles à faibles revenus d’accéder aux fruits et légumes bios produits par les Jardins de Cocagne à un prix réduit (environ 30% du prix de vente classique).

Parmi les réponses apportées par l’Economie Sociale et Solidaire, on peut citer l’exemple du réseau Les Petites Cantines, qui lutte contre la précarité alimentaire et sociale en installant des cantines de quartier ouvertes au public, où l’on peut participer à des ateliers de cuisine participative ou prendre un repas, dont le prix est laissé au libre choix du consommateur.

On peut aussi citer le Réseau VRAC (Vers un Réseau d’Achat en Commun) qui constitue des groupements d’achats dans les quartiers prioritaires pour favoriser l’accès du plus grand nombre à des produits de qualité issus de l’agriculture biologique/paysanne/équitable. De manière similaire, des épiceries solidaires, dont certaines sont regroupées au sein du réseau ANDES, se sont développées sur tout le territoire. La Pioche, épicerie solidaire associative à Haubourdin dans la banlieue Lilloise, vend ses produits à 30% en moyenne de leur prix en magasin.

La Sécurité Sociale de l'Alimentation : Une Proposition Concrète

L’une des propositions concrètes les plus médiatiques est celle d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation. Elle consisterait à la mise en place de caisses démocratiques locales en charge de « conventionner » certains produits alimentaires, avec un budget spécifique alloué à chaque citoyen pour y accéder.

D’autre part, parce qu’il n’existe pas une voie unique en matière d’alimentation de qualité, celle-ci ne se réduisant pas à des vertus nutritionnelles et environnementales mais impliquant la liberté de choix des individus et le rôle social et identitaire de l’alimentation. En cela, défendre dans les politiques publiques l’accès à une alimentation de qualité suppose la consultation préalable de l’ensemble des acteurs et des citoyens sur la manière dont ils la définissent pour eux-mêmes, et leur implication dans sa mise en place.

Les Défis du Système Alimentaire Français

Malgré une forme de mondialisation de l’alimentation, la France préserve son régime alimentaire propre avec sa grande diversité, liée aux spécificités régionales et culturelles, et un modèle de « repas à la française » qui perdure. En termes de santé publique, la France est relativement moins confrontée au surpoids et à l’obésité que la plupart de ses voisins européens (avec en 2019 45 % de personnes en surcharge pondérale au lieu de 51% en moyenne dans l’UE 27, au sein de laquelle la France présente le second taux le plus faible). Mais elle n’échappe pas aux grandes tendances mondiales, avec une alimentation de plus en plus grasse, sucrée et salée, et une part croissante des aliments transformés. À ces tendances se conjugue une consommation d’alcool toujours trop élevée.

Le système alimentaire français doit donc encore relever de grands défis en matière de santé publique, en lien avec la qualité nutritionnelle mais aussi l’alcool. Les modes de production agricole font encore beaucoup appel aux intrants chimiques (engrais et pesticides), ce qui impacte tout à la fois la santé et l’environnement. On constate également une hausse de la précarité alimentaire, avec un doublement du nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire entre 2009 et 2018, suivi d’une hausse d’environ 10 % entre 2019 et 2020.

Bien que notre industrie agroalimentaire reste importante, notre autonomie alimentaire se dégrade, avec certaines filières déficitaires, comme les fruits et légumes. Hors excédents liés aux vins et céréales, la France connaît désormais un déficit de sa balance commerciale et importe environ 20 % de son alimentation.

Stratégies pour une Alimentation Saine et Durable pour Tous

Les principaux instruments permettant d’accompagner les consommateurs vers une alimentation plus saine et plus durable pour tous sont déjà bien identifiés :

  • l’éducation à l’alimentation tout au long de la vie au plus près du terrain, assortie d’outils de partage et d’évaluation des pratiques ;
  • des dispositifs d’information nutritionnelle et environnementale comme le Nutriscore ou l’affichage environnemental ;
  • l’encadrement de la publicité ;
  • des actions auprès de l’industrie pour améliorer la qualité nutritionnelle des aliments ;
  • les dispositifs d’aide alimentaire ;
  • la fiscalité comportementale.

Parallèlement, il est possible de faire évoluer la production agricole nationale pour contribuer à l’alimentation saine et durable des Français, d’accélérer l’évolution de la politique agricole commune pour qu’elle devienne plus favorable à l’environnement et à l’emploi, de renforcer les mesures de soutien à la transition agroécologique, ainsi que les initiatives des projets alimentaires territoriaux.

Proposer un meilleur accompagnement du consommateur est nécessaire. Cela passe d’abord par l’éducation à l’alimentation, tout au long de la vie et par l'amélioration de l’information nutritionnelle et environnementale auprès du consommateur, notamment via l’étiquetage.

Il faut ainsi notamment évaluer la faisabilité et l’intérêt de la proposition discutée au Parlement européen de moduler la TVA sur les aliments en fonction des bénéfices nutritionnels et de leur empreinte carbone. Renforcer les moyens alloués à l’aide alimentaire et sa qualité.

Les actions concourant à la politique de l’alimentation sous l’angle de la nutrition doivent mieux tenir compte des acquis de l’expérience acquise en France et à l’étranger, et être conçues de manière à être évaluables, pour pouvoir en détecter les limites et y remédier.

Comme l’a prévu le législateur dans la loi dite « climat et résilience », les différents plans structurant la politique de l’alimentation doivent être coordonnés dans une stratégie de transition alimentaire de long-terme, prenant en compte les éléments de prospective en matière agricole, économique, environnementale, sanitaire, sociale et sociétale et proposant un cap clair de transition de notre système alimentaire vers la durabilité.

Les Objectifs de Développement Durable (ODD) et l'Alimentation

Le deuxième objectif vise à éradiquer la faim et la malnutrition en garantissant l’accès à une alimentation sûre, nutritive et suffisante pour tous. Il appelle à la mise en place de systèmes de production alimentaire et de pratiques agricoles durables et résilientes.

L’ODD2 ne pourra être atteint que si les cibles de plusieurs autres ODD sont également atteintes. Les indicateurs de suivi mondial des 17 Objectifs de développement durable ne conviennent pas nécessairement à la situation et enjeux de chaque pays. Pour y répondre, la France met en place des actions variées aux niveaux national et international.

Engagement de l'État et Initiatives Nationales

L’État s’engage par de nombreux plans et programmes en faveur d’une agriculture et d’une alimentation plus durables en France : les politiques menées sont d’ordre incitatif, en lien avec les obligations législatives et règlementaires.

Dans le cadre de la loi du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs (dite loi Egalim 2), complétée par la loi Climat et Résilience, depuis le 1er janvier 2022, les repas servis en restauration collective dans tous les établissements chargés d’une mission de service public doivent compter au moins 50 % de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % de produits issus de l’agriculture biologique.

La Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat est le cadre dans lequel est élaborée, en France, la politique publique de l’alimentation et de la nutrition. Cette stratégie sera publiée en 2024 et définira les orientations vers une alimentation saine et durable pour tous.

Le Programme national pour l’alimentation (PNA, 2016, 2019-2023) : l’essence de ce programme est de s’appuyer sur un partenariat avec les collectivités territoriales, le monde associatif, les organismes institutionnels et les acteurs privés pour encourager une alimentation plus durable. Pour répondre à ces enjeux, le ministère en charge de l’Agriculture cofinance des initiatives identifiées lors d’appels à projets annuels.

La transition agroécologique, initiée au niveau national par l’adoption d’un projet agroécologique en 2014, est confortée par les nouvelles directives de la politique agricole commune (PAC) qui fixent un cap pour la France en la matière. Elle réoriente l’agriculture dans l’objectif de combiner performances économique, sanitaire, environnementale et sociale.

Rôle des Acteurs Non-É́tatiques et de la Société Civile

Au niveau local, les projets alimentaires territoriaux se développent en réunissant les élus, les professionnels représentant l’ensemble de la chaîne alimentaire, la société civile. Ils permettent, dans un cadre concerté, de développer des actions concrètes répondant aux enjeux économiques, environnementaux, sociaux et de santé liés à l’alimentation d’un territoire.

Au niveau national, Action contre la Faim participe à l’élaboration des politiques publiques en menant des actions de plaidoyer pour un accès à l’alimentation durable pour toutes et tous. Elle porte ses propositions auprès de tous les acteurs concernés dans le cadre d’alliances avec d’autres acteurs et de manière directe.

A l’international, de nombreuses parties-prenantes non-étatiques contribuent à la lutte contre les famines et la malnutrition et au développement de solutions agricoles et alimentaires durables.

En 2022, Action contre la Faim a déployé 12 enquêtes et accompagné ou appuyé plus ponctuellement les équipes de 27 dispositifs d’aide en Ile de France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Le réseau Civam porte une position forte en faveur du droit à l’alimentation et d’une véritable démocratie alimentaire, qui mette entre les mains du citoyen éclairé et non du marché le pouvoir de décider ce que l’on veut manger et comment on veut le produire. Cela nous pousse à soutenir le projet de sécurité sociale de l’alimentation.

Fonds d'Aide Alimentaire Durable

La mise en place d’un fonds d’aide alimentaire durable, ayant pour but de renforcer la qualité de l’aide alimentaire, a été annoncée le 3 novembre 2022 par la Première ministre. Les modalités de déploiement de ce fonds ont été présentées le 27 février 2023 par le ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées au travers du programme « Mieux manger pour tous ».

Ces moyens nouveaux s’inscrivent dans la suite des travaux de la convention citoyenne pour le climat et de la loi EGAlim, avec les objectifs suivants :

  • améliorer la qualité nutritionnelle et gustative de l’approvisionnement en denrées de l’aide alimentaire ;
  • réduire l’impact environnemental du système d’aide alimentaire ;
  • permettre le renforcement et l’évolution des dispositifs locaux de lutte contre la précarité alimentaire ;
  • soutenir la participation et l’accompagnement des personnes en situation de précarité alimentaire dans l’évolution des pratiques alimentaires.

Ce programme pluriannuel est inscrit dans le Pacte des solidarités 2023 - 2027. Doté d’un montant de 60 millions d’euros en 2023, 70 millions d'euros en 2024 et 80 millions d'euros en 2025, il a vocation encore à croître pendant la durée du Pacte pour atteindre 100 millions d'euros en 2027. Il se décline en deux volets : national et local.

Un volet national a pour objectif d’accroître l’offre de l’aide alimentaire en fruits, légumes, légumineuses et produits sous labels de qualité. Il vise à faciliter l’accès des personnes en situation de précarité alimentaire à des denrées plus saines et plus durables, en respectant la saisonnalité des produits frais et en privilégiant une politique en matière d’achat qui favorise les approvisionnements de proximité et locaux.

Un volet local a pour objectif de développer des actions de lutte contre la précarité alimentaire autour de quatre axes : le développement d’alliances locales de solidarité alimentaire « producteurs-associations-collectivité » ; le soutien d’actions de lutte contre la précarité alimentaire au sein des projets alimentaires territoriaux ; le soutien d’expérimentations portant la transformation de l’organisation de la lutte contre la précarité alimentaire dont les expérimentations en matière de transfert monétaire tels que des chèques alimentaires durables ; l’amélioration de la couverture des zones blanches de l’aide alimentaire.

En 2024, ce sont près de 700 projets qui sont soutenus au niveau local pour un, deux ou trois ans.

Tableau : Indicateurs Clés de l'Alimentation en France

Indicateur Données
Personnes en surcharge pondérale (2019) 45%
Exploitations engagées en bio (2022) Plus de 60 000
Surfaces bio (2021) 2,87 millions d’hectares
Projets alimentaires territoriaux labellisés (1er avril 2023) 428
Personnes en situation d’obésité 8,5 millions

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