S'alimenter est une préoccupation essentielle de l'existence humaine. Cependant, la relation entre l'être humain et la nourriture dépasse largement le simple besoin physiologique de s'alimenter. La plupart des religions organisent le rapport à l'alimentation, déterminent la valeur symbolique des aliments et définissent l'importance symbolique des différentes manières de préparer la nourriture.
Cet article interroge, dans une perspective interdisciplinaire, la portée religieuse du rapport à la nourriture et décline la dimension sacrée des repas et de l'alimentation. Par des études de type diachronique et synchronique, il met en valeur des questions de fond à l'œuvre de l'Antiquité à nos jours et fait dialoguer les diverses méthodologies à l’œuvre dans l’étude du fait religieux (anthropologie, histoire, philosophie de la religion, sociologie, science des religions, théologie).
Les Règles et Interdits Alimentaires dans les Religions
Toutes les religions édictent des règles et des interdits alimentaires, comme le remarque Nadine Weibel, enseignante-chercheure associée au laboratoire Droit, religion, entreprise et société (Dres) et anthropologue du religieux. Ils sont présents dans toutes les traditions religieuses, pas seulement les monothéismes, et sont un bon indicateur des terreaux culturels sur lesquels se sont bâties les religions.
Ainsi, l’interdit du porc, important dans les religions sémitiques, existait déjà dans l’Égypte ancienne. Le judaïsme l’a intégré à son compte, comme cela peut s’observer pour d’autres rituels. Si cet interdit n’est pas repris par le christianisme, il l’est à nouveau par l’islam. Est-ce une manière, pour la nouvelle religion, de se démarquer de la précédente ?
Le tabou majeur, communément partagé, est celui de la viande humaine. Arrivent ensuite la viande de certains animaux (porc, ovins, animaux rampants ou carnassiers, etc.) voire celle de tous les animaux (courants de l’hindouisme, du bouddhisme, jaïnisme) ainsi que les boissons alcoolisées. Le christianisme se distingue sur ce point puisque le vin y est en quelque sorte « sacralisé ». L’exclusion d’autres aliments, œufs, produits laitiers, champignons, ail, oignon, etc. bien que plus rare, apparaît parfois.
Des règles quant à la mise à mort ou la préparation des repas interviennent aussi : abattage rituel (judaïsme, islam), interdiction de tuer soi-même l’animal (bouddhisme). Les interdits alimentaires sont liés à la vision de la pureté et de l’impureté : tout ce qui est comestible n’est pas consommable comme tout ce qui est propre n’est pas pur.
Ces prescriptions fluctuent en fonction de l’époque, du lieu, des catégories sociales et du genre. Notons que le judaïsme tout en interdisant pas mal d’aliments invite à des banquets festifs, alors que le christianisme peu prohibitif, prône la frugalité.
Le Bien-Être Animal et les Choix Alimentaires
Le bien-être animal est souvent invoqué aujourd’hui, à l’intérieur et à l’extérieur des religions, pour justifier le choix du végétarisme (refus de toute nourriture carnée) ou du véganisme (refus, en plus, des sous-produits animaux).
La Commensalité et le Jeûne
La commensalité est l’art de manger avec les autres, de partager sa table. L’idée qui voudrait que la commensalité crée du lien social est très répandue parmi nous, mais elle n’est pas universelle. Dans l’hindouisme, les brahmanes pratiquants ne peuvent s’attabler avec des personnes n’appartenant pas à leur caste, ni consommer un repas préparé par celles-ci.
Le jeûne est une pratique transversale dans les religions même s’il prend des formes différentes. Son objectif essentiel est de purifier corps et esprit. C’est un rituel ancien, qui existait dans les civilisations de l’antiquité et était pratiqué avant certaines cérémonies initiatiques.
Le jeûne peut être partiel ou total. La première forme est plus répandue et correspond à l’éviction de certains aliments à des périodes précises. C’est le cas des carêmes orthodoxe et catholique. L’islam ordonne un jeûne diurne pendant le mois de Ramadan. On retrouve le jeûne total dans le judaïsme sur des périodes courtes ainsi que dans le monde asiatique avant certaines fêtes ou lors de rituels purificatoires.
En marge des religions, le jeûne a acquis aujourd’hui un regain d’intérêt. Si cette notion de purification empruntée au religieux, y reste présente, il se développe autour de motivations liées au bien-être et à la santé surtout depuis que des travaux universitaires vont dans ce sens.
La Laïcité et les Demandes Alimentaires à l'Hôpital
Le principe de laïcité impose une égalité de prise en soins des personnes, quelles que soient leurs croyances religieuses. Pour autant, ne pas accéder à une demande alimentaire en lien avec des motifs religieux ne peut être juridiquement regardé comme une atteinte aux droits.
Sur ce point, il importe de bien comprendre ce qui constitue en droit une discrimination. Il s’agit du fait objectif de ne pas traiter intentionnellement une personne avec le même égard. Le Code pénal vient lister les motifs de distinction, et pointe le motif religieux. Mais ne pas pouvoir accueillir favorablement la demande d’alternative alimentaire d’un patient ne relève pas d’une intention de le traiter différemment du fait de ses convictions religieuses, mais bien d’une impossibilité technique ou financière.
L'Observatoire de la laïcité relève cependant que « les établissements de santé s’efforcent dans la mesure du possible de trouver des alternatives à la nourriture que ne consommeraient pas certains patients » ; « Lors de l’arrivée dans un hôpital public, lorsque l’état du patient nécessite qu’il soit hospitalisé, l’équipe médicale lui demande, ou à ses tuteurs légaux s’il est mineur, quelles sont ses habitudes alimentaires, s’il a des intolérances à certains aliments ou des aversions particulières. Il doit être tenu compte, dans la mesure du possible, des différents types de régime alimentaire ».
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