Poulet rôti du dimanche midi, steak haché du mardi soir : manger de la viande nuit-il gravement à notre santé ? Faut-il s'en passer, comme le préconisent végétariens et végétaliens ? Pour les nutritionnistes interrogés par Le Figaro santé, la réponse est non, mais tout est une question de mesure.
La Consommation de Viande en France : Tendances et Motivations
Manger végétarien, c'est tendance ! Le « sans viande » a la cote auprès de Français de plus en plus nombreux à réduire leur consommation de produits carnés, sans toutefois la supprimer totalement. Une étude, réalisée à la fin 2020 par l'institut Ifop pour le compte de France AgriMer chiffre à 24% le nombre de Français qui limitent leurs apports à des degrés divers : 7% d'entre eux mangent de la viande, mais en moindre quantité, tous les jours ; 12% en consomment encore plusieurs fois par semaine et 5% sont passés à moins d'une fois par semaine.
Le paysage est contrasté mais la tendance de fond est très claire. Un exemple : selon les données du ministère de l'Agriculture, la consommation de viande de bœuf en France est passée en moyenne de 32 kilos par an et par habitant au début des années 1980 à 24 kg en 2018. En grandes surfaces, le recul des ventes est de 2 à 3% par an depuis plus de dix ans, malgré un rebond temporaire en 2020.
Pour cette viande rouge emblématique d'un certain art culinaire à la française - bifteck frites et bourguignon mijoté - la hausse des prix a clairement eu un effet, notamment pour les 8% de la population en proie à des difficultés financières. Mais il y a bien d'autres motivations à cette baisse de l'attractivité de la « barbaque » célébrée par Boris Vian dans Les Joyeux bouchers (1955).
Les conditions d'élevage et d'abattage des animaux et l'empreinte environnementale de la viande avec ses fortes émissions de gaz à effet de serre sont souvent cités, en particulier par les jeunes générations. Plus généralement, une certaine méfiance envers les produits carnés a émergée en France après les scandales des lasagnes au cheval et les images peu ragoûtantes du « minerai » de viande de l'industrie agroalimentaire.
Selon l'étude Ifop, 5% de la population consommerait moins de viande parce que contrainte par des problèmes médicaux.
Viande et Santé : Quels sont les Risques ?
Maladies cardiovasculaires, cancers, obésité… jusqu'aux pathologies neurodégénératives : la consommation de viande rouge serait en cause dans une longue liste de pathologies délétères ; elle nuirait à ceux qui sont déjà malades et menacerait la santé des bien-portants. C'est du moins ce que l'on peut lire assez souvent dans la presse et sur les réseaux sociaux. Mais qu'en est-il vraiment ?
« Le seul problème, c'est l'excès. » Du côté du positif, l'excellente qualité des protéines animales. Ces nutriments sont indispensables à l'organisme, construisent les muscles et les os, interviennent dans l'immunité, le système sanguin, la digestion… Les protéines provenant de la viande (mais aussi du lait, des œufs et du poisson) sont plus riches et mieux équilibrées en acides aminés indispensables que celle d'origine végétale et elles se digèrent mieux.
La teneur dépend bien évidemment de la viande et du morceau choisi, la fourchette se situant entre 17 et 23 g aux 100 g. On trouve aussi dans la viande des vitamines du groupe B et notamment l'indispensable B12. Aussi appelée cobalamine, elle joue un rôle central dans le transport de l'oxygène dans le sang, pour l'immunité et le système nerveux. Autres éléments cruciaux pour la santé, les oligo-éléments : fer, zinc et sélenium.
On les trouve aussi dans les végétaux mais le fer dit héminique de la viande et du poisson est mieux assimilé. « Le vrai sujet pour ceux qui ne mangent pas de viande, ce n'est pas les protéines, ce sont les apports en fer et en zinc, explique le Pr François Mariotti, chercheur en nutrition et professeur à AgroParisTech. Une alimentation végétale peut être riche en fer non héminique mais cet élément n'est pas aussi bien absorbé par l'organisme. De plus, l'assimilation du fer peut être freinée par l'ingestion des phytates, des molécules présentes dans les céréales complètes et les légumineuses. Certains individus avec des régimes très restrictifs, sans viande, peuvent être à risque de carence (d'anémie dite ferriprive) ».
Protéinées, les viandes sont aussi une source importante de matières grasses. Là encore, rien de rédhibitoire : les lipides sont nécessaires à la vie et notamment au cerveau qui fonctionne aux acides gras. Encore faut-il choisir les bonnes sources. À cet effet, un excès de viande rouge pose problème en raison de la teneur en lipides, notamment en acides gras saturés : en moyenne 4,16 g aux 100 g ; moitié moins pour la viande blanche (2,15 g), variable selon les viandes et les morceaux.
Or, leur niveau élevé dans le sang constitue un facteur de risque pour l'infarctus et l'AVC. Au-delà des débats d'experts, le consensus est aujourd'hui à la limitation des graisses saturées présentes dans la viande rouge et la charcuterie. Les recommandations nutritionnelles de l'OMS et de Santé publique France sont très claires : 500 g de viande rouge (de 3 à 4 petits steaks) et 150 g de charcuterie (3 tranches de jambon blanc ou quatre chipolatas) par semaine au maximum.
Selon l'étude dite Esteban (2014-2016), un tiers des Français consommerait trop de viande rouge (41% des hommes et 24% des femmes) et deux tiers, trop de charcuterie (70% des hommes et 57% des femmes). Trop grasse, la viande, et en trop grande quantité, et voilà l'obésité et les troubles métaboliques qui menacent.
« Aux États-Unis, certains mangeurs avalent 400 g par jour, c'est énorme ! Sans aller à cet extrême, on en consomme aussi un peu trop chez nous. Il faut changer nos habitudes et préférer le rosbif à l'entrecôte et le filet mignon à la côte de porc. Et viser les viandes de qualité. Dans l'élevage industriel, les animaux ne bougent pas, ils sont nourris aux tourteaux de soja et non pas à l'herbe, ils sont forcément plus gras », remarque le médecin nutritionniste Édouard Pélissier, auteur de Végétarien, végan, ou flexitarien ? Ce qui est bon pour la santé, chez Odile Jacob.
Le Cancer et la Consommation de Viande Rouge
C'est l'autre gros souci posé par une consommation élevée de viande rouge et de charcuterie : l'augmentation du risque de développer des cancers, en premier lieu le colorectal, mais aussi celui du pancréas, du foie, de l'œsophage et de la prostate. Pour le premier, qui fait des ravages en France avec plus de 40 000 cas chaque année et 18 000 décès, les mécanismes en jeu sont en passe d'être élucidés.
Publiée en 2021 dans l'influente revue Cancer Discovery, une étude de chercheurs de l'école de médecine de Harvard a dévoilé l'existence d'une mutation de l'ADN spécifiquement liée à une forte consommation de viande rouge. En cause, l'action de composés chimiques liés au fer héminique ou aux sels nitrés de la charcuterie.
« D'autres facteurs peuvent augmenter le risque de cancer : le mode de cuisson de la viande, notamment. Il faut éviter de cuire à haute température et limiter le barbecue, les fumées, qui dégagent des composés toxiques », conseille le Pr Pierre Jesus, nutritionniste au CHU de Limoges.
Compte-tenu des données disponibles, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a classé en 2018 les viandes rouges comme « probablement cancérogènes » et celles transformées (charcuteries et autres viandes fumées, salées, en conserve) comme « cancérogènes ». Un avis partagé par d'autres centres d'expertise, aux États-Unis et en France, alors prudence.
Alternatives et Recommandations pour une Consommation Équilibrée
« La viande n'est pas indispensable, aucun aliment ne l'est. Elle a son utilité mais on peut très bien s'en passer, le tout est de savoir pourquoi et comment on le fait », commente Jean-Michel Lecerf. « Ne pas consommer de viande, fort bien, mais pour manger quoi, à la place ? Du pain blanc pour remplacer un plat carné, ça n'est pas une bonne idée, mais du poisson, des œufs ou des légumineuses, c'est autre chose. Il faudrait viser l'équilibre au lieu de se focaliser sur tel ou tel type d'aliments », ajoute François Mariotti.
En fonction de son état de santé, de ses facteurs de risque, de son environnement familial, amical ou professionnel sans oublier ses goûts et ses envies, on décidera de la place de la viande dans notre alimentation. En s'inspirant, si besoin, du « régime de santé planétaire », concocté en 2019 par la revue médicale The Lancet avec Foundation EAT : diviser par deux la consommation mondiale de viande rouge et de sucre et de doubler celle des fruits, des légumes et des noix. Soit pour chaque individu, 300 g de légumes, par jour mais seulement 14 g de viande rouge.
Les études épidémiologiques semblent d’ailleurs plutôt confirmer la réduction des risques de maladies cardiovasculaires ou d’obésité dans le cas d’un régime végétarien « bien conduit » (1).Les chercheurs conservent en revanche des interrogations sur le régime « végan », qui implique une suppression totale des produits animaux. « Même si le nombre de personnes concernées est limité dans la population, et que nous manquons de données, nous avons déjà pu montrer que la consommation de produits ultratransformés est significativement plus haute chez les végans », souligne Benjamin Allès, épidémiologiste de la nutrition à l’Inrae.
En matière de nutrition, la viande reste un aliment intéressant. « Si c’est une bonne source de nutriments disponibles, elle n’a rien de spécifique », nuance Nicole Darmon, directrice de recherche en nutrition à l’Inrae. L’ensemble des apports de la viande peuvent ainsi être remplacés par d’autres aliments. Si le fromage est par exemple une bonne source de protéines et de zinc, le poisson contient presque autant de vitamines B12 que la viande.
Parmi les pistes intéressantes pour réduire sa consommation de bœuf, de porc ou d’agneau, les experts pointent tous la volaille. Une catégorie de viande que les recommandations officielles invitent à « privilégier » par rapport aux autres espèces. « J’interprète les conseils du PNNS de la façon suivante : vous pouvez remplacer 1 steak dans votre semaine par 1 escalope de volaille, sans avoir de viande rouge du tout », observe Nicole Darmon.
François Mariotti souligne toutefois qu’il n’y a « aucune obligation de faire un repas avec de la viande rouge si l’on peut s’en passer ». « Il faut avant tout arrêter de construire des plats autour d’une pièce de viande, dans l’idée qu’elle serait centrale », insiste le chercheur.
Pour ceux que la cuisine végétarienne ennuierait, Benjamin Allès rappelle de son côté que de nombreuses idées sont disponibles sur le site officiel de la Fabrique à menus, issu des recommandations du PNNS. « Les gens qui veulent diminuer beaucoup et vite la viande peuvent aussi aller voir un médecin nutritionniste ou des professionnels de la diététique, parfois remboursés par votre mutuelle, qui vous conseilleront par rapport à votre âge, votre profession, votre niveau d’activité physique. »
Impact Environnemental de la Consommation de Viande
Pour l’environnement et notre santé, la réduction de notre consommation de viande est nécessaire, mais dans quelle mesure, et de quelle manière ? Comme 40 % des Français, peut-être avez-vous l’intention de réduire votre consommation de viande dans les prochaines années. Comme 2 Français sur 3, peut-être avez-vous même déjà l’impression de manger moins de steaks ou de jambon qu’avant. Mais comment poursuivre vos efforts ?
Pour évaluer les effets de notre alimentation sur l’environnement, « il s’agit de prendre en compte cinq indicateurs : les gaz à effet de serre, mais aussi la consommation en eau, les pollutions azotées, l’énergie et l’occupation des terres », énumère Michel Duru, directeur de recherche à l’Inrae. Une équipe de son institut s’est justement appuyée sur l’étude Inca3 pour évaluer les effets (2) des différents types de régimes observés dans la population.
D’après les résultats, les personnes consommant 2 fois plus de viande de bœuf que la moyenne émettraient 20 % de plus de gaz à effet de serre, tout en consommant 20 % de plus de terres. À l’inverse, les personnes consommant 2 fois moins de viande que la moyenne présentent un meilleur bilan sur 80 % des indicateurs environnementaux étudiés.
« En remplaçant la viande de ruminant par de la volaille, et en végétalisant les assiettes, on peut espérer des gains d’environ 30 % de gaz à effet de serre, et de 40 % d’utilisation des sols », appuie François Mariotti, professeur de nutrition à AgroParisTech, et auteur de l’étude (3). Seule limite : augmenter la part de légumes et de céréales augmente également les besoins en eau.
Publié en 2019, le rapport Eat-Lancet offre des pistes concrètes. En se basant sur la notion de limites planétaires, et en s’efforçant de conserver un régime équilibré du point de vue nutritionnel, cette équipe de chercheurs internationaux a fixé des repères plus ambitieux que ceux des autorités françaises (voir notre tableau), avec un plafond de viande de bœuf et de porc à 100 g/semaine.
Tableau Récapitulatif des Recommandations de Consommation de Viande
Type de viande | Consommation réelle moyenne en France (en g/semaine) | Recommandations françaises (PNNS4) | Régime planète et santé (Lancet-EAT) |
---|---|---|---|
Viandes rouges(boeuf, porc, agneau et autres) | 530 g/semaine | 500 g/semaine max | 0 à 200 g/semaine max ensemble |
Charcuterie | 350 g/semaine | 150 g/semaine | |
Volailles | 210 g/semaine | À privilégier | 0 à 400 g/semaine |
Oeufs | 30 g/semaine | Pas d’indication | 90 g/semaine |
Légumineuses | 90 g/semaine | Au moins 2 fois par semaine | 500 g/semaine |
Sources : Dussiot et al., Clinial Nutrition/Eat-Lancet
Pour concilier santé et environnement dans le cas d’adultes en bonne santé, Nicolas Darmon propose un moyen mnémotechnique simple. Chaque jour, au moins un repas peut être végétarien. Pour les repas restants, les sources de protéines doivent être alternées : un jour de la viande de bœuf ou de porc, un jour de la volaille, un jour des œufs, deux jours avec du poisson (un maigre et un gras), et un dernier repas au choix.
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