Au Yukon, une région où les défis agricoles sont considérables en raison des conditions climatiques extrêmes, des initiatives locales cherchent à promouvoir la production alimentaire durable. Bienvenue au nord du 60e parallèle, sur un territoire grand comme deux fois le Royaume-Uni, peuplé de 17 000 ours et un peu moins du triple d’habitants. Au Yukon, aujourd’hui, 90 % de la nourriture est importée, surtout d’Amérique du Nord. Manger des fruits et des légumes frais est un défi quotidien et hors de prix… Surtout en hiver, avec des températures de 25 °C en dessous de zéro en moyenne, parfois 50 °C ! Cultiver dans ces conditions est une gageure.
Agriculture Locale et Durabilité au Yukon
Selon un recensement de 2020, on compte 142 exploitations agricoles sur l’ensemble du territoire. "Sur la dizaine de fermes implantées autour de Dawson, trois sont tenues par des jeunes nouvellement installés", souligne Suzanne Crocker. Défi supplémentaire, certains de ces pionniers ont choisi de ne cultiver que du bio ! Un combat quotidien contre les éléments.
Otto Muehlbach et sa femme, Connie Handwerk, ont ainsi installé leur ferme maraîchère bio sur l’autre rive du fleuve, à West Dawson, en 2013. Un tour de force quand on sait qu’ils ne bénéficient que d’une fenêtre météo de cent jours pour faire pousser une quarantaine d’espèces de fruits et de légumes. Ils sèment fin mai et doivent récolter au début du mois de septembre, voire fin août, le gel et la neige pouvant surgir alors à tout moment.
Le dérèglement climatique, qui rend la météo imprévisible, leur complique encore la tâche. Mais ils parviennent à faire pousser carottes, betteraves, concombres et laitues sans intrants. Pour conserver ces récoltes le plus longtemps possible, Otto, ancien horticulteur originaire d’Allemagne de l’Est, a imaginé un ingénieux système : une grosse conduite récupère la chaleur dans son habitation et réchauffe son cellier à trois mètres sous terre. Résultat : quelles que soient les conditions extérieures, la température n’y descend jamais en dessous de 0 °C. À l’intérieur de ce souterrain, des tonnes de légumes, pommes de terre, choux, carottes… "De quoi tenir six mois !", lance l’agriculteur.
Au Yukon, la majorité des plantations, même celles qui résistent bien au grand froid comme les oignons et les choux, doivent être protégées sous des serres, des tunnels, ou des paillis bioplastiques. L’octogénaire John Lénart, qui collabore avec l’université de la Saskatchewan, est un expert en la matière. Pour se rendre dans sa pépinière, la plus septentrionale du Canada, il faut marcher quelques kilomètres sur la rivière Klondike gelée, au cœur de la forêt boréale. Chez lui, on trouve une soixantaine de variétés d’arbres et d’arbustes rustiques, pommiers, cassis, camerises (ou chèvrefeuilles comestibles, donnant des baies oblongues et violacées). Quand le thermomètre descend en dessous de 40 °C, John protège ses cultures sous des sortes de tipis.
"Ce sont des cadres coniques de trois à cinq poteaux enveloppés dans une bâche," explique-t-il. "Une couche protectrice de givre et de glace se forme sur les parois, ce qui permet d’atténuer les températures de dix degrés."
Initiatives Communautaires et Technologiques
Des salades en plein hiver. La ferme d’Otto et les vergers de John sont situés sur le territoire de la Première Nation Tr’ondëk Hwëch’in. La communauté autochtone, qui pratiquait traditionnellement la chasse, la pêche et la cueillette, a fondé, voici dix ans, la TH Farm (pour Tr’ondëk Hwëch’in Farm). Située au kilomètre 699 de la North Klondike Highway, à 14 kilomètres de Dawson, elle produit elle aussi en bio grâce à un sol très fertile. Sa serre froide (elle se contente d’accumuler la chaleur du soleil de la journée) de 280 mètres carrés, lui permet de cultiver fruits et légumes dix mois par an.
Depuis huit ans, en partenariat avec l’université du Yukon, on y sensibilise les communautés amérindiennes à la question de la souveraineté alimentaire. ColdAcre, une société contrôlée par la Première Nation NaCho Nyäk Dun, située à Whitehorse, la capitale du Yukon, poursuit elle aussi l’objectif de l’autosuffisance. En ville, les enseignes de fastfood sont légion, et la concurrence avec les aliments industriels, très rude. ColdAcre mise sur la technologie verte. Tarek Bos, un employé, montre le dédale de conteneurs à l’intérieur desquels l’on cultive des légumes en hydroponie, "l’option idéale quand on a des sols pauvres, du froid, peu de soleil, et pour se prémunir des gels tardifs de plus en plus fréquents".
Nous sommes en plein hiver, mais ici les salades poussent sous les leds deux fois plus vite qu’en pleine terre, à une température constante de 21 °C !"Nous vendons également des conteneurs de culture hydroponique sur mesure, aussi bien à des particuliers qu’à des municipalités," précise Tarek. "Et nous proposons des formations pour que nos communautés apprennent à cultiver des fruits et des légumes, comme les baies ou les haricots qui, traditionnellement, sont la base de leur nourriture."
À 50 kilomètres au nord de Whitehorse, au bout de la route givrée qui bute sur le lac Laberge, se niche Sarah’s Harvest, le plus grand jardin maraîcher bio du Yukon. Ici, sur 1 600 mètres carrés, s’épanouissent carottes, épinards, et une vingtaine de cultures sous serre. Sarah Ouellette, jeune femme qui a déménagé ici depuis l’Ontario, est très contente de s’être lancée dans cette expérience subventionnée à 80 % par le gouvernement.
Une "maison de glace" conserve par ailleurs ses produits au frais - autour de 3 ou 4 °C - tout l’été, sans utiliser d’électricité : une cabane, à l’intérieur de laquelle se trouve un énorme frigo débranché bourré de blocs de glace récupérés pendant les grands froids.
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