Le Porc Noir de Corse : Élevage et Alimentation Traditionnels

Le cochon Corse, ou porc « Nustrale », est une race endémique à l’île de Beauté, reconnue officiellement depuis 2006. Son élevage remonte à plusieurs siècles, et repose sur une tradition pastorale caractérisée par l’utilisation d’un territoire montagnard. Cette race, rustique, se reconnait à sa robe noire, voire grise, ainsi qu’à sa croissance lente, et sa capacité génétique à produire du gras et un persillé extraordinaire, qui confère à ses produits charcutiers une renommée mondiale.

Origine et Histoire du Porc Corse

Le porc corse (u porcu corsu) est présent sur l’île depuis des millénaires. Il aurait remplacé l’actuel sanglier corse (retourné à l’état sauvage) dans les élevages (Vigne, 1988). Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, il a subi un grand nombre de croisements avec des races sélectionnées (principalement Large White puis Duroc). Par la suite, il a fait l’objet d’une démarche de sauvegarde qui a permis de reconstituer des effectifs en race pure.

Caractéristiques Physiques du Cochon Corse

La race porcine corse présente un format moyen à petit : une femelle adulte pèse 140 à 180 kg et un mâle 200 à 240 kg. Doté d’une tête fine et allongée avec un groin mobile et des oreilles semi-tombantes, le porc corse peut montrer des épis sur la ligne du dos ainsi que des pendeloques (i pindini). Les patrons colorés sont multiples et basés sur les couleurs suivantes : noir, roux, gris et agouti.

Le porc corse est un animal à croissance lente qui se caractérise par sa rusticité et son aptitude à la marche. Il est capable de subir des périodes de faible disponibilité en ressources naturelles en mobilisant ses réserves corporelles avant de profiter à nouveau de ressources importantes par une croissance compensatrice (période de finition automnale).

Système d'Élevage Extensif

Élevé en système extensif sylvo-pastoral, il valorise des parcours et les zones de châtaigneraie et de chênaie durant l’automne. L’élevage extensif est essentiellement basé sur la valorisation de parcours au relief accidenté et couverts de maquis. Les troupeaux évoluent à l’extérieur toute l’année à part la période mise-bas des truies qui peut se faire dans des cabanes.

L'élevage extensif est également basé sur la transhumance. Soucieux du bien-être de ses bêtes, les porcs sont élevés en semi-liberté et nourris en respectant les modes d’élevage et les savoir-faire traditionnels. La transhumance se fait sur le célèbre plateau de Coscione, un grand espace de verdure parsemé de ressources d’eau naturelles. Herbe, racines, plantes aromatiques composent l’alimentation des cochons pendant cette période, ce qui donnent ce goût si particulier à la viande.

Alimentation du Porc Corse : Un Goût Unique

L'alimentation du porc corse est un facteur clé de la qualité de sa viande. Aux beaux jours, les cochons « Nustrale » se nourrissent de ce que la nature leur offre : herbe, racines de fougères… Par ailleurs, une ration alimentaire quotidienne vient compléter cette alimentation toute naturelle. Il arrive que certains éleveurs partent en estive, sur les plateaux de haute-montagne. Là, les herbages et racines de montagne complètent bien leurs besoins énergétiques.

Au cours de l’automne, et durant une partie de l’hiver, ce sont les châtaignes et les glands qu’ils trouvent sur leur parcours qui composent l’intégralité de leur ration alimentaire. Un gras typique et racé se développe. C’est au cours de la dernière phase de son élevage (on parle de la « finition ») que le cochon fabrique son gras si spécifique. En effet, il s’agit du moment où il s’alimente de glands et châtaignes.

Les cochons des élevages ancestraux, étaient nourris essentiellement en montagne et avec des restes. La Corse restant une région principalement rurale, les cochons profitent d'une certaine liberté et continuent de se nourrir de glands ou de châtaignes en automne, ainsi que de toutes sortes de végétaux et racines dans les pâturages aux estives. A cette alimentation naturelle peut-être ajoutée en complément par les éleveurs des céréales comme l'orge, le blé, le maïs ou l'avoine.

Rôle Traditionnel et Évolution de l'Élevage

Le porc corse est très présent dans les périodes de la Corse rurale traditionnelle. En effet, le porc de basse-cour accompagne la vie de toutes les familles paysannes par sa capacité de récupération des déchets de la cuisine et de tous les aliments assimilables. Le mannarinu est ainsi élevé dans chaque famille pour être abattu aux alentours de Noël (traditionnellement, l’abattage commençait à la Santa Lucia, le 13 décembre) et transformé en produits de salaison qui seront consommés au cours de l’année ou même, pour le jambon sec, au cours de l’année suivante.

Cet animal est acheté par le paysan sous forme de porcelet au sevrage vers le mois de mars (u marzulinu) à un éleveur (u purcaghju) qui dispose d’un troupeau de truies menées dans la forêt (porcu di banda ou porcu di furesta). Suite à la disparition progressive des ruraux (et donc de l’usage du mannarinu), c’est cet éleveur qui a subsisté jusqu’à nos jours sous la forme d’un producteur-transformateur fermier. Il conduit ses troupeaux (greghje ou rèfiche) sur de vastes étendues de parcours (rughjoni) grâce à l’aide de truies « meneuses » qui connaissent ces parcours et conduisent leurs congénères en assurant leur apprentissage des zones de repas, d’abreuvement et de couchage.

Il réalise la finition des animaux à abattre (porchi tumbatoghji) durant l’automne dans les zones de châtaigneraie et de chênaie pour bénéficier d’aliments amylacés (châtaignes et glands) en grande quantité pâturés par les animaux eux-mêmes.

Transformation et Produits Traditionnels

Suite à l’abattage des porcs, le producteur réalise la transformation des carcasses en produits traditionnels. Le jambon sec (u prisuttu), l’échine (a coppa), la longe (u lonzu), la poitrine (a panzetta) et la gorge (a bulagna) sont salés et séchés. Des produits divisés comme le saucisson (a salciccia ou u salamu), la saucisse de foie (u ficatellu), la saucisse grasse (a salcicetta) sont embossés dans divers boyaux. Des produits cuits comme les boudins (i sangui), le fromage de tête (u casgiu di porcu) ou l’estomac farci (u ventru) sont cuisinés.

Reconnaissance et Appellation d'Origine Contrôlée (AOC)

Des actions visant à sauvegarder le porc corse ont abouti, en 2006, à la reconnaissance officielle de la race porcine corse par le Ministère de l’Agriculture. Cette race a alors pris le nom de « Nustrale » du fait d’une demande d’AOC pour les pièces salées séchées, prisuttu, coppa et lonzu, afin d’éviter les risques de confusion liés à l’homonymie.

L’Appellation d’origine contrôlée (AOC) été obtenue par la charcuterie corse en 2012 pour trois produits élaborés à base de race locale de porc nustrale :

  • le « Jambon sec de Corse - Prisuttu » (cuisse de porc salée, séchée et affinée)
  • la « Coppa de Corse - Coppa di Corsica » (échine de porc salée à sec et présentée sous boyau naturel ou voile de panne de porc, bridée avec une ficelle ou un filet)
  • le « Lonzo de Corse - Lonzu » (longe de porc salée, séchée puis affinée).

Désormais, toute utilisation de ces appellations impliquera le suivi d’un cahier des charges strict avec en premier lieu une fabrication exclusivement à base de porc de race Nustrale élevé en Corse. Cette reconnaissance d’un savoir faire, d’un patrimoine et d’un terroir permet aux éleveurs et aux producteurs de fournir une charcuterie de très grande qualité en les protégeant contre toute tentative de contrefaçons ou de fraudes.

Tableau Récapitulatif des Caractéristiques du Porc Corse

Caractéristique Description
Poids femelle adulte 140 à 180 kg
Poids mâle adulte 200 à 240 kg
Couleur Noir, roux, gris et agouti
Type d'élevage Extensif sylvo-pastoral
Alimentation principale Herbe, racines, glands, châtaignes

Exemple d'Exploitation : Pierre-Antoine et Stéphanie Frombolacci

En Haute-Corse, Pierre-Antoine et Stéphanie Frombolacci produisent de la charcuterie Appellation d’origine contrôlée (AOC), des produits de qualité frais ou fumés. Le village de Tox est perché sur la montagne. Sur l’Ile de Beauté, ce jeune couple d’agriculteurs a fait le choix de l’élevage extensif. Sous les chênes-lièges et les chênes verts, en contrebas des montagnes, les cochons courent, en liberté. L’exploitation s’étend sur 20 hectares. On entend les grelots des cloches dans le maquis… les cochons se montrent, tantôt gris, tantôt noirs ceinturés de blanc. Ces cochons sont de race nustrale, conformément au cahier des charges de l’AOC. Il s’agit d’une race rustique parfaitement adaptée à ce territoire montagneux.

Stéphanie prépare des produits frais, mais aussi des produits séchés. Les coppe, saucisses et autres prisutti (le jambon local) seront fumés à plusieurs reprises. Ils sécheront ensuite au village, dans la cave des grands-parents de Pierre-Antoine. « Ce sont leurs recettes que nous avons gardées. Seules les doses de sel ont été diminuées », explique Stéphanie. Bien sûr, les conservateurs utilisés sont naturels : du sel, du poivre… et du vin rouge pour les figatelli. Ceux-ci doivent d’ailleurs être cuits directement au feu de bois, ce qui leur donne un aspect caramélisé.

Une petite partie de la production est expédiée vers la métropole, alors que la quasitotalité s’écoule en vente directe auprès d’une clientèle surtout locale, connaisseuse. Les produits sont de très grande qualité.

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