Merci pour le chocolat, réalisé par Claude Chabrol en 2000, est un polar implosif d’une suprême élégance. Le film nous restitue un Claude Chabrol en forme étincelante, au sommet de sa virtuosité un brin perverse, de sa perversité tranquillement virtuose.
Synopsis
Marie-Claire Muller, dite "Mika", a hérité de son père l'entreprise des Chocolats Muller à Lausanne. Elle épouse André Polonski, célèbre pianiste virtuose. André avait ensuite épousé Lisbeth, dont il a eu un fils, Guillaume.
La jeune Jeanne Pollet, apprentie pianiste préparant le concours de Budapest, apprend de sa mère qu’elle avait failli être échangée avec Guillaume Polonski, né au même moment. Troublée, à la recherche de ses origines et d’un mentor - son père est mort alors qu’elle était enfant - Jeanne se rend chez les Polonski.
Intrigue et Suspense
Renversant intentionnellement un chocolat chaud qu’elle avait préparé pour Guillaume, Mika tache le pull-over de Jeanne. Celle-ci le fait analyser en laboratoire par son ami Axel. Il s’avère que des somnifères avaient été versés dans le liquide. Mika vient perfidement semer le doute auprès de la mère de Jeanne, Louise Pollet, directrice de l’institut médico-légal, avant d’inviter la jeune fille à passer deux jours à la maison pour mieux répéter avec son mari.
Auparavant, Jeanne a appris de sa mère que Jean Pollet n’était pas son père biologique et qu’elle est le produit d’une insémination avec donneur. À l’heure du thé, Mika renverse « maladroitement » de l’eau bouillante sur le pied de Guillaume… Le soir venu, elle avoue avoir oublié les somnifères dont son époux ne peut se passer et, si elle accepte que Jeanne descende en voiture en chercher en ville, elle s’étonne que Guillaume, vu sa blessure, veuille l’accompagner.
Les enfants partis, André comprend que Mika a jadis drogué Lisbeth et, le soir même, Jeanne. L'épouse part chercher le somnifère, sa voiture démarre dans la nuit sous les yeux sans remords de Mika. La voiture partie, Mika revient dans le salon, sans un regard pour l'enfant, prendre la place de l'épouse : devant le piano, elle écoute jouer André.
La séquence suivante démarre avec le son d'une corne de brume, signal de danger, sur une mer pourtant ensoleillée.
Thèmes et Interprétations
Névrose de Mika, enfant adoptée qui croit tout donner et ne rien recevoir; avoir tout donné pour que ses parents l'aiment mais sentant toujours un possible rejet. A l'inverse la mère de Jeanne assume la situation difficile qui l'amène à mentir à sa fille par respect pour la volonté de son mari défunt.
La Marche funèbre de Liszt, que répètent André et Jeanne, rythme le film sur une cadence implacable et sèche comme l'affirme le pianiste.
Le film commence comme une aimable réunion de famille, subtilement ébranlée par l’intrusion de l’entreprenante Jeanne Pollet (la jolie Anna Mouglalis, dans l’un de ses premiers rôles), qui, en actualisant une drôle d’hypothèse (serait-elle la fille cachée de Polonski, confondue à la maternité avec le falot Guillaume ?), viendra révéler les faux-semblants qui sourdent sous cette bienveillance et cette respectabilité de façade.
Le cinéaste avoue avoir voulu traiter de l’idée de la "perversité", et personne n’y échappe, quel que soit le degré d’innocence (supposée) de tous les personnages : meurtre, ambition, désamour, rancœur, jalousie - et même, en creusant un peu (mais pas beaucoup), une pincée d’inceste (ou du moins sa tentation : voir la relation entre Mouglalis et Dutronc, alors que ce dernier, papa débonnaire, semblait être épargné par les flèches de Chabrol).
Isabelle Huppert, qui signe ici sa sixième collaboration avec Chabrol (lequel est resté fidèle à ses acteurs, qu’il affirmait ne jamais "diriger", préférant leur "donner la direction" et faire confiance à leur instinct), porte cette ambiguïté avec son talent habituel, écrin parfait de cette distance toute théâtrale, presque désincarnée, que le réalisateur adopte pour chacun de ses sujets.
Dans cette histoire de chocolatiers et de pianistes, c’est la Marche funèbre de Liszt (un choix pas anodin, on s’en doute) qui donne la cadence et marque le film de son sceau dramatique, apportant à certaines séquences une singulière intensité (le plan final, superbe).
Avec Merci pour le chocolat, Claude Chabrol adapte (pour la deuxième fois après La Rupture) Charlotte Armstrong. Il transpose l’intrigue de The Chocolate Cobweb en Suisse Romande, faisant d’une histoire criminelle une étude psychologique terrible de précision où le portrait de la haute-bourgeoisie se fait moins dénonciateur que troublé et peiné.
Le film s’inscrit dans une lignée de collaborations entre Chabrol et Huppert où la perversité dont fait montre celle-ci est systématiquement présentée comme un moyen d’adaptation, de survie dans un milieu hostile. Quel que soit le degré de monstruosité dont elles peuvent faire preuve, ces femmes sont aussi victimes d’un environnement détraqué. Mika ne déroge pas à la règle.
Le film traite aussi de la manière dont une vocation artistique peut exclure des proches. André et Jeanne s’entendent littéralement quand ils travaillent ensemble les Funérailles de Liszt, tandis que les indications du premier (joué par un vrai musicien) sont comme une explicitation des principes de mise en scène chabroliens : raideur du poignet, mais souplesse du doigté ; jamais de fausse profondeur, ça n’en devient que plus abyssal ; le moins de virtuosité apparente possible, ça ennuie vite.
Par deux cassettes que Mika offre à Guillaume devant sa télé (moment proche de la satire hébétée de la petite lucarne de La Cérémonie), pour se faire pardonner de lui avoir ébouillanté la jambe, Chabrol rend hommage à ses sources : Le Secret derrière la porte de Fritz Lang et La Nuit du Carrefour de Jean Renoir.
Mais Chabrol est moins intéressé ici par le suspense que par les thèmes douloureux qu’il permet d’accompagner : mystère de la filiation, génétique et affective ; innombrables barrières invisibles entre les êtres qui font obstacle à leur attachement, leur compréhension ; exclusion au sein des familles à d’autres motifs d’entente par eux-mêmes tout à fait légitimes et que du reste on ne maîtrise pas.
Réalisation et Mise en Scène
La réalisation de Claude Chabrol n’est pas de celles dont on peut aisément remarquer les effets. Totalement dénuée d’artifices, elle reflète une simplicité aussi trompeuse que les apparences bourgeoises qu’il aimait tant filmer.
En réalité, la position de la caméra et ses mouvements étaient soigneusement pensés et calculés en fonction de l’impression que le cinéaste voulait communiquer dans chaque séquence.
La façon dont Claude Chabrol filme le personnage de Mika dans Merci pour le chocolat est révélatrice. Il la cadre souvent en arrière plan : dans la scène où Jeanne explique la raison de sa venue à André Polonski, Mika apparaît derrière le visage, filmé en gros plan, de la jeune femme ; plus tard, tandis qu’André (Jacques Dutronc) et Jeanne jouent au piano, on l’aperçoit passer d’une pièce à l’autre. À chaque fois, l’objectif est de souligner son (inquiétante) omniprésence.
Car comme toujours, Claude Chabrol montre, suggère, illustre, mais jamais - ou très rarement - n’explicite quoi que ce soit. Tout juste dessine-t-il quelques pistes qui, au fond, débouchent sur ce qui restera en partie une énigme.
Acteurs et Personnages
Si cette sensation est aussi perceptible ici, c’est aussi grâce à la composition remarquable d’Isabelle Huppert (dont c’était alors la sixième collaboration avec Claude Chabrol). Les comédiens qui l’entourent, dont Anna Mouglalis et Jacques Dutronc, sont très loin de démériter.
Mika Muller (Isabelle Huppert) est l’héritière de la chocolaterie Suisse Muller. Elle est heureuse de se remarier avec le pianiste André Polonski (Jacques Dutronc).
Quand Jeanne Pollet (Anna Mouglalis) apprend qu’elle pourrait être la fille biologique d’André Polonski (Jacques Dutronc), un pianiste également, elle part à sa rencontre dans sa belle propriété lausannoise.
Critiques et Réception
Merci pour le chocolat est un film mélancolique, piquant comme le chocolat chaud pimenté que Mika se promet de préparer. Chabrol signe ici un film plus psychologique que policier. Isabelle Huppert incarne à merveille la froideur de cette belle-mère manipulatrice. Dutronc en pianiste paternel retrouve l’humanité et sa jeunesse. Chabrol parvient à montrer combien le passé de ses personnages est douloureux et mystérieux.
Tableau Récapitulatif des Personnages Principaux
Personnage | Acteur/Actrice | Description |
---|---|---|
Mika Muller | Isabelle Huppert | Héritière de la chocolaterie Muller, épouse d'André Polonski |
André Polonski | Jacques Dutronc | Pianiste virtuose, mari de Mika |
Jeanne Pollet | Anna Mouglalis | Jeune pianiste, potentielle fille d'André |
Guillaume Polonski | Rodolphe Pauly | Fils d'André et de sa défunte femme Lisbeth |
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