Merci pour le chocolat : Une exploration des apparences trompeuses

Dans "Merci pour le chocolat", Claude Chabrol démontre malicieusement que les apparences sont souvent trompeuses, un thème récurrent dans sa filmographie fertile.

Synopsis et contexte

À Lausanne, André Polonski, pianiste virtuose, et Marie-Claire Muller, dite "Mika", patronne d'une fabrique renommée de chocolats, se remarient après une première et éphémère union, des années auparavant.

André avait alors quitté Mika pour épouser Lisbeth, dont il a eu un fils, Guillaume. La délaissée n'en continuait pas moins à héberger le couple et son enfant dans sa villa cossue, sur les hauteurs de la ville.

Huit ans plus tôt, tous quatre s'y trouvaient avec Lisbeth lorsque la jeune femme, sortie acheter les somnifères dont son mari ne peut se passer, s'était tuée en voiture.

Peu après le remariage, la jeune Jeanne Pollet, qui admire Polonski et veut elle aussi devenir pianiste, apprend par une amie de sa mère que, née le même jour et dans la même clinique que Guillaume, elle a failli être échangée avec lui.

Une mort mystérieuse qui hante les vivants, un artiste autocentré accro aux somnifères, un adolescent torturé somnolant dans sa chambre, une belle ambitieuse aux motivations troubles, et une maîtresse de maison experte en chocolats chauds onctueux, qui dorlote son monde avec un sourire suave…

Dans ce huis clos familial à la fois retors et cousu de fil blanc, l'angoisse ne vient pas du suspense, mais de la psychose qui, à l'image du châle toile d'araignée dans lequel se drape Isabelle Huppert, enserre les personnages.

Un film insidieusement captivant

Dès sa première scène de cérémonie mondaine, le long-métrage nous happe sans qu’on comprenne immédiatement pourquoi ; l’intrigue semble banale, mais on sent constamment qu’il y a anguille sous roche, ambiance qui cloche.

C’est que le film, insidieusement captivant, trouve sa source chez un maître du polar américain, Charlotte Armstrong, maintes fois adaptée au cinéma (et notamment par Chabrol lui-même avec La rupture, trente ans auparavant) et dont la matière originale, The Chocolate Cobweb, annonçait plus explicitement la couleur - traduit par un "Merci pour le chocolat" plus poli et, bien évidemment, plus ambivalent.

Outre ce titre, subissant une traduction bien compréhensible, le réalisateur du Boucher s’amuse à moduler les noms des personnages ; ceux-ci, dans la grande tradition chabrolienne (et dans le sillage farceur de ses modèles littéraires, Balzac et Simenon), sont porteurs de références ironiques, de double-sens élégants qui ajoutent à notre plaisir (le meilleur exemple demeurant le personnage de Mika Muller, héritière d’une importante...

Ironie et perversité

L’ironie, ici discrète mais cinglante, Chabrol en a fait sa spécialité et le prouve une nouvelle fois à travers des dialogues effilés comme des rasoirs et des situations de plus en plus troublantes.

Le film commence comme une aimable réunion de famille, subtilement ébranlée par l’intrusion de l’entreprenante Jeanne Pollet (la jolie Anna Mouglalis, dans l’un de ses premiers rôles), qui, en actualisant une drôle d’hypothèse (serait-elle la fille cachée de Polonski, confondue à la maternité avec le falot Guillaume ?), viendra révéler les faux-semblants qui sourdent sous cette bienveillance et cette respectabilité de façade.

Le cinéaste avoue avoir voulu traiter de l’idée de la "perversité", et personne n’y échappe, quel que soit le degré d’innocence (supposée) de tous les personnages : meurtre, ambition, désamour, rancœur, jalousie - et même, en creusant un peu (mais pas beaucoup), une pincée d’inceste (ou du moins sa tentation : voir la relation entre Mouglalis et Dutronc, alors que ce dernier, papa débonnaire, semblait être épargné par les flèches de Chabrol).

Et à ce petit jeu de la perversité, c’est évidemment le réalisateur qui obtient la palme, précipitant sa famille modèle vers sa perte comme si de rien n’était, avec le détachement glacial du moraliste.

Interprétations et mise en scène

Isabelle Huppert, qui signe ici sa sixième collaboration avec Chabrol (lequel est resté fidèle à ses acteurs, qu’il affirmait ne jamais "diriger", préférant leur "donner la direction" et faire confiance à leur instinct), porte cette ambiguïté avec son talent habituel, écrin parfait de cette distance toute théâtrale, presque désincarnée, que le réalisateur adopte pour chacun de ses sujets.

Mais "distance" ne signifie pas forcément "figement" et, en dépit de la force tranquille de ses images et de son usage conventionnel du champ-contrechamp, Chabrol trouve souvent un souffle salutaire dans l’usage de la musique : dans cette histoire de chocolatiers et de pianistes, c’est la Marche funèbre de Liszt (un choix pas anodin, on s’en doute) qui donne la cadence et marque le film de son sceau dramatique, apportant à certaines séquences une singulière intensité (le plan final, superbe).

Les révélations sentimentalo-policières, distillées avec mesure, peuvent donc se déployer avec le raffinement et la cruauté d’un tapis rouge semé d’épines, favorisés par le charme empoisonné du couple Huppert-Dutronc.

Contexte de production

Avant Merci pour le chocolat, Claude Chabrol a réalisé Au cœur du mensonge en 1998, Rien ne va plus en 1997, La Cérémonie en 1995 et L'Enfer en 1994.

La musique a été composée par Matthieu Chabrol, qui avait composé auparavant la bande son des films Au cœur du mensonge en 1998, Rien ne va plus en 1997, La Cérémonie en 1995 et L'Enfer en 1994.

Parmi les actrices et acteurs principaux, on a pu voir au cinéma Isabelle Huppert dans La Comédie de l'innocence (2000) et Les Destinées sentimentales (1999) ; Jacques Dutronc dans Planete T (1998) et Place Vendôme (1998) et Anna Mouglalis dans La Captive (2000) et Terminale (1997).

Avis critiques

Certains critiques considèrent "Merci pour le chocolat" comme le dernier grand film de Claude Chabrol, soulignant sa mise en scène soignée, son ambiance vénéneuse et les performances des acteurs.

D'autres notent que le film est conforme aux autres réalisations de Chabrol, avec une atmosphère lourde, des personnages louches et une description acerbe de la bourgeoisie.

Un critique souligne que l'étrangeté du film provient d'une direction d'acteurs qu'on pourrait croire artificielle, mais qui semble finalement réaliste.

Musique

Depuis Les Fantômes du chapelier (1982), Matthieu Chabrol est le compositeur attitré de son père. Il a notamment signé les partitions de Le Cri du hibou (1987), Madame Bovary (1990), Betty (1992), L'Enfer (1994) et Au coeur du mensonge (1999).

Thèmes abordés

« Nous avons essayé d'illustrer cette idée par la lente solution des certitudes les plus affirmées de notre société. Ici, la filiation, donc la famille. L'idée majeure est de faire sentir que toutes les certitudes fondent au fur et à mesure que le récit avance. »

Analyse détaillée

Avec une mise en scène au millimètre, Chabrol signe son meilleur film depuis La Cérémonie. Dès qu’Isabelle Huppert apparaît avec son sourire de sainte-nitouche en répétant à l’envi « Je veux que tout le monde soit content », on comprend que la salope, c’est elle.

C’est ce qui frappe dans Merci pour le chocolat : un scénario cousu de fil blanc, avec des personnages à la limite de la caricature.

Jacques Dutronc (André Polonski) en pianiste neurasthénique marié à une Isabelle Huppert manipulatrice (Mika Muller), pdg d’une grande usine de chocolat.

Dès lors, tout ce qui arrive est tendu de grosses ficelles que manipule Chabrol. Ainsi, au tout début du film, cette vieille histoire de coïncidence de dates à la maternité et de confusion de bébés qui refait surface comme par hasard : là, c’est carrément du Chatilliez.

Et si Anna Mouglalis (Jeanne Pollet), jeune pianiste, était la fille du maestro Polonski ? Et hop, telle une Fantômette rohmérienne, Jeanne apparaît au milieu de cette famille sans histoire.

Mais il faut se méfier des apparences. Qui dit chocolat dit Suisse, qui dit Suisse dit secrets de famille onctueusement étouffés.

La virtuosité de la mise en scène s’ingénie à tromper les évidences au fur et à mesure que le scénario les révèle.

C’est le jeu favori de Chabrol de démonter la mécanique du mal, de Que la bête meure jusqu’à La Cérémonie.

Les « amateurs de bijoux expérimentaux drapés dans l’élégance du classicisme » (Frédéric Bonnaud) se régaleront.

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