Les masques de protection, que nous connaissons aujourd'hui, ont une longue histoire. Ils se sont sans cesse réinventés, que ce soit en vessie de porc, en forme de tête de corbeau lors des grandes pestes, ou en gaze après la découverte des microbes.
Les Origines Antiques : La Vessie de Porc
Dans l'Antiquité, des masques existaient déjà, constitués de vessie de porc. Ils n'étaient pas destinés à faire barrage aux microbes, mais à la poussière métallique soulevée lors de la préparation du vermillon. C’est ce que décrivait le naturaliste et auteur romain Pline dès le Ier siècle, dans ses Histoires naturelles (paragraphe XL) :
"Ceux qui broient le minium [de l'oxyde de plomb, ndlr] dans les laboratoires s'enveloppent le visage de vessies non soufflées, qui, tout en leur permettant de voir à travers, les empêchent d'aspirer cette poussière mortelle. Le minium est employé aussi par les copistes dans les livres ; il fait ressortir les lettres, soit sur l'or, soit sur le marbre ; ce qu'on utilise même pour les tombeaux."
L'époque était encore loin de soupçonner l'existence des microbes. Dès le Ve siècle avant Jésus-Christ, le médecin grec Hippocrate attribuait les fièvres à des "miasmes", ayant l'intuition que les odeurs nauséabondes étaient un facteur de maladie. Ainsi écrit-il dans son traité des Airs, eaux, lieux :
"Quand donc l'air est imprégné de miasmes qui ont pour propriété d'être ennemis de la nature humaine, ce sont alors les hommes qui sont malades ; mais quand l'air est inapproprié à une autre espèce d'êtres vivants, ce sont alors ces êtres-là qui sont malades."
Les Masques de la Peste : Une Tête de Corbeau Symbolique
Au XVIe siècle, en Italie, les grandes épidémies de peste ont favorisé l’invention de premières tenues de protection destinées aux "médecins" chargés de s'occuper des malades. Cette tenue, composée d’une combinaison de cuir et d’un chapeau, était complétée par un masque représentant une tête de corbeau.
Pourquoi cette représentation ? Parce que l’épidémie était censée être apportée par les oiseaux ! En effet, à l’époque, le monde était pensé de façon analogique. Dans le bec de leur masque, les médecins de la peste plaçaient du thym, des clous de girofle, du camphre, des pétales de rose… avec pour idée d’éloigner les mauvaises odeurs qui véhiculaient la maladie, selon la théorie des miasmes.
Le bec étant percé de trous, ces masques n’avaient en fait pas une grande utilité. Le masque disparaît peu ou prou entre le XVIIe siècle et la fin du XIXe siècle, concordant avec la découverte des microbes.
Sans doute à cause de la mauvaise presse morale à laquelle le masque était associé : tromperie, dissimulation. Dans la France post-révolutionnaire, on avance dans l’espace public à visage découvert, comme une marque de modernité française, et ce malgré la théorie des miasmes qui aurait pu justifier l'usage du masque pour se protéger du “mauvais air”.
La Révolution Pasteurienne et les Masques Chirurgicaux
C'est bien évidemment la découverte de l'omniprésence des microbes par Louis Pasteur qui va révolutionner les pratiques médicales et favoriser l'émergence des règles d'hygiène. C'est en travaillant sur des vers à soie pour éradiquer une épidémie touchant la culture de la soie dans la Vallée du Rhône à partir de 1865, que Pasteur comprend que la maladie est due à des micro-organismes qui se transmettent par les larves infectées.
À partir des découvertes de Pasteur et de son jeune rival Robert Koch, le monde médical comprend l’importance de développer des règles d'hygiène. C’est d’ailleurs un médecin allemand qui travaillait avec Robert Koch, Carl Flügge, qui environ quinze ans plus tard, dans les années 1890, démontre que les postillons sont porteurs de microbes.
Sur les conseils de Mikulicz, un de ses assistants, le docteur Wilhelm Hübener rechercha un moyen de protection sûr et commode contre les germes de la bouche et du nez. Il conçut un masque qui se composait d'une feuille de gaze hydrophile pliée en deux et fixée dans une monture en fil de fer.
Des expériences menées avec des boîtes de Pétri démontrèrent que ces masques étaient extrêmement efficaces : que le médecin parle, tousse ou éternue, les boîtes de Pétri restaient stériles. Les masques chirurgicaux étaient nés !
L'Expansion Mondiale des Masques
C'est grâce au médecin chinois Wu Lien Teh que les masques furent utilisés pour la première fois lors d'une pandémie de peste qui fit des ravages en Mandchourie, dans les années 1910-1911 (50 000 morts), quelques années avant la pandémie de grippe espagnole. En 1918 et 1919, la grippe espagnole, fait de 20 à 50 millions de morts et popularise le port du masque, notamment aux États-Unis.
Ensuite, celui-ci semble disparaître quelques décennies en Asie avant de réapparaître dans les années 1960, 1970, 1980… notamment au Japon avec l'émergence de la "maladie de Minamata" due à une importante pollution au mercure par une usine pétrochimique. De là, le Japon étant considéré comme un modèle de modernité, le masque gagne à nouveau l'Asie de l'est et du sud-est : Taïwan, Hong-Kong, la Chine, où il est autant un outil de prévention, que de contestation.
En 2003, l'épidémie de SRAS finit de normaliser le port du masque… et inaugure l'obsession pour le stockage et la hantise de sa pénurie. Le monde occidental devient parallèlement plus familier aux masques, et commence à l'utiliser notamment en 2009 avec le virus de la grippe A.
Le Masque dans l'Art et la Culture : Le Cas du Masque Zamble
Les récits de l’origine de la plus belle et plus complète expression de l’art gouro, celle du masque Zamble et de sa mascarade, allient poésie des contes et précision du savoir. Ce masque est un exemple de la richesse symbolique que peut revêtir un masque dans une culture donnée.
On désigne couramment sous ce nom générique une famille de trois masques Zàùlì (tons bas), Zamble et Gù. Tous les masques sont nommés yu « puissance » ; en effet yu désigne tout support de ɲale, « la force vitale » que chacun détient à des degrés variables (Haxaire 1998) ; ces masques en sont éminemment dotés9 grâce aux sacrifices dont ils sont destinataires. Zàùlì, Zamble et Gù sont dits plɔ-ɉi-yu « masques de la forêt (s.e. sacrée) » d’où ils proviennent, ils sont donc sacrés.
Chaque masque possède une fonction réparatrice spécifique dont on peut aborder l’analyse par les propriétés attribuées aux entités végétales ou animales qui lui sont associées par contiguïté. Néanmoins, et ce sera notre propos ici, le savoir encyclopédique donne un biais permettant d’accéder au sens qu’ils véhiculent, car le propre du secret est précisément de résoudre la tension qu’il recèle en laissant, entre autres, sourdre des « sécrétions », bribes d’informations émises et observations aléatoires permises à l’intrus destinataire qu’est l’ethnologue (Zempleni 1996).
Le Masque Tête de Cochon dans la Culture Moderne : L'Exemple de "Saw"
Dans la culture moderne, le masque tête de cochon a acquis une notoriété particulière grâce à la saga "Saw". Porté par Jigsaw et ses disciples, ce masque est utilisé lors de l'enlèvement des victimes et de leur soumission à des jeux cruels.
L'origine de ce masque est évoquée dans Saw 4 : selon le calendrier chinois, Jigsaw a commencé son œuvre "l'année du cochon". Lorsque James Wan et Leigh Whannell commencèrent à travailler sur le premier volet de la saga Saw, ils voulaient clairement que le tueur porte un masque. Après discussion, leur choix se porta sur une tête de cochon en état de décomposition, pour signifier la vision du monde profondément pessimiste du tueur, mais aussi rappeler le mal incurable dont il souffre et "pourrit" de l'intérieur : un cancer en phase terminale.
Les premières versions du masque ne les satisfaisaient pas. Il fallait le rendre plus effrayant encore : ils ajoutèrent des cheveux, du pus s'écoulant de ses yeux et ses nasaux. Oui, c'est gore. Là aussi, il est assez remarquable de constater que cet objet parfaitement horrible est devenu en quelque sorte l'icône de la saga, au point notamment de figurer sur la campagne d'affichage du premier et 4e film.
TAG: #Porc