Pourquoi les Juifs ne mangent pas de porc : Exploration des raisons historiques et religieuses

Dans de nombreuses communautés juives, comme on peut l'observer dans certaines boucheries casher, la viande de porc est strictement absente. Vendre cette viande reviendrait à transgresser un interdit plurimillénaire, explicitement mentionné dans le Lévitique, l’un des livres de la Torah.

Les textes religieux et le tabou du porc

Ces textes restent pourtant assez silencieux quant aux raisons du tabou. « Vous ne mangerez pas le porc, qui a la corne fendue et le pied fourchu, mais qui ne rumine pas: vous le regarderez comme impur » somme le Lévitique.

Pour les Juifs, cette interdiction est fondée sur deux passages de l’Ancien Testament :

  • Livre du Lévitique 11:7-8 « Vous ne mangerez pas le porc, qui a la corne fendue et le pied fourchu, mais qui ne rumine pas : vous le regarderez comme impur. Vous ne mangerez pas de leur chair, et vous ne toucherez pas leurs corps morts : vous les regarderez comme impurs. »
  • Livre du Deutéronome 14:8 : « Vous ne mangerez pas le porc, qui a la corne fendue, mais qui ne rumine pas : vous le regarderez comme impur.

Théories et hypothèses sur l'interdiction du porc

Cela fait donc des siècles que les humains se penchent sur la question, et que les théories se multiplient. La plus populaire ? Manger du porc comporte des risques pour la santé - vous l’avez sans doute entendue au détour d’une conversation.

Raisons sanitaires

Avec le climat chaud et sec du Proche-Orient, la viande de porc est, à l’époque des textes religieux, particulièrement difficile à conserver. En plus, le cochon adore se vautrer dans les immondices, et les humains l’ont remarqué depuis longtemps.

Dès le début du 2e millénaire avant notre ère, des textes associent les cochons aux égouts. Plus tard, au 12e siècle de notre ère (bien après la rédaction des textes religieux donc), Moïse Maïmonide, l’un des plus grands philosophes juifs du Moyen Âge, affirme que l’interdit religieux est fondé justement sur la saleté du porc.

« Au 19e siècle, cette théorie connaît un regain de popularité avec la découverte des microbes » observe Max Price, archéologue à l’université de Durham et auteur d’un livre sur le sujet. Aujourd’hui encore, tout le monde sait qu’il faut se méfier du porc mal cuit, sous peine de tomber plus ou moins gravement malade.

Considérations économiques

À l’époque des textes religieux, le porc était sans doute un piètre investissement économique. Il ne produit ni laine, ni cuir, au contraire du bœuf ou du mouton. L’animal aurait donc, selon certains chercheurs, été abandonné par les plus aisés, et finalement frappé d’une interdiction religieuse.

Ressemblance avec l'homme

« Tout semble montrer que le cochon est, avec les grands singes, l’un des plus proches cousins de l’Homme » affirme Michel Pastoureau. « Déjà, dès l’Antiquité, les médecins avaient remarqué la parenté entre les humains et les cochons. Au Moyen Âge, dans les écoles de médecine, l’apprentissage de l’anatomie humaine passait par la dissection du porc, l’Eglise interdisant cette pratique sur les cadavres humains. Les scientifiques de l’époque avaient remarqué les grandes similitudes entre les organes des Hommes et des porcs. Aujourd’hui, on utilise les organes des cochons pour les greffes » poursuit le spécialiste.

« Manger du porc reviendrait, d’une certaine manière, à être un peu anthropophage. Voilà qui pourrait expliquer le tabou ». L’historien reste néanmoins prudent. « C’est une hypothèse parmi d’autres ».

Volonté de se différencier

À cette époque, les Israélites, ancêtres du peuple juif, commencent à bouder le porc. Les archéologues retrouvent en effet, dans les lieux où ils sont installés, de moins en moins d’os de cochons, jusqu’à ne plus en voir du tout. Au contraire, à quelques kilomètres de là, d’autres villages, peuplés par les Philistins, continuent d’en manger.

Or, les Israélites, on ne sait pas trop pour quelle raison, détestaient les Philistins. Ils les méprisaient : on le constate dans les écrits qui nous sont parvenus. « Ils rabaissaient leurs choix de vie, déplorant par exemple le fait que leurs fils ne soient pas circoncis » illustre ainsi Max Price.

L’archéologue pense donc que le tabou autour du porc s’est en partie construit autour de cette volonté de se différencier des voisins honnis. « C’est ce qui aurait pu donner au tabou relatif au porc sa puissance particulière, et expliquer pourquoi cette interdiction est si différente des autres lois alimentaires dans le Lévitique » poursuit-il.

Le cochon, tabou durant l'Égypte ancienne ?

Dès l'Égypte ancienne - donc bien avant l'apparition des trois grands monothéismes -, le cochon aurait eu une mauvaise image. Dans les Textes des sarcophages du Moyen Empire, le cochon est accusé d'un « crime cosmique » : il a blessé l'œil du dieu Horus, dieu de la Lune.

Ses phases d'obscurcissement sont alors interprétées comme des blessures infligées par ses ennemis. Or, le porc est justement l'un des avatars de Seth, dieu du chaos et du désordre. Résultat ? L'animal aurait été jugé impur et banni des temples et des rituels.

Beaucoup soutiennent que c'est ici que l'interdiction du porc chez les juifs trouve sa source. « Mais à partir de cet épisode, on a bâti une aversion de toute l'Égypte antique pour cet animal. En réalité, il n'y avait pas d'interdiction de consommation. On peut dire que c'est un animal qui n'est pas valorisé et très rarement donné en offrande. Mais il était tout de même consommé », nuance Youri Volokhine, auteur de l'ouvrage Le Porc en Égypte ancienne. Mythes et histoire à l'origine des interdits alimentaires (Presses universitaires de Liège, 2020).

Le porc mal cuit serait trop dangereux

Il s'agirait d'un conseil de bienveillance de Dieu lui-même. « En effet, les cochons, déjà dans le monde antique, sont des éboueurs : ils mangent tout et n'importe quoi, même des déjections. La domestication implique normalement de contrôler l'alimentation de l'animal, au risque d'être contaminé. Sauf qu'à cette époque, la connaissance en médecine ne permettait pas de savoir que cela est dangereux pour la santé. Encore une fois, ce sont des explications livrées après coup et qui ne peuvent pas suffire à expliquer ces inscriptions dans les textes sacrés. »

Une revendication identitaire

Pour beaucoup d'historiens ayant travaillé sur la question, le refus de consommer du porc est une façon, pour les juifs d'abord et les musulmans ensuite, de se distinguer des autres. Une sorte de revendication identitaire, même si le mot est anachronique.

Le cochon serait un moyen de se distinguer, également pour les chrétiens. « La judaïté est pour les chrétiens la figure nécessaire de l'origine, pensable à l'échelle historique et collective (tant il est vrai que le Christ fut d'abord un juif et que le Nouveau Testament sort de l'Ancien Testament), comme à l'échelle individuelle : c'est à une sorte de judaïsme de nature que le baptême arrache les petits des chrétiens. Puisque les juifs refusent de manger du cochon, il faut donc que les chrétiens en mangent, manière de dire haut et fort (trop fort parfois) ce qu'ils sont et d'où ils viennent », écrit Jean-Claude Schmitt, historien français.

Raisons avancées par le Coran

Pour les Musulmans l’interdit de manger du porc est selon Malek Chebel le plus massif et le plus ancien. Pour comprendre pourquoi les musulmans ne mangent pas de porc, il faut remonter dans l’Histoire et commencer par analyser pourquoi les juifs ne mangent pas de porc.

« Les animaux morts, le sang, la chair du porc, tout ce qui a été tué sous l’invocation d’un autre nom que celui d ‘Allah, les animaux suffoqués, assommés, tués par quelque chute ou d’un coup de corne ; ceux qui ont été entamés par une bête féroce, à moins que vous ne les ayez purifiés par une saignée ; ce qui a été immolé aux autels des idoles ; tout cela vous est défendu. (…)» (Sourate 5 La table servie (Al-Maidah), verset 3).

Cependant un autre verset (XVI, 115) introduit une exception à cet interdit : « Il vous a été interdit la bête morte, le sang, la chair du porc et tout ce qui a été immolé à un autre Dieu qu’Allah. Dans la Torah et dans le Coran, écrit des siècles plus tard, le porc est banni des assiettes.

« Dieu vous a seulement interdit la bête morte, le sang, la viande de porc », peut-on lire dans le Coran (sourate 2, verset 173).

Interprétations et controverses

Quoi qu'il en soit, on ne sait toujours pas avec certitude pourquoi les livres religieux posent cet interdit. Ce qui est certain, néanmoins, c’est que le tabou a depuis été instrumentalisé pour stigmatiser les communautés juives puis musulmanes.

Pourtant, chaque culture a ses interdits, plus ou moins conscients, et plus ou moins expliqués. « En Europe par exemple, personne ne mange de chien depuis des siècles, alors que cela se fait encore ailleurs » souligne Michel Pastoureau.

Tableau récapitulatif des raisons possibles

Raison Description
Sanitaire Difficulté de conservation, risques de maladies
Économique Faible rendement économique par rapport à d'autres animaux
Ressemblance avec l'homme Proximité biologique et anatomique
Différenciation Volonté de se distinguer des autres cultures et religions
Religieuse Interdiction explicite dans les textes sacrés

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