La lutte contre le gaspillage alimentaire en France : Bilan et perspectives

Le 11 février 2016, la France est devenue le premier pays au monde à se doter d'une législation aussi forte contre le gaspillage alimentaire. L'exemple français a depuis été suivi par plusieurs pays, comme l'Italie, dès l'été 2016, le Pérou ou encore la Finlande. Après la promulgation de la loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire - une première mondiale - en 2016, le bilan tiré montre des effets très positifs, largement exprimés lors des États généraux de l’alimentation.

Un cadre législatif renforcé au fil des années

Au fil des années, l'arsenal législatif français s'est renforcé. De la loi Garot en 2016, et à la loi EGalim en 2018, jusqu'à la loi Climat et Résilience en 2021, la France a pris de nombreuses dispositions législatives pour lutter contre le gaspillage alimentaire.

  • 11 février 2016 : La loi Garot relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire est promulguée.
  • 21 octobre 2019 : En application de la loi EGAlim, une ordonnance relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire est publiée au journal officiel.
  • 10 février 2020 : La loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (loi AGEC) précise la définition du gaspillage alimentaire et fixe des objectifs de réduction.
  • 20 octobre 2020 : Le décret n° 2020-1274 du 20 octobre 2020 relatif aux dons de denrées alimentaires prévus à l'article L. 541-15-6 du code de l'environnement, à leur qualité et aux procédures de suivi et de contrôle de leur qualité, est un texte d'application de l'ordonnance du 21 octobre 2019 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire et de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (loi AGEC).
  • 22 août 2021 : Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets - Article 256.

La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire entend accélérer le changement de modèle de production et de consommation afin de limiter les déchets et préserver les ressources naturelles, la biodiversité et le climat. Elle se décline en cinq grands axes :

  1. Sortir du plastique jetable
  2. Mieux informer les consommateurs
  3. Lutter contre le gaspillage et pour le réemploi solidaire
  4. Agir contre l’obsolescence programmée
  5. Mieux produire

Objectifs de réduction du gaspillage alimentaire

Depuis le 11 février 2020, l’objectif national en France est de réduire le gaspillage alimentaire, d'ici 2025, de 50% par rapport à son niveau de 2015 dans les domaines de la distribution alimentaire et de la restauration collective et, d'ici 2030, de 50% par rapport à son niveau de 2015 dans les domaines de la consommation, de la production, de la transformation et de la restauration commerciale.

Les mesures phares de la loi Garot et ses évolutions

Votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale et le Sénat le 3 février 2016 et promulguée le 11 février 2016, la loi Garot est un véritable tournant. Mais elle permet surtout une avancée de taille : elle oblige les surfaces de vente de plus de 400 mètres carrés à proposer une convention de don à des associations caritatives pour la reprise de leurs invendus alimentaires encore consommables. La loi statue que ce don fait état d’une défiscalisation à hauteur de 60% de la valeur d’achat du produit donné. Autre avancée majeure : la France interdit, pour les distributeurs alimentaires, de rendre impropres à la consommation leurs invendus encore consommables, mettant un terme aux épisodes de javellisation des invendus. En 2016, un distributeur du secteur alimentaire qui rend délibérément impropres à la consommation des invendus alimentaires encore consommables s’expose à une amende de 10.000 euros.

Par la suite, les lois EGalim et AGEC étendront cette obligation de proposer une convention de don aux opérateurs de la restauration collective, aux opérateurs de l’industrie agroalimentaire et aux opérateurs de gros alimentaire. Elles rehausseront également les sanctions liées au non-respect de ces dispositions. Désormais, l’interdiction de rendre impropre à la consommation des denrées encore consommables s’applique aux industries agroalimentaires, aux grossistes, aux distributeurs et à la restauration collective.

La loi a notamment introduit une hiérarchie des actions à mener en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire, en donnant la priorité à la prévention, puis au don ou à la transformation. Viennent ensuite la valorisation en alimentation animale ou sous forme d’énergie. La destruction est envisagée en dernier recours.

De plus, les pratiques de destruction d’aliments encore consommables sont interdites. 11 février 2016 - La loi dite « Garot » établit une hiérarchie dans les actions pour la lutte contre le gaspillage alimentaire : favoriser la prévention du gaspillage, puis utiliser les invendus par le don ou la transformation, puis valoriser dans l’alimentation animale, et enfin utiliser les restes alimentaires à des fins de compost pour l’agriculture ou la valorisation énergétique (méthanisation).

Les distributeurs ayant une surface de vente de plus de 400 m², les opérateurs de la restauration collective préparant plus de 3 000 repas par jour, et les opérateurs de l’industrie agroalimentaire ayant un chiffre d’affaire supérieur à 50M€, et les grossistes (chiffre d’affaires supérieur à 50M€) doivent par ailleurs proposer des conventions de don à des associations d’aide alimentaire pour écouler leurs invendus. Il est en outre interdit, dans l’industrie agroalimentaire et la restauration collective, pour les grossistes et les distributeurs, de rendre impropres leurs denrées alimentaires invendues encore consommables. lLes contrevenants s’exposent à une amende pouvant atteindre jusqu’à 0,1 % de leur chiffre d’affaires.

En 2018, la France franchit une nouvelle étape dans sa lutte antigaspi. Cette ordonnance étend à l’ensemble des opérateurs de la restauration collective et de l’industrie agroalimentaire l’interdiction, qui s’applique déjà aux distributeurs du secteur alimentaire, de rendre les invendus alimentaires encore consommables impropres à la consommation. Chaque année, 7,3 milliards de repas sont servis en moyenne en restauration collective selon le Syndicat national de la restauration collective (SNRC). La restauration collective été identifiée comme un acteur majeur pour lutter contre la précarité alimentaire et limiter les conséquences environnementales et économiques du gaspillage.

Impact de la loi sur les dons alimentaires

Le pari semble réussi : en quelques années, les dons aux associations caritatives augmentent. Depuis son entrée en vigueur, 10 millions de repas ont été distribués et les dons aux associations ont augmenté de 22%, se félicite Arash Derambarsh, à l’origine de la loi. Un effort que le président de la BAPIF salue : "Cette loi a joué un rôle de catalyseur pour la lutte contre le gaspillage alimentaire et, par voie de conséquence, sur l'aide alimentaire. Elle a permis d'apporter une source plus régulière de dons, avec le monde de la grande distribution. Elle a été vraiment importante pour faire face à tous les besoins de l'aide alimentaire".

Pour François Gras, la loi Garot a effectivement permis d’augmenter les dons, dans une première phase. Mais l’inflation a changé la donne : "Les choses ont changé avec l'inflation. On n'a pas trop souffert du Covid en termes d'approvisionnement, il y avait les plans spéciaux de l'Europe, des donateurs financiers sont apparus et donc un très gros afflux", affirme-t-il.

Les banques alimentaires : un acteur clé

Le lieu choisi pour cet anniversaire, l’entrepôt de la banque alimentaire, est modeste. Mais il est avant tout à l’image de ces 40 ans d’engagement, et le lieu historique de la naissance des banques alimentaires. En Ile-de-France, la BAPIF a distribué 6240 tonnes de denrées alimentaires à ses 381 associations partenaires conventionnées en 2023. L’équivalent de 12,5 millions de repas. Aujourd’hui, les 79 banques alimentaires et 29 antennes accompagnent plus de 2,4 millions de personnes chaque jour et distribuent l’équivalent de 224 millions de repas par an, ce qui en fait le premier réseau d’aide alimentaire en France.

13 mars 1984. Sœur Cécile Bigo, dans son appel "J’ai faim", publié dans le journal La Croix, s’insurge contre le gaspillage alimentaire alors qu’il y a tant de pauvres dans la rue : "L’intelligence de l’homme invente d’aller sur la Lune. Sa conviction : le gaspillage alimentaire permet de lutter contre la précarité alimentaire. En l’espace de quelques années, une cinquantaine d’autres banques naissent sur le territoire. Au cours de l’hiver 1984, ému par cet appel et inspiré par le modèle américain et canadien des Food Banks, Bernard Dandrel sera le premier à y répondre : il décide de créer avec un collectif d’associations (Armée du Salut, Emmaüs, Secours Catholique, Centre d’Action Sociale Protestant et l’Entraide d’Auteuil), la première Banque Alimentaire de France à Arcueil (94).

En cette occasion, Sciences et Avenir dresse un bilan de cette loi en France, huit ans après sa promulgation. Reportage dernière les coulisses de la banque alimentaire de Paris et d’Ile-de-France (BAPIF), où tout a commencé, il y a 40 ans, jour pour jour. C’est toute une fourmilière de gilets orange qui s’active en ce mercredi matin. Le soleil est au rendez-vous, l’ambiance se veut festive. Pourtant, les camions de collecte stationnés devant l’entrepôt n’iront pas récupérer les invendus en ce jour de fête.

Défis et perspectives d'avenir

Mais l’effort reste insuffisant : "On est peut-être allé au bout de la loi en tant que telle", reconnaît François Gras. La banque alimentaire s’essouffle face à l’augmentation continue du nombre de ses bénéficiaires. D’ailleurs, sur les près de sept millions de personnes actuellement en situation de précarité alimentaire, le réseau des Banques Alimentaires permet d’en aider seulement 2,1 millions.

Guillaume Garot propose un rééquilibrage du bénéfice fait par les grandes surfaces - notamment avec ces mesures "anti-gaspi", conséquence naturelle de la lutte contre le gaspillage alimentaire - au profit des associations de solidarité : "il y aura peut-être des dispositions nouvelles à prendre dans l’avenir. Quand des supermarchés proposent des rayons anti-gaspi, avec des remises à -30% ou -50% parce que c’est le jour de la péremption, on peut considérer que les associations de solidarité sont privées d’une partie de ces invendus qu’auparavant elles recueillaient.

Huit ans plus tard, le parlementaire reste néanmoins convaincu de l’avancée de cette loi pour la France : "Notre pays est en pointe en Europe et probablement dans le monde contre le gaspillage alimentaire (…) la lutte contre le gaspillage alimentaire est devenue une évidence". Mais la lutte contre le gaspillage alimentaire ne s’arrête pas là : "c’est comme le vélo : quand on s’arrête de pédaler, on tombe. Donc il faut reprendre l’initiative", lance-t-il.

Pour le parlementaire, il faudra axer davantage sur la prévention du gaspillage alimentaire et l’éducation à l’alimentation à l’avenir. En attendant, Guillaume Garot invite tous les acteurs français intéressés et engagés contre le gaspillage alimentaire à se réunir, lors d’Etats généraux qui auront lieu en juin 2025, à l’Assemblée nationale. L’occasion de faire le bilan depuis la loi de 2016 et de déterminer un horizon commun pour lutter de manière plus forte contre le gaspillage alimentaire.

Chiffres clés du gaspillage alimentaire en France

En France, en 2022, 9,4 millions de tonnes de déchets alimentaires ont été produits (Eurostat, 2022) : parmi eux se trouvent des épluchures, des coquilles d’œufs ou des carcasses, mais également des produits comestibles, qui représentent 4 millions de tonnes. À l’origine de ces déchets se trouvent les ménages, mais aussi toute la chaine de production et d’acheminement des produits vers le consommateur.

En 2021, 8,8 millions de tonnes de déchets alimentaires ont été produits en France, soit 129 kg par personne. Toutes les étapes de la chaîne alimentaire y contribuent :

  • 1,24 millions de tonnes pour la production primaire (14%)
  • 1,72 millions de tonnes dans la transformation (20%)
  • 633 000 tonnes dans la distribution (soit 7%)
  • 1,08 millions de tonnes dans la restauration (12%)
  • 4,08 millions de tonnes dans les ménages (47%)

Parmi ces déchets, 4,5 millions de tonnes sont non comestibles (os, épluchures…). Le gaspillage alimentaire représente donc près de 4,3 millions tonnes de déchets issues des parties comestibles des aliments (aliments non-consommés encore emballés, restes de repas, etc.).

La France se situe légèrement en deçà de la moyenne européenne (près de 60 millions de tonnes de déchets alimentaires sont produites au niveau européen, soit 131 kg par habitant).

Le gaspillage alimentaire représente un prélèvement inutile de ressources naturelles (terres cultivables, eau, etc.), et des émissions de gaz à effet de serre qui pourraient être évitées. Ces dernières sont évaluées par l’Ademe à 3 % de l’ensemble des émissions nationales.

Voici un tableau récapitulatif des chiffres clés du gaspillage alimentaire en France :

Type de déchets Quantité (2021) Origine
Déchets alimentaires totaux 8,8 millions de tonnes Ensemble de la chaîne alimentaire
Gaspillage alimentaire (partie comestible) 4,3 millions de tonnes Principalement les ménages (47%)
Déchets non comestibles 4,5 millions de tonnes Os, épluchures, etc.

TAG:

En savoir plus sur le sujet: