Si les chercheuses et chercheurs s’interrogent encore sur les raisons exactes de l’accroissement massif de l’obésité à l’échelle de la planète, il est désormais acquis dans le champ scientifique que les récentes évolutions des environnements alimentaires ont un rôle déterminant. En effet, le développement de l’industrie agroalimentaire, les nouvelles stratégies marketing ainsi que les politiques agricoles et alimentaires ont encouragé l’apparition d’environnements dans lesquels les personnes sont exposées à une disponibilité énergétique excessive.
Définition des Déserts Alimentaires
Aux États-Unis en particulier, ces études révèlent l’ampleur des inégalités sociales en matière d’accès à l’alimentation. En effet, il existe des « déserts alimentaires » (de l’anglais food desert), définis par le ministère en charge de l’agriculture et de l’alimentation aux États-Unis (United States Department of Agriculture, USDA) comme « un secteur de recensement défavorisé (au moins 20 % de la population sous le seuil de pauvreté ou un revenu médian par foyer de 80 % ou moins du revenu médian par foyer du secteur) où une part significative (au moins 33 % de la population ou 500 personnes) des résidents habitent à plus de 1,6 km (1 mile) en milieu urbain, et 16 km (10 miles) en milieu rural, du supermarché le plus proche ».
Causes des Déserts Alimentaires
Aux États-Unis et au Royaume-Uni, où l’accroissement de l’obésité parmi la population fut particulièrement précoce et rapide, les premières études en santé publique menées à ce sujet dans les années 1990 supposent que certains environnements urbains favorisent davantage le surpoids que d’autres. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, face au constat de l’inégale répartition du surpoids et de l’obésité en fonction des territoires, de nombreux universitaires soupçonnent l’offre alimentaire commerciale d’être à l’origine de l’augmentation des tours de taille. Pour tester cette hypothèse, des études en épidémiologie et en nutrition évaluent le type d’offre alimentaire à laquelle les habitants et habitantes d’un quartier ont accès au moyen de plusieurs indicateurs : la densité et le type de commerces disponibles, la distance et l’accessibilité de ces commerces par rapport au lieu de résidence et enfin l’accessibilité monétaire de ces commerces au regard des moyens financiers des habitants.
En milieu urbain, à la difficulté d’accéder à une alimentation saine et abordable s’ajoute parfois dans un même quartier l’omniprésence d’une offre alimentaire peu variée, de faible valeur nutritionnelle et dense en calories : enseignes de restauration rapide, épiceries de proximité, grocery stores et liquor stores etc. On parle alors de « marécages alimentaires » (de l’anglais food swamp) pour désigner les quartiers où il est plus facile de se procurer des aliments ultra-transformés que des produits frais.
Ces déserts et marécages alimentaires se situent généralement dans les quartiers pauvres en périphérie des grandes villes, où la majorité des habitants sont afro-américains. Aux États-Unis, des études attestent de la concentration de fast-food autour des écoles, particulièrement dans les quartiers les plus modestes. Souvent, des distributeurs automatiques de boissons et d’aliments sont disponibles à l’intérieur même des écoles.
Conséquences des Déserts Alimentaires
Comme indiqué plus haut, déserts (ou marécages) alimentaires, pauvreté et forte prévalence d’obésité vont souvent de pair aux États-Unis. De plus, toujours dans le contexte étatsunien, il est courant que les inégalités sociales recoupent les inégalités raciales. Si les études ne sont pas unanimes à ce sujet, certains travaux attestent néanmoins d’une consommation de snacks et de sodas plus élevée que la moyenne chez les élèves qui fréquentent une école concernée par une offre alimentaire de type fast-food et distributeurs automatiques.
Toutefois, des études invitent à considérer le lien entre obésité, pauvreté et offre alimentaire avec prudence, faute d’avoir établi un lien de causalité net entre ces différents phénomènes. Un nombre croissant de travaux de recherche dénonce le caractère réducteur d’une vision qui voudrait faire des déserts alimentaires la principale cause de l’inégale répartition du surpoids et de l’obésité dans le pays.
Environnement Alimentaire et Obésité
Un environnement alimentaire (en anglais food environment) désigne l’ensemble des éléments extérieurs qui influence un individu dans ses habitudes alimentaires. Comme l’indique le schéma ci-dessous, il est constitué d’un environnement social (cercle amical, famille, collègues etc.), d’un environnement physique (quartier, école, commerces alimentaires, restaurants etc.) et d’un ensemble de facteurs à l’échelle macro (normes sociales, culture alimentaire, marketing, politique économique, agricole et alimentaire etc.), ces dernières ayant un effet moins direct sur les pratiques alimentaires. L’étude des environnements alimentaires s’inscrit dans une vision dite « écologique » de la santé, proposée par l’OMS en 1986 avec la Charte d’Ottawa.
Il est important de noter que dans le monde, le taux d’obésité a presque triplé depuis 1975 (OMS, 2020), au point qu’actuellement, 39 % des adultes sont en surpoids (IMC comprise entre 25 et 30) et 13 % sont en obésité (ibid.). Toutefois, d’importantes variations dans la prévalence d’obésité sont à noter en fonction des régions du monde : à titre d’exemple, alors que 40 % des Étatsuniens et Étatsuniennes sont obèses, seuls 4,2 % de la population japonaise est concernée (OCDE, 2018). Malgré ces fortes disparités, il n’en reste pas moins qu’à l’échelle mondiale, l’obésité constitue un facteur de risque majeur dans les causes de décès prématurés les plus courantes : les maladies cardiovasculaires, le diabète, l’hypertension et certains cancers.
L’ensemble des stratégies marketing destinées à influencer le choix des consommateurs et consommatrices fait partie intégrante de notre environnement alimentaire : publicité, emballages, image de la marque, prix, lieu de vente du produit, etc. Selon de nombreuses études, le marketing serait un des facteurs majeurs de l’augmentation du surpoids à l’échelle planétaire.
En effet, la promotion de produits alimentaires de faible qualité nutritionnelle et bon marché contribue au développement d’un environnement obésogène face auquel les populations les plus modestes sont aussi les plus vulnérables en raison d’un moindre capital culturel et économique. Dès lors, un nombre croissant d’instances de santé publique enjoignent les gouvernements à prendre des mesures contraignantes pour réguler le marketing alimentaire : taxation des produits les moins sains, limitation de la publicité, amélioration de l’étiquetage nutritionnel etc.
De nombreuses études attestent du fait que plus les jeunes sont exposés à des publicités pour des fast-food, des snacks sucrés et des sodas, plus ils sont susceptibles d’en consommer et d’être concernés par le surpoids et l’obésité. L’exposition aux écrans et donc à la publicité varie selon le milieu social, les adolescents des milieux modestes regardant en moyenne davantage la télévision que les adolescents de milieu aisé, et ce avec une moindre surveillance parentale.
L’étiquetage alimentaire a pour objectif d’informer les consommateurs et consommatrices sur plusieurs points du produit alimentaire concerné : l’origine, le nombre de calories, la liste des ingrédients, la déclaration nutritionnelle etc. Si des études montrent la relative influence de l’information nutritionnelle sur les choix alimentaires des individus à elle seule, elle n’en reste pas moins un outil intéressant de lutte contre les environnements obésogènes quand elle est complétée par d’autres mesures contraignantes telle que la taxation et l’interdiction de vente de certains aliments peu sains.
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