Cigarettes et Chocolat Chaud est le premier film légèrement autobiographique d’une réalisatrice qui ne manque pas de cœur. Cette pépite tendrement guimauve aux allures de Captain Fantastic urbain, navigue habilement entre rires et émotions, soutenu par de jolis instants de poésie. Le film représente bien plus qu'un simple divertissement. Il permet une halte contemplative dans un monde où tout passe trop vite, fournit un repos de ...
L'histoire de la famille Patar
Denis Patar est un père aimant mais débordé qui se débat seul avec l’éducation de ses filles, Janis, 13 ans, et Mercredi, 9 ans, avec deux boulots et une bonne dose de système D. Un soir, Denis oublie, une fois de trop, Mercredi à la sortie de l’école. Une enquêtrice sociale passe alors le quotidien de la famille Patar à la loupe et oblige Denis à un « stage de parentalité ». Ce portrait d’une famille hors normes est quelque peu autobiographique pour Sophie Reine.
Effectivement, Denis et Caroline formaient un couple hippie contestataire. Malheureusement, Caroline disparaît prématurément laissant à Denis le soin de s’occuper de leurs deux filles. Le voilà donc responsable, bien malgré lui, d’une famille de bric et de broc mais soudée et pleine de vie. Incarné par un Gustave Kervern touchant, cet homme nonchalant mais au caractère bien trempé va devoir assurer le quotidien, lui qui peine à s’assumer lui-même, qui n’a comme principe d’éducation que son amour paternel et qui financièrement a bien du mal à joindre les deux bouts.
On s'attache à cet univers et à ces personnages comme si on avait toujours vécu avec eux. Chez les Patar, il est courant de porter des chaussettes dépareillées ou des vêtements bariolés, le pantalon de l’un ayant déteint sur le tee-shirt de l’autre. Ce papa déboussolé n’a qu’un credo : protéger ses enfants à tout prix d’un monde brutal « où les mamans et les cochons d’Inde meurent sans prévenir ». Incapable d’allier théorie et pratique, désarçonné par la maladie de sa fille aînée encore aggravée par le décès de sa mère, il est jugé parent défaillant par l’administration qui lui impose un stage de responsabilité parentale.
Il devra donc se frotter au mode d’éducation normé que symbolise l’assistante sociale Séverine Grellot, dans la peau de laquelle la désormais incontournable et excellente Camille Cottin se glisse avec une belle aisance. Cette confrontation est évidemment prétexte à une kyrielle de scènes drôles et tendres car s’il l’on prend d’emblée parti pour la faconde débonnaire de Denis, on découvre peu à peu, à travers le personnage de Séverine, un humour délicat, pris en étau entre devoirs administratifs et désirs personnels. Les personnalités des deux filles, de l’aînée qui navigue avec une facilité déconcertante entre fragilité et humour à la plus jeune d’une spontanéité naturelle touchante, complètent un casting impeccable.
Genèse et Inspiration du Film
La genèse de Cigarettes et chocolat chaud est à relier au film Le Premier jour du reste de ta vie sur lequel Sophie Reine officiait en tant que monteuse. Cette dernière avait fabriqué un détournement du film de Rémi Bezançon qu'elle avait montré à la productrice Isabelle Grellat, laquelle lui a proposé de réaliser son propre film. Le titre du film a été inspiré à Sophie Reine par une chanson de Rufus Wainwright "Cigarettes and chocolate milk".
Elle explique : "Elle parle d’un homme qui demande à être accepté tel qu’il est, avec toutes ses manies et ses imperfections… C’est incroyable à quel point elle m’évoque la famille Patar. Sophie Reine avait été bouleversée il y a quelques années par un documentaire qui suivait un jeune garçon atteint du Syndrome Gilles de la Tourette. C'est pour cette raison qu'elle a décidé d'en parler dans Cigarettes et chocolat chaud. La cinéaste avait même contacté l’AFSGT (Association Française du Syndrome Gilles de la Tourette) et le professeur Andreas Hartmann qui lui ont permis de rencontrer des familles concernées par le sujet. Héloïse Dugas, qui joue le personnage de Janine, a elle aussi rencontré plusieurs fois une jeune fille de son âge atteinte du syndrome.
Avant le tournage, Sophie Reine a demandé au directeur de la photographie Renaud Chassaing, à la costumière Julie Miel et au chef décorateur Thomas Grezaud de visionner plusieurs films qui ont servi de références visuelles. C'est le cas de Buffalo 66 pour ses gros plans, Juno et Little Miss Sunshine pour ses couleurs chaudes, ses costumes et ses décors. Elle se s'amuse: "Chez les Patar, comme chez les Reine, on porte des chaussettes dépareillées, on va au boulot avec des fringues multicolores parce que les tutus fuchsia des unes ont déteint sur les pantalons crème des autres, on mange des chips au petit-déj… bien loin des 5 fruits et légumes par jour et du régime sans gluten !"
Réflexions de la Réalisatrice et des Acteurs
Sophie Reine explique que le titre est comme ça : des cigarettes pour les adultes, et du chocolat chaud pour les enfants. Elle ajoute qu'il lui a été inspiré par une chanson de Rufus Wainwright CIGARETTES AND CHOCOLATE MILK, qui tourne dans sa tête depuis les prémices de l’écriture. Elle parle d’un homme qui demande à être accepté tel qu’il est, avec toutes ses manies et ses imperfections… C’est incroyable à quel point elle m’évoque la famille Patar.
Sophie Reine parle de la grande part autobiographique du film, même si elle a connu cela plus tard que les personnages. Elle avait envie de traiter la non-communication dans une famille. Gustave Kervern ajoute que c’est toujours très compliqué de parler aux enfants, surtout à l’adolescence où ils sont difficilement réceptifs, alors parler de la mort… On se pose toujours beaucoup de questions dans la façon d’élever nos enfants, on sait que l’on commet des erreurs, on se dit que l’essentiel est de les aimer, on essaie de faire du mieux qu’on peut. Mais cela ne suffit pas à t’apaiser en tant que parent.
Sophie Reine souligne que le stage parental que doit suivre Denis Patar pour espérer conserver la garde de ses filles existe bel et bien, même s’il est peu utilisé. Cela pose la question de savoir ce qu’est un bon parent, dans une société très normalisée qui laisse peu de place à l’originalité finalement. Nous sommes une génération de parents qui font les frais de la psychanalyse. Elle avait envie de parler de ce syndrome qui est très handicapant socialement, ajoutant qu'au départ, le scénario était conçu du point de vue de Janine, mais le risque avec une histoire écrite à hauteur d’enfant est de vite tourner en rond. On a donc préféré que le syndrome soit un déclencheur qui met Denis Patar face à ses responsabilités et à un choix.
Choix des Acteurs et Ambiance du Tournage
Sophie Reine explique qu’à travers son cinéma très original et sa personnalité engagée, Gustave était le Patar idéal. Elle a carrément joint une lettre d’amour au scénario ! Trois heures plus tard, il débarquait au café en tongs et lui disait « je ne suis pas acteur, pourquoi moi ? » ce à quoi elle a répondu « ça tombe bien, je ne suis pas réalisatrice, allons-y ! ». Elle le soupçonne d’être un papa comme ça : instinctif, flippé et tendre.
Pour Camille Cottin, Sophie Reine était déjà une grande fan des programmes courts, "Connasse", où elle fait une performance d’actrice et elle l’a adorée, fragile et amoureuse. Elles avaient la même vision du personnage : une jeune femme enfermée dans le cadre strict de l’administration mais dédiée corps et âme à sa mission : préserver le bien-être des enfants. Une sorte de super nanny moderne qui fait ce qu’elle peut avec les outils qu’on lui donne.
Gustave Kervern ajoute que plus que le rôle, c’est l’énergie de Sophie, sa sincérité. Il démarre une carrière d’acteur sur le tard, il n’a pas envie de faire n’importe quoi. La rencontre avec le réalisateur est primordiale, il faut qu'il se sente bien, en confiance. Il est vrai qu'il a eu un peu peur de la comédie familiale, et du déjà-vu, mais son imagination et son travail sur l’animation créent la vraie singularité du film. Sophie est une bosseuse, têtue dans le bon sens du terme, pour faire chez elle les scènes qui lui manquaient. Il aime aussi beaucoup Camille Cottin, son audace et sa sensibilité. Et puis étant père de famille, les difficultés de l’éducation l’intéressaient également.
Un Film Touchant et Original
Un film inattendu et très original, avec une atmosphère unique et attachante, le tout sur une idée amusante du contraste entre l'univers foutraque de la famille Patar et la "normalité" imposée par la société dans l'éducation des enfants. On navigue tout au long du film entre le rire et les larmes, à travers un déroulé fluide et sans temps mort.
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