Le débat entre pain au chocolat et chocolatine divise la France depuis plusieurs années. Ce débat est un des principaux problèmes gastronomiques de notre pays. On sait que c’est un problème qui divise les français.
Origines du Débat
Essayez de parler pain au chocolat avec un habitant du Sud-Ouest. Il vous rétorquera qu'«on ne dit pas pain au chocolat, mais chocolatine». En quelques mots, celui-ci risque de raviver le clivage entre le Nord et le Sud que cette délicieuse viennoiserie a provoqué il y a longtemps déjà. Et le débat est toujours vif.
En mars dernier un sondage IFOP commandé par la Fédération des entreprises de boulangerie a décrété que 84 % des Français disent privilégier le terme « pain au chocolat » pour désigner la fameuse viennoiserie rectangulaire quand seulement 16 % préfèrent dire « chocolatine ».
Sans que l’on sache vraiment pourquoi, cette petite douceur de nos boulangeries a créé dans notre pays une véritable scission, une fracture irréparable. D’un côté, une majorité de la population appelle ça « pain au chocolat » de l’autre, un bastion d’irréductibles sudistes l’appelle la « chocolatine », ainsi que quelques québécois.
En Belgique, on emploie plus volontiers le mot « Couque au chocolat », mais « pain au chocolat » est aussi connu, alors que « chocolatine » est très marginal. Mais au nombre de locuteurs, c’est tout de même pain au chocolat qui gagne.
Qu'est-ce que c'est ?
Le pain au chocolat, chocolatine, ou même couque au chocolat, est une viennoiserie constituée d'une pâte levée feuilletée - identique à celle du croissant - enroulée autour de deux barres de chocolat. La recette du pain au chocolat et de la chocolatine est en effet identique. Cette viennoiserie est élaborée à partir de pâte levée feuilletée et de bâtons de chocolat. La préparation implique de plier la pâte autour des bâtons de chocolat avant de la faire cuire au four.
Histoire et Origines
À la différence de viennoiseries comme la brioche ou le pain aux raisins, l'histoire de la chocolatine est très peu connue et n'a pas d'ailleurs pas d'intérêt historique majeur. «Il n'y a pas de date à laquelle situer le premier pain au chocolat», explique Dominique Anract. «S'il fait bien entendu partie intégrante des codes et usages de la viennoiserie française, il s'agit d'une simple déclinaison du croissant», ajoute-t-il.
De même que pour l'histoire des viennoiseries autrichiennes et du kipferl, l'ancêtre du croissant, on peut dire que le pain au chocolat n'a pas une seule origine et que les diverses légendes qui entourent sa conception sont toutes potentiellement valables. Donc...
Légendes et Théories
Certaines légendes affirment que le pain au chocolat s'appelle chocolatine, quand d'autres assurent l'origine du nom pain au chocolat. Parmi ces récits, que détaille le blog Couteaux & Tire-bouchons, l'un situe la naissance du pain au chocolat au XVe siècle. La région Aquitaine était alors sous le règne de l'Angleterre et ce sont les Anglais qui auraient donné au pain au chocolat le nom de chocolatine.
Friands de la viennoiserie française, ils auraient commandé des «chocolate in bread» au comptoir des boulangeries, devenu «chocolate in», avec le temps. Une hypothèse probablement fausse. Dans son ouvrage, August Zang and the French Croissant : How Viennoiserie Came to France, l'historien culinaire Jim Chevalier rappelle que l'arrivée en France du chocolat daterait de 1492.
D'autres théories «plus plausibles», selon Dominique Anract, situent l'arrivée du pain au chocolat en France, au XIXe siècle. «C'est une viennoiserie assez récente», indique le président de la Confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie française. En effet, toujours selon le livre de Jim Chevalier, ce serait le boulanger autrichien Auguste Zang, qui aurait importé les viennoiseries dans la capitale française, et notamment le «Schokoladencroissant».
Enfin, on raconte que le nom du pain au chocolat viendrait du goûter des enfants. Le traditionnel morceau de pain accompagné d'un carré de chocolat que mangeaient les écoliers à la récréation aurait tout simplement donné son nom à la célèbre viennoiserie...
L'influence Autrichienne
Le pain au chocolat est une viennoiserie. Pour ceux qui ne le savent pas, ce terme a commencé à être utilisé au XIXème siècle en France pour désigner des pâtisseries d’inspiration viennoise. En effet, à cette période les échanges culturels entre l’Autriche et la France sont plutôt forts : le Royaume de France et l’Empire Autrichien sont deux des principales puissances européennes, qui plus est liées par alliance (Marie-Antoinette d’Autriche était Reine de France à peine quelques décennies plus tôt).
La première « Boulangerie Viennoise » est installée en France dans les années 1830 au 92 rue Richelieu (dans l’actuel deuxième arrondissement, près de la Bourse), et est dirigée par un autrichien : Auguste Zang. Vous allez me dire, ça ne nous avance pas beaucoup sur le nom du pain au chocolat pas vrai ? Eh bien si ! L’hypothèse la plus probable de l’origine du nom « chocolatine » viendrait justement de cet autrichien. L’entendant vendre des « Schokoladencroissant » avec son accent autrichien, les français auraient progressivement transformé le mot en « Chocolatine » (Schokoladen - Chocolatine, vous voyez ?).
Il est donc probable que le premier terme pour désigner une viennoiserie fourrée au chocolat ait été « Chocolatine », à cause de cette déformation linguistique. Et c’est d’ailleurs plutôt logique puisque la particularité de cette viennoiserie est surtout d’être au chocolat (elle a d’ailleurs vite perdu sa forme de croissant).
Évolution du Terme
Quand au terme « pain au chocolat » il serait plus récent. D’après Nicolas Berger, auteur d’une encyclopédie du chocolat (Chocolat, mots et gestes) publié aux éditions Alain Ducasse, le mot pain au chocolat désignait à l’origine un morceau de pain dans lequel on fourrait un bout de chocolat pour le goûter des écoliers. Lorsque les viennoiseries ont été reprises et réinterprétée par les pâtissiers français au début du XXème siècle, en utilisant notamment de la pâte levée feuilletée, certains auraient repris ce terme.
Selon l'historien et auteur de l'ouvrage Les mots du pain. "J’ai régulièrement fait des recherches sur tout ce qui touche le pain. (...) Un certain Zang August (...) a amené le croissant, qui commémore une victoire des Autrichiens sur les Turcs en 1 683. "Chocolatine" proviendrait alors d'une mauvaise compréhension du nom de ce "Schokoladeen croissant" : "Entre l’accent autrichien "qui prononce les 'd' comme des 't' et le nôtre, les Parisiens ont appelé la viennoiserie chocolatine", détaille-t-il, précisant que cette appellation a duré plusieurs dizaines d'années, jusqu'à une revisite de la recette.
Analyse Linguistique
Essayons maintenant de comprendre quel est le terme technique le plus adéquat. On sait qu’aujourd’hui dans les écoles de pâtisseries, on parle de « pain au chocolat ». Il semblerait donc que le vrai terme technique soit celui-là. Vraiment ?
Dans la pâtisserie française traditionnelle, et ce depuis Antonin Carême et son Traité élémentaire et pratique de la pâtisserie moderne et ancienne, on appelle « petit pain » ou « pain » toutes les pâtes fourrées. Mais si l’on observe la composition de notre petite viennoiserie au chocolat, les choses sont différentes.
Ce qu’on appelle « pain » en pâtisserie est en général fabriqué avec de la pâte à pain au lait, ou au mieux de pâte à brioche : c’est le cas du pain au lait ou du pain viennois par exemple. Or le pain au chocolat utilise une pâte levée feuilletée, plus proche de celle qu’on retrouve dans les croissants, les vol-au-vent ou les galettes des rois.
Logiquement, on devrait donc dire « pain au chocolat » pour des viennoiseries faites à base de pâte à pain au lait, et employer un autre terme pour désigner celle faite avec de la pâte levée feuilletée.
Puisque les viennoiseries s’exportent partout dans le monde, on peut aussi trancher en voyant comment les étrangers en parlent. On sait qu’au Canada, via le Québec, on dit plutôt chocolatine. Dans les pays germanophone, on emploie plus volontiers le terme « Schokoladencroissant ». Dans les pays anglophones, notamment les USA, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, on dit « chocolate croissant », notamment dans les grandes enseignes comme Starbucks. En Espagne un équivalent local est vendu sous le nom « Napoletanas », et au Mexique et en Amérique Latine, quand on en trouve, on parle de chocolatine. Sinon, un peu partout on trouve le terme « pain au chocolat » directement en français sans le traduire.
Mais le problème, c’est que sur le plan lingustique, le mot pain au chocolat n’a pas de logique. Il introduit d’ailleurs une confusion pour beaucoup d’étrangers. Quand on traduit « pain au chocolat » dans ces langues, ça évoque plus un cake ou un pain qu’une viennoiserie. On est les seuls dans le monde à utiliser ce non-sens : parler d’un pain pour un truc qui n’a rien à voir avec du pain.
Ce n’est ni de la pâte à pain au lait, ni de la pâte à pain, ni même de la pâte à pain d’épice ! Alors pourquoi on parle de pain bordel ? Chocolatine en revanche, c’est un terme unique, notre terme à nous, le terme originel !
Répartition Géographique
Vous avez déjà forcément vu ces cartes : la majorité de la population française emploie le mot « pain au chocolat ». « Chocolatine » est réservé aux régions bordelaises et toulousaines.
Pour faire simple, on peut résumer le débat chocolatine ou pain au chocolat en un très simple : sud-ouest vs reste de la France. En somme, toute la France dit pain au chocolat à l’exception d’irréductibles occitans, fervents défenseurs de leurs chocolatines. De Bordeaux aux Pyrénées, en passant par Toulouse, impensable de parler de pain au chocolat.
Dans une région où le débat entre “pain au chocolat” et “chocolatine” est presque une question d’identité, il est surprenant de constater que seulement 63% des habitants d’Aquitaine utilisent le terme “chocolatine”. L’appellation “chocolatine” est majoritairement utilisée dans le Sud-Ouest de la France, plus précisément dans les régions de Bordeaux et Toulouse. En dehors de ces zones, l’appellation “pain au chocolat” est prédominante.
L'Identité Régionale
Derrière ce débat se cache malgré tout une petite question de revendication d’identité régionale. Un acte de résistance pacifique et amusant, mais qui traduit malgré tout une envie de préserver et de mettre en avant des spécificités locales. À tel point que la chocolatine a même été l’étendard d’un amendement proposé par des députés souhaitant « valoriser l’usage courant d’appellation due à la notoriété publique du produit et de ses qualités reconnues au travers d’une appellation populaire ».
Plus clairement, il était surtout question de rendre ses lettres de noblesse à un parler et à des produits locaux. L’opposition au mot “pain au chocolat” dans le Sud-Ouest peut être vue comme une affirmation de l’identité régionale. Le terme “chocolatine”, étant un régionalisme, est vu comme un signe d’appartenance et d’authenticité. Les habitants de la région sont fiers de cette singularité et la défendent avec passion.
L'Académie Française
L’Académie française, institution de référence pour la langue française, a également été sollicitée dans ce débat linguistique. Selon certaines sources, un groupe de lycéens de Montauban a même écrit à François Hollande et à l’Académie française pour faire officiellement reconnaître le mot “chocolatine”. En revanche, il semble que l’Académie française n’ait pas encore tranché officiellement sur cette question.