Le simple nom d'une viennoiserie au chocolat peut déclencher une guerre linguistique acharnée en France. "Pain au chocolat" ou "chocolatine" ? Ce débat, apparemment anodin, reflète des réalités sociolinguistiques complexes, des identités régionales et une histoire riche et parfois controversée. Plutôt que de trancher la question de manière définitive (ce qui serait impossible), explorons les différents aspects de ce fascinant dilemme.
De la Viennoiserie à la Bataille Sémantique : Une Histoire en Couches
Avant de plonger au cœur du débat, il est crucial de comprendre l'origine de cette délicieuse viennoiserie. Son arrivée en France au XIXe siècle, probablement inspirée par des pâtisseries autrichiennes ou allemandes (le terme "schokoladencroissant" est évoqué), marque le début de son histoire. Son nom, cependant, n'a pas été immédiatement fixé. L'expression "pain au chocolat", largement répandue dans le nord de la France, s'est imposée progressivement, tandis que "chocolatine", plus ancré dans le sud-ouest, conserve une forte connotation régionale.
L'Aspect Régional : Une Question d'Identité
La répartition géographique des termes "pain au chocolat" et "chocolatine" est loin d'être aléatoire. Le premier domine largement dans le nord et le centre de la France, tandis que le second est principalement utilisé dans le Sud-Ouest, notamment en Aquitaine, Occitanie et Midi-Pyrénées. Cette disparité linguistique souligne l'importance des dialectes et des particularismes régionaux dans la construction de l'identité française.
Pour beaucoup dans le Sud-Ouest, "chocolatine" n'est pas qu'un simple synonyme ; il représente un attachement à leur patrimoine culturel et linguistique, une résistance symbolique face à l'hégémonie parisienne. Des études, comme celle de l'Ifop, ont mis en lumière cette réalité. Si une majorité de Français utilise "pain au chocolat", une proportion significative, principalement située dans le Sud-Ouest, reste attachée à "chocolatine". Ce chiffre, bien que minoritaire au niveau national, représente une force culturelle notable.
L'Influence Linguistique : Occitan et Au-Delà
L'utilisation de "chocolatine" dans le Sud-Ouest pourrait également être liée à l'influence de la langue occitane, dont le vocabulaire et les expressions ont pu contribuer à la création et à la diffusion de ce terme. L'étude de l'étymologie et de la sémantique régionale est donc essentielle pour comprendre la complexité de ce débat.
Les Tentatives de Réglementation : Une Bataille Politique ?
La controverse autour du nom de cette viennoiserie a même atteint le niveau politique. Des propositions ont été faites pour officialiser "chocolatine" dans certaines régions, soulignant l'importance du débat dans le paysage politique et socioculturel français. Ces initiatives, bien que souvent symboliques, témoignent de la sensibilité du sujet et de la volonté de certains de préserver les particularismes régionaux.
Au-Delà de la Simple Appellation : Un Reflet de la Société
Le débat "pain au chocolat" vs "chocolatine" dépasse largement le simple choix d'un mot. Il met en lumière des questions plus profondes concernant :
- L'identité régionale : Le choix du terme reflète souvent un sentiment d'appartenance à une région et une culture spécifiques.
- La standardisation linguistique : Le débat soulève la question de la normalisation de la langue française et de la place des régionalismes.
- La centralisation vs la décentralisation : La préférence pour "pain au chocolat" est souvent perçue comme une imposition parisienne, tandis que "chocolatine" représente une résistance à cette centralisation.
- Le poids des médias : La médiatisation du débat a contribué à amplifier les tensions et à renforcer les positions des différents camps.
L'Argumentation des Deux Camps : Une Analyse
Les partisans de "pain au chocolat" mettent souvent l'accent sur la simplicité et la clarté du terme, sa diffusion nationale et son ancrage dans l'usage courant. Ils peuvent voir "chocolatine" comme un régionalisme inutile ou même une tentative de marginaliser le terme dominant. À l'inverse, les défenseurs de "chocolatine" insistent sur son caractère historique et régional, son lien avec la langue occitane et son importance dans l'affirmation d'une identité culturelle distincte. Pour eux, "pain au chocolat" est une imposition linguistique venant du nord de la France.
Origine du nom : L'hypothèse autrichienne
L’hypothèse la plus probable de l’origine du nom « chocolatine » viendrait justement de cet autrichien, Auguste Zang, qui tenait une boulangerie viennoise à Paris au XIXe siècle. L’entendant vendre des « Schokoladencroissant » avec son accent autrichien, les français auraient progressivement transformé le mot en « Chocolatine » (Schokoladen - Chocolatine, vous voyez ?). Il est donc probable que le premier terme pour désigner une viennoiserie fourrée au chocolat ait été « Chocolatine », à cause de cette déformation linguistique. Et c’est d’ailleurs plutôt logique puisque la particularité de cette viennoiserie est surtout d’être au chocolat (elle a d’ailleurs vite perdu sa forme de croissant).
L'appellation "pain au chocolat" : Une explication
D'après Nicolas Berger, auteur d’une encyclopédie du chocolat (Chocolat, mots et gestes) publié aux éditions Alain Ducasse, le mot pain au chocolat désignait à l’origine un morceau de pain dans lequel on fourrait un bout de chocolat pour le goûter des écoliers. Lorsque les viennoiseries ont été reprises et réinterprétée par les pâtissiers français au début du XXème siècle, en utilisant notamment de la pâte levée feuilletée, certains auraient repris ce terme.
La vision d'un boulanger toulousain
Lorsqu’il a voulu se pencher sur la rédaction de son livre « Les mots du pain », Jean Lapoujade, le boulanger originaire de Toulouse a fait une étonnante découverte : le mot chocolatine a fait son apparition au milieu du XIXe siècle. À cette époque, un certain Zang August, avait amené la baguette en France. À cause de l’accent autrichien, les Parisiens ont préféré nommer la viennoiserie « chocolatine ». Mais au début du XXe siècle, lorsque les boulangers ont revisité la recette en remplaçant la pâte à brioche par une pâte feuilletée, ils ont également changé l’appellation et l’ont rebaptisé pain au chocolat. Cela ayant pour but de faire un lien avec leur métier.
Une boulangère joue sur les prix
A défaut de pouvoir déplacer sa boulangerie dans sa région d’origine, Myriam Gudin a voulu faire une petite blague à ses clients concernant l'éternel débat entre ''chocolatine'' ou ''pain au chocolat''. Il y a environ un an, elle a mis deux étiquettes sur ses viennoiseries : l’une avec écrit « pain au chocolat : 5 euros » et une où on pouvait lire « chocolatine : 1,05 euro ». « Quand ils voient le prix, les clients changent vite d’avis et choisissent la chocolatine », plaisante-t-elle.
Elle ne fait la blague qu'aux clients plaisantins, mais pas de panique pour les plus téméraires, elle ne fait pas réellement payer 5 euros le pain au chocolat. Cependant, « la majeure partie de mes clients lisent l’étiquette et disent chocolatine », prévient la boulangère, qui assure ne sortir l’étiquette des pains au chocolat qu’avec des clients ouverts à la plaisanterie.
Tableau récapitulatif des termes utilisés
Terme | Région d'utilisation |
---|---|
Pain au chocolat | Nord et centre de la France |
Chocolatine | Sud-Ouest de la France (Aquitaine, Occitanie, Midi-Pyrénées) |
Couque au chocolat | Belgique (moins courant) |
Schokoladencroissant | Pays germanophones |
Chocolate croissant | Pays anglophones (USA, Australie, Nouvelle-Zélande) |
Napoletanas | Espagne (équivalent local) |