Depuis longtemps, on essaie de déterminer la place de l’homme dans la chaîne alimentaire. L’idée que l’être humain règne en maître à son sommet est ancrée dans la compréhension que nous avons de la nature. Un anthropologue a qualifié d'«étrange prise de conscience» le fait que l'être humain ne se trouve pas toujours au sommet de la chaîne alimentaire, même s'il n'est pas souvent en position de proie. Pour la grande majorité des citadins, il reste très rare de croiser un ours ou un tigre, à part lors d'une visite au zoo local.
Qu'est-ce que le Niveau Trophique?
En écologie, le terme de chaîne alimentaire désigne une succession de relations alimentaires existant entre les organismes (bactéries, végétaux, animaux) vivant dans un même écosystème. La notion de chaîne alimentaire est très importante pour comprendre les relations d'interdépendance qui existent entre les différents organismes peuplant un écosystème. Diminuer la population d'une proie par exemple aura un impact négatif sur toutes les espèces qui s'en nourrissent ; à l'inverse, diminuer la population d'un prédateur aura pour conséquence une prolifération de ses proies. On associe souvent la place d'un organisme dans une chaine alimentaire à son niveau trophique (producteur, consommateur primaire, secondaire, etc.). D'autre part, les chaines alimentaires peuvent se croiser : une espèce peut par exemple se nourrir de juvéniles d'espèces qui sont normalement situés après lui dans la chaine alimentaire.
Le niveau trophique détermine la position d'une espèce dans la chaîne alimentaire. Les scientifiques utilisent les relations alimentaires des organismes pour définir leur position dans la chaîne trophique. Autrement dit, le niveau trophique représente donc « le nombre d’intermédiaires entre les producteurs primaires et leur prédateur ». Par exemple, les graminées sont définies comme le niveau 1 et les vaches qui se nourrissent de ces graminées sont définies au niveau 2. Les espèces qui se nourrissent à moitié de graminées et à moitié de vaches sont définies au niveau 2.5. Puis des calculs sont faits en fonction de la perte d’énergie qui passe d’organisme en organisme au fil de la chaine trophique. Ce qui signifie que plus de production primaire est nécessaire pour maintenir des niveaux trophiques plus élevés. L’étude donne un exemple : « En supposant une perte d’énergie lors du transfert de 10 %, il faudrait 100 kg C de production primaire pour produire 1 kg C d’une espèce qui a un niveau trophique définit à 3.
Le niveau trophique d'une espèce est fonction de son régime alimentaire. Ainsi, les végétaux, qui sont les premiers producteurs de matières organiques, appartiennent au premier niveau trophique. Les herbivores relèvent du deuxième niveau. Les carnivores, prédateurs se nourrissant d'herbivores, pointent aux niveaux supérieurs.
Les Différents Niveaux Trophiques
- Les producteurs autotrophes comme les algues, capables de faire de la photosynthèse et ainsi de fabriquer de l’énergie à partir du gaz carbonique de l’air.
- Les consommateurs primaires (les herbivores qui se nourrissent des producteurs).
- Les consommateurs secondaires (les carnivores qui se nourrissent d’herbivores).
- Les consommateurs tertiaires (les carnivores qui se nourrissent eux-mêmes de carnivores secondaires).
- Les décomposeurs comme les champignons, qui dégradent la matière organique et restituent au sol les minéraux.
L'Homme: Un Prédateur Surprenant?
Une étude scientifique démontre que l'homme est au même niveau que l'anchois dans la chaîne alimentaire. Il ne serait donc pas le prédateur supérieur qu'on croit. Avec un HTL de 2.21, l’humain se retrouve au même niveau que l’anchois ou le cochon dans la chaine trophique. L’orque par exemple, est un super prédateur (prédateur alpha ou apex prédateur) qui se nourrit essentiellement d’oiseaux de mer, de calamars, de pieuvres, de tortues de mer de requins, de raies et de poissons. Ils mangent également la plupart des mammifères marins, tels que les phoques et les dugongs.
Pour arriver à cette conclusion quelque peu déroutante, l'équipe Ifremer-Institut de recherche pour le développement-Agrocampus-Ouest a calculé pour la première fois le «niveau trophique» de l'homme. C'est cet indice qui détermine la position d'une espèce dans la chaîne alimentaire. «C'est vrai qu'il n'y a personne au-dessus de l'homme», en tout cas personne pour le manger, reconnaît auprès de l'AFP Sylvain Bonhommeau, principal auteur de l'étude publiée cette semaine dans les Comptes rendus de l'Académie américaine des sciences (PNAS). Mais il n'est pas le superprédateur qu'on a coutume de présenter, du moins en termes d'alimentation.
Bien que ce niveau trophique soit un indice connu pour la majeure partie des espèces terrestres et marines, cet indice n'avait jamais été calculé pour l'Homme. En utilisant les données de la FAO [2] sur la consommation humaine pour la période 1961-2009, les scientifiques ont défini un niveau trophique de 2.2 pour l'Homme.
Variations Géographiques et Évolutions du Niveau Trophique Humain
Les scientifiques ont également analysé les différences de niveau trophique humain par zones géographiques. Bien que les régimes alimentaires soient très variés à travers le monde, l'étude met en évidence l'existence de seulement 5 groupes de pays avec des niveaux trophiques proches et des tendances similaires. On notera par exemple que le Burundi est le pays avec le HTL le plus bas.
Afin d’obtenir ses résultats et calculer pour la première fois l’indice trophique de l’humain, l’étude s’est basée sur les données nationales de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sur l’approvisionnement alimentaire humain par aliment par habitant et par an entre 1961 et 2009. A noter que ce score évolue en fonction des habitudes alimentaires des pays et de l’évolution de ces habitudes alimentaires au fil des années. Cette étude permet également de voir les différences d’habitudes alimentaires en fonction des contextes socio-économiques dans les pays du monde. Ainsi, nous avons un groupe dont le régime alimentaire est principalement basé sur les végétaux (pays subsahariens et la plupart de l’Asie du Sud-Est), un groupe dont l’alimentation en produits animaux est en augmentation (Chine, Brésil ou encore l’Europe du Sud) et un groupe dont la consommation de produits animaux est en diminution (Amérique du Nord, Europe du Nord ou Australie). Les chercheurs constatent dans l’étude que le niveau trophique humain a augmenté de 3 % entre 1961 et 2009.
Les chercheurs ont cependant constaté que le niveau trophique humain a augmenté de 3 % au cours des 50 dernières années. L'augmentation de notre niveau trophique a ainsi des répercussions immédiates sur notre extraction de ressources naturelles dans un monde à capacité limitée.
Il faut savoir qu’en fonction du pays, les hommes ne sont pas tous au même niveau dans la chaîne alimentaire. Cela dépend aussi beaucoup du régime alimentaire. Ainsi pour les pays qui consomment une nourriture composée à moitié de plantes et de viande, le niveau trophique est d’environ 2.5. D’autres facteurs entrent aussi en compte, c’est le niveau du PIB (produit intérieur brut) du pays, l’urbanisation ou encore le niveau d’éducation.
Implications et Responsabilités
Comme le mentionnent les auteurs du texte, même si les humains ne sont pas des super prédateurs, ils dominent les écosystèmes via notamment des changements dans les utilisations des terres, dans la biodiversité ou dans le climat. « Cette étude fournit un outil très utile pour mesurer le régime alimentaire humain. Par contre, elle ne doit pas laisser penser que l’impact de l’homme sur les écosystèmes est mesuré, prévient Franck Courchamp, écologue directeur de recherches au CNRS. Car cet impact ne se réduit pas à son alimentation. La pollution, les espèces invasives, le braconnage d’espèces : tout cela, qui n’est pas mesuré par le niveau trophique, détruit les ressources et altère les écosystèmes. Cette étude montre également que plus la consommation de produits animaux augmente et plus la pression sur l’environnement augmente. Code Animal a synthétisé le dossier UNEA « Making Peace with nature » en 2021 pour plus de détails sur ces sujets.
En poursuivant cette étude, il serait possible de convertir la consommation humaine en production primaire requise pour soutenir ses besoins alimentaires. En effet, pour chaque passage à un niveau trophique supérieur, 90% de l'énergie est perdue.
Force est donc de constater que l’homme est loin d'être au sommet de la chaîne alimentaire. Cela invite aussi à penser à la relation que nous devons avoir avec la nature et surtout à reconnaître notre responsabilité pour préserver ce fragile équilibre. Finalement, est-ce si important d’être au sommet de la chaîne alimentaire ?
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